Retraitées, mères célibataires, veuves... Les femmes sont de plus en plus touchées par la précarité. À Sauzé-Vaussais (Deux-Sèvres), plusieurs femmes aux quotidiens compliqués ont témoigné dans le dernier rapport du Secours Catholique.
Il fait encore nuit noire, mais Laurence Derkele est déjà debout. Cigarette dans une main, caddie dans l'autre, elle s’avance sur le bord de la route. Un réveil à l’aube pour remplir son frigo… "Bonjour Mme Dekerle, comment ça va ce matin ?”, “Ça va et vous ?”, “Très bien.” Tous les mardis à 7 h 30, elle pousse la porte des Restos du Cœur, à Sauzé-Vaussais (Deux-Sèvres). Conserves, produits frais et laitage. Laurence fait le tour du magasin. “Et le jambon... Un petit kinder... non ?”, propose Philippe Ragon, bénévole Restos du Cœur. Il te reste… trois, cinq, neuf points.”
"On sent bien que ces gens-là ont besoin de parler"
À 54 ans, cette mère de sept enfants a toujours la charge des deux plus jeunes. Depuis qu’elle est tombée malade en 2009, Laurence vit dans la précarité. Ses allocations ne suffisent pas à nourrir sa famille. Sans le coup de pouce alimentaire des Restos, elle ne pourrait pas payer ses factures d’électricité : 230€ par mois. “La facture d’EDF, c'est super compliqué ! Très, très, très, très très dur !, souffle Laurence Derkele. Donc ce que je prends ici, c’est tout pour payer l’EDF.”
Témoin malheureux d’une précarité galopante, Philippe Ragon se tient tous les jours en première ligne. Avec un sourire, un mot qui rassure… Il tente de réchauffer les cœurs. “On sent bien que ces gens-là ont besoin de parler, de communiquer, de partager leur tristesse. Il y en a qui pleurent.”
Retraitées, mères célibataires, veuves...
Chaque année, comme Laurence, les femmes sont de plus en plus nombreuses à sombrer dans la précarité. Selon le dernier rapport du Secours Catholique, publié en 2023, un million de personnes ont été accueillies par l'association, pour une aide alimentaire ou un accompagnement social. Parmi elles, 57% sont des femmes : des retraitées, des mères célibataires ou des veuves…
Une fois par semaine, elles se retrouvent à Sauzé-Vaussais, dans un groupe de convivialité. Cette année, elles ont justement témoigné dans ce rapport. “Alors là où il y a tout le résumé qu’on a fait comme travail, c’est à partir de la page 67”, lance Solange Landais à ses camarades. Elles y ont évoqué la pauvreté et ses conséquences. Les centimes comptés, la honte… l’isolement… la culpabilité.
Libérer la parole
Solange et Laurence reviennent de Paris où elles y ont rencontré Bérangère Couillard, ministre de l'Égalité entre les Femmes et les Hommes. “Que le gouvernement se réveille, qu’il fasse quelque chose, qu’il bouge les choses, martèle Solange Landais. Quand on voit qu’il y a beaucoup de précarité, qu’on a beaucoup de difficultés, qu’ils agissent, car la situation n'évolue pas beaucoup.”
Ne plus se taire, politiser le combat. Enfin se sentir écoutées, le sentiment d'exister. “Je pense que ces femmes ont été aussi heureuses de pouvoir libérer cette parole et de dire ce qu’elles avaient enfoui depuis longtemps. La parole est sortie facilement”, explique Chantal Graswill, responsable des bénévoles du Secours Catholique à Sauzé-Vaussais.
Cette année, le groupe de solidarité de Solange et Laurence fête son vingtième anniversaire. Vingt ans d’échanges, de soutien, de libération de la parole. Un refuge pour échapper à la précarité, le temps d’un après-midi.