Alors que le débat sur les réserves de substitution, ou mégabassines, doit connaître un nouveau point culminant ce week-end dans les Deux-Sèvres, il interpelle, interroge, et oppose également les élus et élues du territoire.
"Etes-vous favorable ou non aux réserves de substitution ?"
A cette question, simple en apparence, il est bien difficile d’obtenir une réponse aussi basique tant les mégabassines, qui visent à stocker de l’eau en hiver pour irriguer l’été, font débat. Solution nécessaire pour affronter les sécheresses, ou adaptation court-termiste face au changement climatique ? Technique indispensable pour pérenniser la souveraineté alimentaire du territoire et du pays, ou privatisation de l’eau, un bien commun ?
Pour certains, les protocoles de mise en place de ces réserves permettent de faire passer l’agriculture au XXIème siècle en les accompagnant d’une transition vers l’agroécologie, quand pour d’autres, ces mêmes protocoles doivent être revus, réactualisés face à des enjeux climatiques qui s’emballent.
Afin de vous permettre d’y voir plus clair et de mieux comprendre ce que pensent vos élus de ce sujet brûlant, nous avons sollicité l’ensemble des députées et députés, sénatrices et sénateurs, présidentes et présidents de départements de Poitou-Charentes, ainsi qu’Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine.
CARTE. Cliquez sur les repères pour découvrir ce que pensent vos élus et élues des réserves de substitution
Les sénateurs qui n'apparaissent pas dans cette carte n'ont pas donné suite à nos sollicitations.
Les mégabassines, une nécessité face à la sécheresse ?
Les réserves de substitution doivent permettre, comme leur nom l’indique, de substituer les prélèvements d'eau en été en puisant dans les nappes en hiver, lorsque leur niveau est plus haut. L’objectif est ainsi de sécuriser l’irrigation des cultures, tout en réduisant la pression sur les nappes souterraines en période plus sèche.
C’est ce qui motive le sénateur Les Républicains des Deux-Sèvres, Gilbert Favreau, à se positionner en faveur de ces réserves.
Je considère que l’agriculture a besoin d’eau et sans eau, beaucoup d’agricultures sont condamnées.
Gilbert Favreau , sénateur LR des Deux-SèvresA France 3 Poitou-Charentes
"C’est le cas des assolements sur le Poitou, on a beaucoup de grandes cultures qui nécessitent de l’eau", explique-t-il. "Jusqu’à une époque récente, les agriculteurs faisaient des forages pour aller puiser l’eau profondément. Le principe de retenues, c’est de supprimer les forages profonds, en prélevant l’eau quand les nappes sont pleines."
Le président divers-droite du Département de la Vienne, Alain Pichon, considère également les réserves de substitution comme un impératif pour la filière agricole locale : "Pour moi c’est l’avenir de l’agriculture de la Vienne, nous ne pouvons pas avoir des cultures avec de la valeur ajoutée si l’on n’irrigue pas, et particulièrement avec les événements climatiques probables, les évolutions de température mais aussi les changements globaux."
Alors que le pays a connu de très longs mois sans précipitations significatives, le député Renaissance des Deux-Sèvres Jean-Marie Fiévet a pris le parti des bassines dès les premiers projets, et estime que le contexte climatique actuel leur donne une raison d’être : "Quand on voit aujourd’hui la période de sécheresse, l’hiver, le printemps, cela confirme le besoin d’eau. Une des solutions dans l’immédiat, dans l’urgence, c’est de trouver des réserves."
Le contraste entre des précipitations abondantes l’hiver et de plus en plus rares l’été s’avère ainsi décisif pour promouvoir le modèle des réserves de substitution, en introduisant l’idée d’éviter de gâcher une eau qui serait perdue sans stockage, comme le note le député Renaissance de Charente-Maritime Raphaël Gérard, en se référant aux crues de la Charente, comme en février 2021 à Saintes : "Quand ça déborde, c’est le bon moment pour capter l’eau car elle ne fera rien d’autre qu’aller à la mer. Aujourd’hui, on laisse cette eau douce arriver à la mer sans rien faire et l’été on est obligé de puiser dans les nappes phréatiques."
