À la suite de nos révélations sur le trafic de drogue dans le quartier du Clou Bouchet à Niort, une enquête de l'AFP montre que Poitiers et Niort sont devenues des villes dites 'rebond' du trafic pour les métropoles du Grand Ouest, le trafic local et les campagnes.

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Un mardi d'automne ordinaire de 2022. Le gris du ciel déteint sur la gare de Niort (Deux-Sèvres), souvent présentée comme la capitale des mutuelles d'assurance françaises. C'est moins connu, elle est aussi une plaque tournante du trafic de cocaïne en France (voir notre reportage, ci-dessous).

Le 14 juin 2019, une opération de police est menée dans le quartier du Clou Bouchet à Niort contre un réseau de trafiquants de drogue. Le reportage d'Antoine Morel et José Sousa.

Niort, point sensible

Un "point sensible", explicite le chef de la brigade des douanes de La Rochelle, qui s'identifie par son seul prénom Sébastien, en raison de la "forte communauté surinamo-guyanaise" présente dans le département.

Les routes empruntées par la "coke" sud-américaine vers l'Europe sont nombreuses : l'une d'elles part de la Colombie productrice, transite par le Suriname et la Guyane française où des passagers des vols quotidiens qui relient Cayenne à Paris, les fameuses "mules", la convoient jusqu'en métropole.

Les douaniers procèdent à des opérations de contrôle une fois par mois en moyenne à Niort (60 000 âmes), à la recherche de stupéfiants. Ce jour-là, ils attendent l'arrivée du TGV en provenance de Paris-Montparnasse à 13 h 22.

C'est à bord de ce train qu'ont probablement pris place les premières "mules" qui ont réussi à passer au travers du filet tendu par les douaniers de l'aéroport d'Orly à l'arrivée, tôt le matin, du vol en provenance de la Guyane.

En civil, les douaniers n'ont que quelques minutes pour les identifier à la descente du train. Deux jeunes Guyanais attirent leur attention.

Ils sont aussitôt emmenés dans une salle isolée. Les équipes épluchent les bagages des deux suspects, tous deux originaires de Saint-Laurent-du-Maroni, une ville de l'ouest du territoire ultramarin gangrénée par le trafic de cocaïne. Le premier explique qu'à sa sortie de l'avion de Cayenne, il a récupéré des sacs pour un cousin qui habite Niort.

Pourquoi Niort et Poitiers ?

L'autre est plutôt nerveux. Après vérification de leurs fichiers, les douaniers apprennent qu'il a déjà été arrêté avec 1 kg de cocaïne, ingérée, par les douaniers à Paris. "Le jeune homme ne venait pas de Cayenne, on a vérifié", lance un douanier qui préfère rester anonyme. "S'il avait été enregistré sur un vol de Guyane, on l'aurait emmené directement à l'hôpital pour un examen."

Depuis 2018, les passeurs ne restent plus systématiquement en Ile-de-France à leur arrivée en métropole, ont constaté les policiers de l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Désormais, ils gagnent aussi les régions en train ou en autocar pour y approvisionner en cocaïne les grandes villes et les cités plus modestes comme Niort ou Poitiers.

On suppose que les trafiquants ont mis en place des plateformes logistiques dans les campagnes, d'où ils diffusent leur marchandise via leurs réseaux. C'est le modèle de la grande distribution.

Rémy Heitz, procureur général de la cour d'appel de Paris

AFP

"On peut se demander pourquoi Niort ? Il y a sûrement des consommateurs, mais pas plus qu'ailleurs", décrypte le procureur général de la cour d'appel de Paris, Rémy Heitz. "On suppose donc que les trafiquants ont mis en place des plateformes logistiques dans les campagnes, d'où ils diffusent leur marchandise via leurs réseaux", dit-il, "c'est le modèle de la grande distribution".

Les passeurs interceptés transportent chacun en moyenne 800 g de cocaïne ingérée, conditionnée en ovules de 8 à 10 g. Elle arrive en métropole quasiment pure, avant d'être coupée et revendue aux clients 70 euros le gramme.

Une vingtaine de dossiers à Poitiers et Niort

Le patron de la douane de la Rochelle l'assure : à chaque fois qu'il vient à Niort, il trouve quelque chose. "Il y a possiblement entre 20 et 40 'mules' par vol. Il y a des contrôles à Cayenne, à Orly, à Montparnasse, à Poitiers… Donc pour nous, en bout de chaîne, ça fait trois-quatre interpellations en moyenne. Et on sait qu'il y en a beaucoup qui passent entre les mailles du filet", reconnaît-il.

Selon le parquet de Niort, ce trafic "impacte lourdement" la ville : déjà neuf affaires depuis le début de l'année.

"Les 'mules' sont essentiellement des femmes jeunes de 20 à 38 ans, en situation précaire et qui font les voyages pour quelques centaines d'euros. L'une d'elles était même enceinte, ce qui soulève encore une fois la dangerosité de la procédure, avec risques d'overdose", souligne-t-on au parquet.

Les passeurs profitent de la présence de la communauté guyanaise à Poitiers ou à Niort pour trouver un "point d'accueil pour l'expulsion", résume le chef de la brigade des douanes de Poitiers, Jean-Christophe Grève. "Les 'mules' sont récupérées près de la gare : là, on les fait 'pondre' dans un hôtel et ensuite la drogue est redistribuée, pour la consommation locale ou vers d'autres grandes villes, à l'étranger aussi" comme en Belgique ou aux Pays-Bas, dit-il.

Depuis le début de l'année à Poitiers, 14 dossiers ont été ouverts pour l'infraction douanière de détention, transport ou cession de stupéfiants. En grande majorité des "mules guyanaises".

"Au regard de la récurrence des saisies et de leur position géographique, il semble très probable que Niort comme Poitiers soient des villes 'rebond' du trafic pour les métropoles du Grand Ouest ainsi que pour le trafic local, y compris en milieu rural", détaille la direction générale des douanes.

Peut-on considérer le Poitou comme une base arrière des filières guyanaises et surinamaises ? "Pas certain", répond le procureur de Poitiers, Cyril Lacombe.

Il est "difficile de remonter les réseaux et complexe de territorialiser les trafics" car "on est à l'échelon du transport et on ne sait pas où il va aboutir", nuance le magistrat. Les passeurs "sont des acteurs du trafic, un maillon de la chaîne, mais aussi des victimes de ce système".

Enquête AFP.

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