Utilisés pour aider à l'identification des auteurs d'infraction grave, les produits marqueurs codés ont été utilisés par les forces de l'ordre lors des dernières manifestations d'opposants aux réserves de substitution en eau dans les Deux-Sèvres.
Des produits marquants codés (PMC), également appelés produits marqueurs codés, ont-ils été utilisés lors de la manifestation contre les réserves de substitution en eau à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars dernier, pour marquer certains manifestants identifiés comme auteurs d'infraction grave par les forces de l'ordre ?
Selon Me Coline Bouillon, avocate de deux personnes placées à garde à vue à l'issue de la manifestation, "des PMC ont été utilisés, oui" à Sainte-Soline. Ils sont à l'origine de l'interpellation de ces deux clients.
Dans un premier rapport en ligne, la Ligue des droits de l'homme (LDH) indique avoir observé "au moins un fusil à type produit marquant codé EMEK EMF 100, PMC".
Elle estime que l'ensemble du dispositif et les moyens mis en place à l'occasion de la manifestation ont "mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place".
Absence de cadre légal
Sur l'utilisation des PMC, la LDH n'a, pour l'instant, pas acté de position spécifique. Mais elle remarque qu'elle se fait "hors du cadre légal".
Je crois que l'on cherche surtout à empêcher de manifester
Nathalie TehioMembre du bureau national de la LDH
"Avec les produits codants, la liberté de manifester est atteinte ainsi que la dignité de la personne, explique Nathalie Tehio, membre du bureau national de la Ligue des droits de l'homme. Car avec ces produits, on marque des gens. Habituellement, on marque des objets ou des animaux, pas des humains", observe-t-elle.
"En ce qui concerne la liberté de manifester, il faut se demander : à quelle finalité utiliser les PMC ? C'est soit répressif, soit préventif. D'un point de vue préventif, la personne n'est pas passée à l'acte ; à la Ligue, on est absolument contre. D'un point de vue répressif, l'article 34 de la Constitution dit bien que la procédure pénale, c'est-à-dire ce qui régit les règles pour rechercher les auteurs d'infraction pénale, relève de la loi et uniquement de la loi. Or, là, il n'y a pas de loi !"
La LDH va plus loin encore dans sa réflexion. "Si on met ce dispositif en place à des fins de recherche des participants à une manifestation interdite (soit une contravention de 4e classe), il apparait totalement disproportionné de faire une telle atteinte aux libertés ! Pour une simple contravention de 4e classe !"
La Ligue relève également que dans le cas de violences commises contre les forces de l'ordre, "c'est différent". Il faut, selon elle, s'interroger sur "la compétence demandée pour réaliser ce type de codage". Nathalie Tehio insiste : "Je pose la question : qui est compétent ? Un officier de police judiciaire (OPJ), comme dans une perquisition ? Sauf qu'en maintien de l'ordre, ceux qui sont OPJ perdent leur compétence."
Elle interroge par ailleurs la manière "de coder". "Est-ce que ça se fait via du gaz lacrymogène, via un canon à eau dans lequel on met le produit ? C'est alors totalement indiscriminé. Tout le monde est codé, les gendarmes aussi ! Je crois que l'on cherche surtout à empêcher de manifester."
Un nouvel outil d'investigation judiciaire
Leur utilisation dans des manifestations, telles que celle de samedi dernier, reste récente.
La direction de la communication de la Gendarmerie nationale indique que ces PMC sont des "outils d'investigation judiciaire", dont le recours est donc lié à une demande de l'autorité judiciaire. Leur usage se fait pour "confondre des personnes dans le cadre d'une enquête".
Le recours à ce type de dispositif avait déjà pu être observé lors de la manifestation sur le site de Sainte-Soline (79), le 29 octobre 2022, comme le montrent les dernières images du reportage ci-dessous de notre équipe.
Reportage : Antoine Morel, Romain Burot et Laurent Gautier, le 29 octobre 2022 à Sainte-Soline (79).
Pour l'instant, la justice ne confirme pas leur utilisation lors de la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline.
Leur usage dans des manifestations a été une première fois évoquée à la suite de manifestations de Gilets jaunes en 2019. Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur de l'époque, avait ainsi indiqué sur France Inter qu'il souhaitait déployer leur utilisation (voir la vidéo dans le tweet ci-dessous).
Prouver la présence d'une personne
Le ministre indiquait ainsi que ces produits permettent de prouver la présence d'une personne à un endroit et à une heure donnée.
"L'objectif est de neutraliser et de faire comparaître devant la justice", précisait Christophe Castaner, le 19 mars 2019.
"Il y a deux types de marqueurs : des marqueurs colorés qui font que si vous êtes marqué au moment d'une infraction et que, si l'on vous retrouve deux heures plus tard dans le métro, il est plus facile de faire un lien. Les autres ne sont pas des marqueurs, on les appelle ADN, mais ce ne sont pas des marqueurs de type ADN, ce sont des marqueurs de type transparent, ce qui fait que, quelques semaines plus tard, si l'enquête aboutit, et que c'est vous qui avez des responsabilités, vous êtes interpellés et on va retrouver les traces."