Alors que sa fille de 27 ans, en situation de handicap mental depuis sa naissance, était prioritaire, cette maman a dû se battre pendant sept ans et menacer d'une grève de la faim avant de trouver une place en foyer de vie. Aujourd'hui, elle déplore la saturation de ces établissements et appelle le gouvernement à ouvrir les yeux sur la situation.
Après deux burn-out l'année dernière, Séverine Jamoneau était à bout. En avril, l'habitante de Ménigoute, dans les Deux-Sèvres, menace de commencer une grève de la faim si le Département ne trouve pas de place en foyer pour adultes handicapés pour sa fille, Elsa. Quelques jours plus tard, c'est un soulagement, on lui propose deux solutions pour qu'Elsa intègre d'ici à quelques mois un établissement adapté. "C'est dommage d'en arriver à des extrêmes, considère la maman. Mais je n'aurais pas lâché. Il faut que les choses changent parce que ma fille n'est pas la seule à être dans cette situation."
Un long chemin pavé d'embûches
Elsa, sa fille de 27 ans, est atteinte d'un handicap mental depuis sa naissance. Les échographies montrent un fœtus en bonne santé, mais à la naissance, une compression du cervelet mène à des retards mentaux chez cette enfant. Elsa marche à trois ans, parle à six et devient propre à dix. Cet accident n'a jamais été reconnu comme tel.
Dès la maternelle, les difficultés commencent. À cette époque, l'intégration des enfants atteints de handicaps est moins développée que cela peut l'être aujourd'hui, et la maîtresse est opposée à accueillir Elsa. Séverine et son mari, qui veulent que leur fille apprenne la sociabilisation avec des enfants de son âge, se battent pour que la petite intègre une classe de l'Éducation nationale. Selon Séverine Jamoneau, tout se passe bien avec les enfants, mais les relations avec l'institutrice sont compliquées. "Quand on a décidé qu'on ne veut pas accueillir quelqu'un dès le début, c'est rare que ça fonctionne", juge-t-elle. Il faut donc changer.
De ses quatre ans et demi à ses quinze ans, Elsa fréquentera un institut médico-éducatif (IME) en externat à côté de Parthenay (Deux-Sèvres), proche de chez ses parents. "Elsa y a trouvé son compte, se remémore sa mère. C'était une petite structure dans laquelle elle a appris à devenir un peu plus autonome." À l'adolescence, elle devient "moins gérable" et change d'IME. À ses vingt ans, elle est censée définitivement quitter ces instituts réservés aux enfants. Problème : les foyers de vie pour adultes dans lesquels elle aurait dû aller sont pleins.
Des maltraitances de la part d'un éducateur
Depuis 1989, la loi Creton permet aux jeunes adultes handicapés de rester dans les IME dans l'attente d'une solution adaptée. En 2023, ils étaient 70 jeunes de plus de 20 ans à bénéficier de cet "amendement Creton" dans les Deux-Sèvres et plus de 700 dans toute la Nouvelle-Aquitaine. Pourtant, l'institut pour enfants qui l'accueille depuis cinq ans en internat ne peut pas la garder non plus. Eux aussi font face à une saturation importante et ne peuvent la prendre que deux jours par semaine. Séverine Jamoneau dénonce une loi qui ne s'applique pas bien.
Une place se libère enfin en foyer de vie, et Elsa y fait un stage (une période de transition pour vérifier que la situation convient à la personne et au centre). Sa mère raconte la douche froide. "Pendant deux mois, je vois ma fille, d'habitude souriante et pleine de joie de vivre, qui perdait du poids (presque 20 kilos !), qui se renfermait dans sa chambre et qui perdait ses cheveux. Elle revenait parfois avec ses vêtements déchirés." Au départ, le centre ne lui fournit pas d'explications, mais peu après, on lui explique qu'Elsa est victime de maltraitance de la part d'un éducateur.