En Charente-Maritime, la volonté affichée est de tendre vers un usage multiple de ces réserves. D’après la vice-présidente LR du Département, Françoise de Roffignac, les bassines "sont dédiées à l’agriculture, mais s’il y avait un besoin supra, le fait d’avoir stocké de l’eau à un moment permet de répondre à des impératifs comme un incendie. On sait que cette eau est mobilisable."
Les mégabassines, indispensables pour la souveraineté alimentaire ?
Dans un contexte de sécheresse, de guerre en Ukraine et d’inflation, un argument émerge en faveur des réserves de substitution : elles seraient un moyen de préserver, voire de relancer la souveraineté alimentaire en Poitou-Charentes et sur le territoire français, en permettant aux agriculteurs de poursuivre leur activité malgré les aléas climatiques. "Il faut être pragmatique, on a un problème d’eau patent, on veut développer une souveraineté alimentaire et agricole pour éviter d’importer des protéines du Brésil, qui rase la forêt tropicale. Des deux maux quel est le pire ?" poursuit Raphaël Gérard, déterminé à ne pas "plomber l’agriculture française".
"Il faut faire en sorte qu’on soit capable de nourrir nos habitants s’il y avait un durcissement des conflits mondiaux. Entre la sécheresse et la guerre en Ukraine, on a bien vu les conséquences sur le Français moyen quand il va faire les courses."
La crise ukrainienne montre que la souveraineté alimentaire est cruciale, avec le chantage sur céréales que nous fait Poutine. On sait très bien qu’avec réchauffement climatique, il y a une exacerbation de ces sujets, mais on a besoin de se nourrir et il faut aussi que les productions le permettent.
François Bonneau, sénateur centriste de la CharenteA France 3 Poitou-Charentes
Nicolas Turquois, député Modem de la Vienne et agriculteur, se montre encore plus alarmiste : "Je suis absolument convaincu de l’intérêt des réserves de substitution, moyennant quelques équilibres mais il faut qu’on stocke de l’eau pour l’autonomie alimentaire de la France, et à très court terme la survie de l’agriculture du Poitou car on est une zone particulière sensible."
Les mégabassines, une mal-adaptation
D’après le ministère de la Transition écologique, la mal-adaptation désigne "un changement opéré dans les systèmes naturels ou humains qui font face au changement climatique et qui conduit (de manière non intentionnelle) à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire."
Pour la députée écologiste de la Vienne, Lisa Belluco, les mégabassines représentent l’un de ces changements : "Toutes les situations ne se valent pas, mais en Poitou-Charentes, les réserves sont des solutions de mal-adaptation. Ca va peut-être fonctionner un temps mais on va revenir à la case départ car il n’y aura pas assez d’eau pour les remplir."
Elle estime que "la situation dramatique cette année est tout à fait cohérente avec les prévisions climatiques. Dans cette situation de sécheresse hivernale, et de pluviométrie, les réserves ne fonctionnent pas."
Dans les Deux-Sèvres, la députée écologiste Delphine Batho demande l’arrêt immédiat des travaux et un referendum local pour statuer sur l’avenir des bassines : "Je suis certaine que si la population des 120 communes concernées pouvait se prononcer sur la question ‘êtes-vous pour ou contre la construction de 17 réserves pour l’irrigation ?’ la réponse serait non." Elle fustige "l’obstination du gouvernement", et "sa volonté de faire des Deux-Sèvres le symbole de [sa] capacité à mettre en oeuvre une politique anti écologique."
On est dans un nouveau régime climatique, le schéma qui était celui du technosolutionnisme des réserves de substitutions est aujourd’hui unanimement critiqué par les scientifiques qui sont spécialistes de ressources en eau ou d’adaptation au réchauffement climatique.
Delphine Batho, députée écologiste des Deux-sèvresA France 3 Poitou-Charentes
Sans pour autant considérer qu’une agriculture sans irrigation est envisageable dans les périodes de sécheresse longue, elle considère que "ces ouvrages dont il était dit qu’ils pourraient être remplis à coup sur hiver, qui stockent de l'eau à l’air libre avec les problématiques sanitaires, l’évaporation, sont un modèle absolument pas résilient face au réchauffement climatique."
