Comme Marie, une jeune femme habitante de Bordeaux, les étudiantes et étudiants sont de plus en plus nombreux à se prostituer. Leurs profils sont très variés. Certains, plongés dans une trop grande précarité, affirment ne pas avoir eu d'autre choix que de vendre leur corps. À Bordeaux, l'association Poppy leur propose une écoute.
Marie* a 23 ans. Elle n'est plus étudiante. Pourtant, elle parle toujours de prostitution au présent. La jeune fille a commencé à vendre son corps il y a quatre ans pour faire face aux dépenses de la vie quotidienne. Ses parents payaient son loyer et lui donnaient 100 euros par mois. "Ce n'était clairement pas suffisant", dit-elle, tout en se considérant comme privilégiée. "Pour me nourrir, c'était assez juste. Parfois, je faisais un peu de récup' alimentaire".
Des sites dédiés aux escortes
Impossible de s'offrir un cinéma ou des sorties. Car Marie doit financer son école. Plus de 4 000 euros par an, ponctionnés dans ses économies qui diminuent à vue d'œil. L'étudiante, inquiète, se pose alors la question de prendre un petit boulot à côté. "Je sentais que si je mettais beaucoup trop de temps, et d'énergie surtout, dans un travail qui allait m'épuiser physiquement et mentalement, je n'allais plus avoir assez de temps pour étudier". Marie décide alors de faire sa première passe.
Au moment de passer à l'acte, Marie décide de se rapprocher d'amies qui se prostituent. "Je leur ai demandé conseil", raconte la jeune fille. "Comment cela se passait pour elles ? Où est-ce qu'elles trouvaient leurs clients ?". Ses amis lui ont montré les démarches. "Elles avaient un profil sur un site internet dédié aux escortes. Un site sur lequel on pose son annonce, avec une petite explication de qui on est en tant que travailleuse du sexe. Et à partir de là, on avait des clients qui nous contactaient".
Le covid, un tournant
Comme elle, de plus en plus de jeunes se livrent à la prostitution pour faire face à leur précarité. Une tendance observée par l'établissement Poppy qui accompagne les travailleurs du sexe au quotidien. Dans sa file active, la part des moins de 25 ans est passée de 8 à 24 % entre 2019 et 2021. Poppy dépend de l'association La CASE (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues à Bordeaux).
"C'est difficile d'avoir une analyse précise, car on est sur du déclaratif", explique Camille Escaich coordinatrice chez Poppy. "Mais depuis le Covid, on a vu émerger des nouveaux profils, notamment au moment des confinements. Les gens étaient moins mobiles. Les jeunes nous expliquaient que leurs parents ne pouvaient plus les soutenir financièrement et qu'il était difficile de trouver un travail. Alors, ils franchissaient le pas. Ils voulaient faire de l'argent vite, mais pas facile, je précise bien".
En septembre dernier, une enquête révèle que 90% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Une étude menée par l'organisation étudiante de gauche Le Poing Levé (Révolution Permanente), avec les syndicats étudiants Etudiant.e.s de Bordeaux Montaigne (EBM), la FSE et l'UNEF, ainsi que l'aval de la direction de l'université. Inflation, pénurie de logement, beaucoup ne parviennent pas à s’en sortir dans notre région comme ailleurs en France.
Des comptes créés sur le Net, loin du trottoir
Les jeunes, sauf une frange de la population immigrée, n'attirent pas le client sur le trottoir. Ils sont rarement en prise avec un réseau de prostitution. Ils sont autonomes, et se créent des profils sur internet, les réseaux sociaux, parfois même sur le bon coin. C'est donc par des maraudes numériques que Poppy tente de rentrer en contact avec elles.
"On est deux et on se connecte trois fois par semaine, sur des espaces dédiés à la prostitution ou à l'escorting. Il s'agit de sites internet ou des réseaux sociaux", explique Camillle Escaich. "On se présente en tant que professionnels. On leur propose une offre de soins : du matériel de réduction des risques, un accès au dépistage, des consultations médicales ou psychologiques, une aide éducative ou juridique". Au final, 23 % des personnes contactées répondent à Poppy dans un délai plus ou moins long. Cela a été le cas de Marie. Aujourd'hui, elle se rend régulièrement dans cet établissement.