Le pire, c'est que d'autres parents savaient qu'il y avait des cas de maltraitance et ont, quand même, laissé leurs enfants. Avec mon expérience, je comprends désormais que les places sont chères et que prendre son enfant handicapé chez soi, c'est un énorme sacrifice. Beaucoup ne peuvent pas le faire. Mais moi, en tant que maman, je ne pouvais pas me résoudre à laisser ma fille dans cet établissement maltraitant.
Séverine Jamoneau, maman d'Elsa
Les parents d'Elsa la retirent directement de ce foyer et portent plainte. Le juge parle de "maltraitance institutionnelle", mais aucune sanction n'est prise contre l'encadrant maltraitant. Au-delà du traumatisme pour la jeune femme et ses parents, cet épisode laisse la famille démunie, car leurs options sont maigres. Il n'y a toujours aucune place en foyer. Les parents se font aider par un éducateur indépendant qui les soulage quelques jours par semaine, mais la mère finit par quitter son travail d'aide-soignante de nuit pour s'occuper de sa fille.
"Ils ont le droit de vieillir décemment, eux aussi"
La charge de travail des aidants, comme Séverine, est lourde. Cela demande une attention permanente, et peu de temps pour se concentrer sur soi. "J'ai des soucis de santé et je n'ai pas le temps de me faire soigner, c'est impossible, témoigne Séverine Jamoneau. Ce sont des choses anodines, mais quand le handicap rentre dans l'équation, tout devient compliqué." D'autant que le frère d'Elsa, de trois ans son benjamin, est, lui aussi, atteint de handicap mental. La pathologie étant différente, il obtient, lui, un placement en foyer plus rapidement.
Pendant des années, les parents d'Elsa réclament une place en foyer de vie pour leur fille. Mais le Département des Deux-Sèvres qui gère ces foyers ne trouve pas de place. Pour Séverine, le problème réside dans le fait qu'il existe peu de structures pour accueillir les personnes handicapées vieillissantes. "La société les a rejetés toute leur vie et, en plus, on imagine qu'ils ne vont pas vivre vieux ? Ce n'est pas normal, il faut penser à eux et trouver des solutions. Ils ont le droit de vieillir décemment, eux aussi."
La mère, éreintée, fait deux burn out en 2023, puis sort sa dernière carte. Elle se décide à parler de sa situation inextricable sur les réseaux sociaux et dans un journal local. En mars, pendant une réunion avec le Département, elle déclare vouloir faire une grève de la faim si aucune solution n'est trouvée pour sa fille qui a désormais 27 ans. La situation se débloque enfin et le Département lui fait deux propositions : une pour 2024, l'autre pour le long terme.
Après cinq ans, qu'elle décrit comme "une descente aux enfers", c'est enfin un soulagement pour Séverine et sa famille. "S'il nous arrive quelque chose, je sais qu'elle est dans une structure et qu'elle ne se retrouvera pas en psychiatrie, où elle n'a pas sa place", explique sa maman.
Un problème systémique
Si ses deux enfants ont, vraisemblablement, trouvé une place dans des structures adaptées, Séverine Jamoneau dénonce à présent un problème systémique. Il est d'ailleurs très difficile de savoir précisément combien de personnes ont besoin d'une place en foyer. "Entre les personnes qui n'entrent en foyer qu'à mi-temps par manque de place et les personnes qui doivent rentrer à domicile, il est compliqué de faire le compte", explique Sonia Ahehehinnou, vice-présidente de l'Unapei, principale union des parents d'enfants en situation de handicap. L'Unapei milite pour qu'un observatoire soit créé pour évaluer les besoins réels et mettre en place les accompagnements adéquats.
Si les Départements n'ont pas de place pour les adultes handicapés, c'est que les budgets ne suivent pas. Pourtant, les dépenses d'aide aux personnes handicapées ont triplé en 20 ans. En 2021, neuf milliards d'euros ont été dépensés par les Départements français. Plusieurs structures d'accueil dénoncent tout de même une saturation de leurs établissements. Séverine Jamoneau appelle à un changement. "On n'écoute pas la détresse des parents des adultes handicapés. De mon expérience, je vois que cela fait 29 ans que les foyers de vie sont saturés. Il faut agir."