Le député Modem Olivier Falorni le concède, il était plutôt favorable aux projets de réserves de substitution lorsqu’ils ont été lancés, "dans le sens où elles semblaient répondre aux besoins d’irrigation en été tout en limitant le prélèvement dans le milieu naturel à cette période, et ce, sans obérer les réserves en hiver." En s’appuyant sur les conclusions de scientifiques et d’associations environnementales, il regrette que les effets du dérèglement climatique ne soient pas suffisamment pris en compte : "Les remplissages de ces réserves sont prévus de novembre à mars alors que les hivers ne sont pas toujours pluvieux, comme celui que l’on vient de traverser. Les seuils envisagés ne tiennent pas compte de la disponibilité en eau alors que cela devrait être le premier critère."
Le sénateur SER (Socialistes, Ecologistes et Républicains) de Charente-Maritime Mickaël Vallet partage cet avis : "Je ne suis pas contre le principe de retenir de l’eau l’hiver quand on est bien au-dessus des étiages de remplissage des nappes, mais la réalité et ce qui doit être pris en compte, c’est qu’aujourd’hui, même en hiver on n’a plus le taux de remplissage nécessaire, ni dans les nappes phréatiques, ni dans les nappes plus profondes."
Les mégabassines, une privatisation d’un bien commun
Financée à 70% par de l’argent public via l’Agence de l’eau Loire-Bretagne et les fonds "Plan de relance", la réserve de substitution de Sainte-Soline doit alimenter 26 exploitations agricoles (15 producteurs céréaliers et 11 en polyculture-élevage, selon la Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres), sur les 185 présentes en 2020 dans les secteur.
Pour les opposants aux mégabassines, comme René Pilato, cela constitue "une privatisation d’un bien commun", l’eau.
Le député insoumis considère même qu’il s’agit d’une "démarche capitalistique anti survie de l’humanité."
"Ca reste un accaparement de l’eau, pour une minorité de personnes qui privatise des gros volumes d’eau, qui ne sont que pour eux", dénonce Lisa Belluco, farouchement opposée aux projets de réserves.
Les irrigants représentent 7 % des agriculteurs de France, ils sont une minorité, ils parlent au nom de LA profession.
Lisa Belluco, députée de la VienneA France 3 Poitou-Charentes
Pour Olivier Falorni, cette répartition des usages alors que la France connaît des périodes d’intenses sécheresse interpelle. "Sur notre territoire, uniquement 15% de la surface agricole utile est irriguée alors que cette pratique représente près de 70% des usages de l’eau", affirme-t-il. "Ces chiffres démontrent comment l’irrigation profite à seulement quelques agriculteurs."
Ce qui me gêne, c’est que les promoteurs des bassines, qui sont regroupés dans la Coop de l’eau, sont précisément ceux qui, depuis 60 ans, ont créé les conditions de l’impossibilité de recharger ces nappes souterraines : qui a effacé les méandres des cours d’eau ? Qui a recalibré les cours d’eau pour que l’eau parte très vite à la mer ? Qui a arraché les haies ? Qui a rasé les arbres dans les champs ? Ce sont ceux qui aujourd’hui sont des irrigants qui ont créé toutes les conditions pour que l’eau parte à la mer le plus vite possible et ne soit pas retenue sur les bassins versants pour que l’eau puisse recharger les nappes.
Benoît Biteau, Eurodéputé Europe Ecologie - Les VertsA France 3 Poitou-Charentes
Pour le député européen Benoît Biteau, l'argent public engagé dans les projets de réserves de substitution pourrait être utilisé autrement pour envisager un partage de l'eau différent, et collectif : "Aujourd’hui on a à peu près 200 bassines dans les cartons sur la zone Poitou-Charentes, qui représentent environ 400 millions d’euros d’argent public", explique-t-il. Il estime que cette somme, allouée des projets qui ne concernent qu'un faible pourcentage d'agriculteurs va défavoriser les exploitants qui en seront exclus. D'après lui, il faudrait mobiliser ces fonds publics pour créer des conditions de gestion de l'eau qui rendraient les réserves de substitutions moins indispensables à ceux qui les promeuvent : "Si on fait de la reconquête de zones stratégiques qui vont permettre de stocker l’eau pour le rechargement des nappes, ces 400 millions d’euros s’adressent déjà à une population d’agriculteurs nettement plus grande. Et si en faisant le constat d’un rechargement des nappes optimal voire maximal parce qu’on a sur les territoires su garder l’eau sur des zones naturelles qui vont permettre de recharger les nappes, on ne s’adresse plus qu’à 6% d’agriculteurs, on peut s’adresser à une population d’agriculteurs beaucoup plus importante."