"Parfois, ils échangent du sexe contre un hébergement ou un repas".
Pour se rassurer, Marie a commencé à se prostituer avec une de ses amies. "À chaque fois, on allait voir les clients à deux. On se sentait beaucoup plus en sécurité. On disait à un proche qu'on allait à telle adresse, de telle heure à telle heure, au cas où il se passerait quelque chose et qu'on ne donnait pas de nouvelle. Cela s'est passé plutôt bien.
Mais la première fois, ça m'a fait un peu bizarre. Il faut s'adapter au fait que ce soit des hommes beaucoup plus âgés.
Marie, ex-étudiante
"Il s'agissait d'une sexualité à laquelle je n'étais pas forcément habituée. Moi, j'étais plus habituée aux femmes ou au milieu libertin", poursuit la jeune femme.
Le profil de Marie pourrait paraître atypique. "Il ne l'est pas", répond du tac au tac Camille Escaich. Créée en 2018, Poppy a déjà suffisamment de recul pour observer la multiplicité des situations. "Certains ont un autre travail et la prostitution est une seconde ressource. D'autres sont très insérés socialement et veulent être très en confort financièrement. Il y a aussi des jeunes placés et accompagnés par l'Aide Sociale à l'Enfance. Et aussi ceux qui sont dans une très grande précarité, étudiants ou non, avec des besoins rapides d'argent. Parfois, ils échangent du sexe contre un hébergement ou un repas".
Multitude de profils
Marie, elle aussi, parle de situations multiples. Autour d'elle, à l'époque, d'autres étudiantes se prostituent également. Ses trois amies donc, mais pas seulement. "J'en ai connu d'autres qui étaient beaucoup plus dans la précarité. Il y en a plus que ce qu'on pense". Marie estime qu'elle était moins dans la précarité que certaines. Elle affirme avoir fait le choix de se prostituer librement. "Personne ne m'a forcé à faire ce que je fais. C'est mon choix. Je vis bien. Je mets mes limites comme je veux. Je ne vois pas à quel moment je serais victime de quoi que ce soit".
Un raisonnement observé à de multiples reprises par Camille Escaich. "Oui, il y a aussi beaucoup de filles comme Marie", confirme-t-elle. "Il n'y a pas que des victimes, certaines le choisissent pour des raisons de liberté sexuelle ou par ce qu'elles sont venues trouver une certaine forme d’opportunité. Elles disent faire partie d'une catégorie plutôt privilégiée.
Mais la réalité, ce sont aussi des étudiants qui vont se lancer ponctuellement et qui choisissent cette voie malgré eux"
Camille EscaichPoppy
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Plus d'informations sur les aides pour les étudiants
Marie n'est plus étudiante et pourtant elle vit toujours dans une certaine précarité. Elle continue donc de vendre son corps. Lui demander si sa vie ne serait pas "mieux" sans prostitution... Seule solution, sûrement tout aussi indélicate, lui poser la question à l'envers. "Est-ce que ta vie serait moins bien sans prostitution ?". Après une légère hésitation, elle nous répond. "D'un point de vue financier, je pense que oui. Après, si je pouvais me dédier complètement à mon art et en vivre complètement bien sûr, j'arrêterais la prostitution. Mais comme toute personne qui laisse un travail alimentaire pour se dédier à sa passion".
Avant de nous quitter, nous avons demandé à Marie si elle avait quelque chose à ajouter. Elle a tenu à faire passer un message important à ses yeux. "Je trouve que les étudiants manquent beaucoup d'information et d'accompagnement dans les démarches bureaucratiques pour avoir des aides financières. Du coup, cela nous parait hyper loin. On ne se sent pas légitime. Il y a vraiment un besoin énorme d'information sur ce point-là".
Aujourd'hui, Marie a une clientèle d'habitués. Elle réalise deux à six passes par mois maximum. À part sa sœur et quelques amis, personne n'est au courant de sa double vie.
(*) Le prénom a été changé.