Caroline Colombier, députée RN de la Charente, s'interroge quant à elle sur ile fait que le financement des réserves de substitution soit - en partie - public : "Il faut que ça serve à tous et pas seulement à un petit nombre", déclare-t-elle.
La sénatrice SER (Socialiste, Écologiste et Républicain) Nicole Bonnefoy regrette par ailleurs le fait que ce financement public encourage un modèle d’agriculture "qui pose question c’est la même agriculture qui a asséché les sols, supprimé les haies…" Si elle ne s’oppose pas à l’irrigation, elle aimerait qu’elle serve à une agriculture "qui répond aux attentes d’aujourd'hui et de demain, respectueuse de l’environnement, des sols, de la santé homme et des agriculteurs."
Un protocole pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement
En 2018, pour répondre à ces attentes légitimes de la population pour une agriculture plus vertueuse, la Coop de l’eau 79 a accompagné la mise en place des réserves de substitution d’un protocole pour une agriculture durable.
Au moyen d’engagements individuels et collectifs, les agriculteurs qui bénéficieront des réserves de substitution seront tenus d’effectuer différentes modifications de leurs pratiques, allant vers une agroécologie (afin de respecter le label Agriculture Biologique, le troisième niveau de la certification Haute Valeur Environnementale, ou les Mesures agroenvironnementales et Climatiques de la PAC), avec une réduction de l’usage des pesticides et une diversification de leurs cultures. Ils doivent aussi agir pour améliorer leur environnement en replantant des haies, en renaturant des cours d’eau ou en restaurant des zones humides. L’objectif est ainsi de rendre leurs pratiques agricoles plus vertueuses, en contrepartie de leur accès à une réserve d’eau plus sûre pour leur irrigation.
Pour la présidente du département des Deux-Sèvres, Coralie Dénoues, cet accord signé entre agriculteurs et pouvoirs publics garantit une amélioration des pratiques : "Dans le protocole, il y a obligation de transition agricole pour utiliser moins d’eau. C’est un engagement avec la chambre d'agriculutre et les filières agricoles, et nous travaillons à nous assurer que ce protocole est suivi", explique l'élue de centre-droit en mettant en avant la promesse d’une réduction de 50 % de l’usage de pesticides. Nous faisons confiance aux filières qui ont signé ce protocole, nous les relançons régulièrement. La surveillance et toutes les données chiffrées, la chambre d’agriculture s’est engagée à nous les faire parvenir.
La Vienne dispose elle aussi d’un protocole. Le député Nicolas Turquois s’en félicite : "Il y a un engagement sur 20 ans, collectif et pour chaque exploitant. En matière de plantation de haies, de réduction de produits phytosanitaires, c’est concret, par rapport à l’usage de l’eau contre des meilleures pratiques environnementales."
Le député Renaissance Sacha Houlié ajoute qu’il est en partie conditionné à l’étude HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages, Climat) qui devrait bientôt être dévoilée : "A ce stade il n’y a que la première tranche autorisée avec 10 réserves, les tranches 2 et 3 sont soumise à validation par l’étude HMUC."
Ces protocoles sont également un moyen d’installer une gouvernance publique sur les ouvrages de stockage d’eau, ce qui doit confier aux autorités le pilotage de leurs conditions de remplissage, et par extension, le partage de l’eau sur le territoire, avec "une priorité sur l’eau potable".
"C’est la gouvernance publique qui permet de dire ‘ben on peut pas remplir la bassine cette année’", explique Alain Rousset, président socialiste de la région Nouvelle Aquitaine. "Il faut expliquer aux agriculteurs que peut-être ce ne sera pas une année sur 10 où on ne pourra peut-être pas remplir, mais ce sera peut-être 2, 3, 4, 5 années sur 10."
Des engagements pas toujours respectés… ou à revoir
Derrière la vitrine optimiste de ces protocoles, de nombreux opposants dénoncent un manque d’engagement, ou de dialogue.
Selon Delphine Batho, le protocole dans son département des Deux-Sèvres ne fonctionne pas : "Il prévoyait une transformation agroécologique obligatoire des pratiques des irriguants et elle n’est pas au rendez-vous," affirme-t-elle. "Plus de 90% des exploitations concernées par les deux premières réserves de substitution de Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline n’ont pris aucun engagement en matière de diminution des pesticides."
Elle ajoute que le protocole résultait d’un dialogue entre plusieurs parties prenantes dont des associations environnementales. Or, elle a quitté la commission de surveillance il y a plus de deux ans, comme l’association Deux-Sèvres Nature Environnement ou la fédération de pêche.
Le protocole est mort et caduc sur le fond car les données sur lequel il repose en termes de calculs de volumes destinés à l’irrigation agricole sont basées sur des données anciennes qui ne prennent pas en compte le réchauffement climatique.
Delphine Batho, députée des Deux-SèvresA France 3 Poitou-Charentes
Pour le député européen EELV Benoît Biteau, le problème remonte même en amont, à la rédaction de ces protocoles. Il affirme que si la qualité de l'eau est étudiée à travers les plans de réduction de pesticides et d'intrants, la question de sa quantité, centrale pour le partage de l'eau, n'est pas prise en compte : "Les conditions pour que la gestion quantitative soit améliorée n’y sont pas, c’est à dire que le biais du protocole qui a été signé part d’un postulat qui consiste à penser qu’avec les bassines, on a réglé le quantitatif, et finalement le protocole ne s’attache qu’à des améliorations de la situation qualitative avec des propositions d’évolution de pratiques des agriculteurs." S'il ne se présente pas comme un opposant à l'irrigation, Benoît Biteau estime que ces projets de mégabassines, sans ménager au préalable le rechargement des nappes, sont "un non-sens".
La ressource va souffrir, elle sera moins présente qu’elle ne l’est aujourd’hui contrairement à ce qui est annoncé, et donc imaginer des évolutions de pratiques pour mieux gérer la qualité d’une ressource qui va disparaître, ça montre un peu l’absurdité du sujet.
Benoît Biteau, eurodéputéA France 3 Poitou-Charentes
L'eurodéputé identifie ainsi une lacune du protocole dans l'évaluation des seuils à partir desquels il est possible de puiser dans la nappe souterraine pour remplir la réserve de substitution : le niveau piézométrique, c'est-à-dire la quantité d'eau contenue dans cette nappe, et son appréciation sur un temps long. "Ils nous disent ‘quand les piézomètres ont atteint un certain niveau ça veut dire que les nappes sont rechargées’, c’est absolument faux, ce n’est pas du tout ça que ça veut dire", dénonce-t-il. "La lecture d’un piézomètre haut, ça vaut dire qu’on dispose du volume nécessaire pour recharger la nappe, mais comme on ne met pas de temporalité derrière ce relevé piézométrique, c’est à dire qu’on n’intègre pas que pour que la nappe se recharge il faut que le piézomètre reste à ce niveau-là pendant un certain temps pour que le volume nécessaire au rechargement de la nappe atteigne vraiment la nappe, on tape dans ce volume pour remplir les bassines. Sauf qu’en tapant dans ce volume pour le mettre dans les bassines, on enlève une partie du volume nécessaire pour recharger la nappe."
Ça aura forcément un impact terrible sur le rechargement de la nappe, et on sortira de l’hiver avec des bassines pleines, et une nappe qui ne sera pas rechargée parce que la temporalité n’aura pas été respectée. Le diable est dans les détails.
Benoît Biteau, eurodéputéA France 3 Poitou-Charentes
D’autres parlementaires n’excluent pas de revoir certains paramètres de ces protocoles, pour être davantage en phase avec les contraintes d’un dérèglement climatique de plus en plus prégnant sur le territoire. Olivier Falorni pense par exemple "que ce protocole pourrait être revu, il date de 2018, afin d’intégrer plus de mesures favorisant la transition agricole."
Pour sa part, Pascal Lecamp, député Modem de la Vienne, ne s’interdit pas de revoir le projet de son département à la baisse : "On n’a pas de tabou, peut-être qu’il faudra pas 30 bassines mais 15 ou 20, peut-être pas 9 millions de mètres cube mais 6... Il faut qu’on soit raisonnable."
La logique veut que quand vous êtes chez vous, si vous chauffez à 23°, vous paierez plus cher que celui chauffe à 18. Il faudrait, dans l’optique d’une taxation pour les utilisateurs, que ce soit accepté par tout le monde.
Jean-Philippe Ardouin, député Renaissance de Charente-MaritimeA France 3 Poitou-Charentes
Enfin, le sénateur Gilbert Favreau confie réfléchir à une hausse de la tarification pour l’usage de l’eau : "On peut également majorer le prix de l’eau à partir d’un certain volume."
Quelles alternatives ?
Tout comme de nombreux scientifiques spécialistes de la gestion de l’eau, plusieurs parlementaires considèrent les réserves de substitution comme une solution parmi de nombreuses autres qui doivent être explorées. "Les réserves de substitution, comme l’irrigation au goutte à goutte, le traitement des eaux usées ou l’entretien des canalisations doivent faire partie des réflexions", explique le député Renaissance Bastien Marchive.
De la même manière, la Charente explore "des solutions fondées sur la nature, d’abord le stockage de l’eau dans les sous-sols, la préservation des zones humides", explique Michaël Canit, conseiller départemental divers-gauche, et président de Charente Eau, "mais rien n’empêche toutefois que nous puissions travailler sur mise en place de réserves de substitution."
Pour la députée Modem Anne-Laure Babault, qui a longtemps travaillé dans l’agroalimentaire Bio, "avant de parler de stockage, il existe d’autres outils à utiliser. Il faut ralentir cycle de l’eau, planter des haies, des couverts végétaux intermédiaires, réfléchir aux assolements, apporter de la matière organique aux sols pour les fertiliser, renaturer les berges… Il faut aller vers une agriculture de résilience."
Le choix des plantes à cultiver fait effectivement partie d’une large réflexion sur l’usage de l’eau. Dans son territoire charentais, la sénatrice Nicole Bonnefoy défend depuis 20 ans l’idée de planter du chanvre : "Le chanvre est très bien car il ne nécessite pas d’intrants, consomme peu d’eau, c’est une culture ancestrale, qu’on peut valoriser dans de nombreux domaines."
Députée dans le même département, la députée Renaissance Sandra Marsaud se montre confiante quant à la capacité des agriculteurs à se réinventer : "L’agriculture évolue tout le temps, elle s’adapte. Face aux crises, elle nous montre qu’elle est solide. En Charente, on a Elicit Plant, une start-up qui développe des produits de biocontrôle pour adapter les plantes face au stress hydrique."
La recherche dans ce sens s’avère déterminante tant le dérèglement s’accélère. C’est pour cela que René Pilato s’intéresse, à titre personnel, au financement de la recherche. "Je sais que l’INRAE a travaillé pendant quatre ans sur une étude pour la permaculture. On pourrait financer la recherche et des études sur ‘comment vous irriguez en France’ et choisir les systèmes les plus efficients, le moins d’eau pour une meilleure production," argumente-t-il. " Le politique doit écouter les gens qui font de la production agricole, sans être influencé par les lobbies."
De son côté, Caroline Colombier affirme qu’il faut "réfléchir à l’évolution du modèle agricole français pour peut-être remettre en question les hyperspécialisations régionales (comme les céréales dans le bassin parisien, ou les porcs en Bretagne) et les monocultures intensives comme celle du maïs qui pompe beaucoup d’eau."
Pour Lisa Belluco, il est temps de prendre des décisions et d’accompagner le plus tôt possible l’agriculture française vers une transition plus durable face à l’urgence climatique : "On sait que ça va se dégrader, il faut arrêter de se voiler la face, et mettre en place des solutions plus adaptées : une transition vers l’agroécologie", détaille-t-elle.
On sait élever des animaux sans maïs ou soja d’importation, il faut revenir à un élevage plus en prairie, on est arrivés au limites de l’agriculture intensive productiviste.
Lisa Belluco, députée EELV de la VienneA France 3 Poitou-Charentes
Sainte-Soline : un traumatisme
Un nouvel acte de mobilisations s’ouvre ce vendredi 24 mars 2023 dans les Deux-Sèvres, et s’il est une chose sur laquelle tous les élus et toutes les élues de Poitou-Charentes interrogés s’accordent, c’est la condamnation des violences survenues à Sainte-Soline fin octobre 2022.
A l’issue du week-end de protestations aux abords de la bassine en chantier de Sainte-Soline, on recensait une soixantaine de blessés du côté des forces de l’ordre, et une trentaine chez les manifestants.
Ce n’est pas avec des cagoules et des cocktails Molotov que la cause environnementale doit être défendue.
Bastien Marchive, député des Deux-SèvresA France 3 Poitou-Charentes
Selon Nicolas Turquois, la violence a également été ressentie par les agriculteurs dont les terrains ont été parcourus par les manifestants : "Ils ont été terrorisés par ce qu’ils ont vu. De voir des gens masqués, piétiner leur culture, arracher des tuyaux, c’est d’une violence inouïe. C’est pas une manifestation dans la rue. On a eu l’impression qu’ils combattaient contre une multinationale qui voudrait défricher la forêt amazonienne."
De nombreux parlementaires estiment que les violences, qu’elles soient entre les manifestants et les forces de l’ordre, ou dirigées contre les biens matériels comme le chantier de la réserve de substitution ou la canalisation qui a été sciée au matin du 30 octobre, desservent avant tout la cause des opposants aux mégabassines.
Aussi la Deux-Sévrienne Delphine Batho préfère-t-elle poursuivre le combat politiquement : "Je suis pour la non violence, je suis une opposante démocratique à ce projet et à là tournure que prennent les événements, je considère toutes formes d’oppositions citoyennes légitimes dans la limite du respect des personnes, des biens et de la non violence."
La sénatrice charentaise Nicole Bonnefoy s’inscrit dans cette condamnation générale de la violence, mais elle ajoute qu’un "certain nombre de personnes tout à fait pacifiques, citoyens engagé ou pas, sont allés exprimer leur point de vue", et elle tempère les critiques du mouvement en général : "Je comprends que des citoyens veuillent s’engager plus fort pour dire ça ça ne va pas. Quand on voit le lobbying qui peut être exercé sur différents sujets, et parfois le lobbying auquel la force publique peut céder, je peux comprendre que ça agace le citoyen qui fait davantage confiance à sa propre capacité."
Droit à manifester et accusations d’écoterrorisme
Les deux jours de manifestation à Sainte-Soline laissent également un souvenir amer aux élus qui soutiennent la mobilisation.
Présente dans le cortège en octobre dernier, Lisa Belluco regrette que la manifestation ait été interdite : "Le droit à manifester est un droit constitutionnel et quand on manifeste dans un champ, il n’y a aucune raison de criminaliser", assure-t-elle. Elle condamne les violences, qu’elle qualifie de minoritaires : "Ca ne rend pas ça acceptable, et la plupart des gens qui viennent manifester sont des gens qui s’inquiètent de leur avenir, de l’avenir de leurs enfants et du fait qu’il y a un accaparement de l’eau par des agriculteurs qui ne sont même pas vraiment ceux qui nous nourrissent."
La députée de la Vienne déplore également la qualification d’écoterrorisme employée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin : "Je pense que c’est légitime de manifester, je trouve ça dommage de vouloir criminaliser les manifestants, quand on dit que nous sommes des terroristes, c’est une forme de criminalisation qui ne va pas dans le sens des manifestations."
La députée compte toutefois se rendre de nouveau dans les Deux-Sèvres, à Melle dès vendredi soir, puis sur le ou les lieux de manifestation, tout comme le Charentais René Pilato. Il n’était pas encore député en octobre mais regrette la gestion de cette manifestation : "Il y a deux choses qui m’ont choqué, la répression et l’utilisation du mot écoterrorisme", affirme-t-il.
Les terroristes tuent des gens pour une cause idéologique, là, il s’agit de gens qui se battent pour défendre l’avenir des leurs enfants.
René Pilato, député LFI de la CharenteA France 3 Poitou-Charentes
Afin de faire la lumière sur les pratiques policières dans ce type de manifestation citoyenne, la Ligue des Droits de l’Homme de Poitou-Charentes a d’ores et déjà annoncé qu’elle dépêcherait 17 observateurs indépendants à Melle et ses environs pour la mobilisation ce week-end contre les mégabassines.