Football : "Est-ce qu'on attend qu'il se passe l'irréparable pour réagir ?", s'inquiète un représentant des arbitres.

En réponse aux deux agressions d'arbitres à Saint-Pardoux-la-Rivière et au Bugue il y a deux semaines, aucun arbitre n'était présent ce week-end sur les terrains de football amateur en Dordogne. Une initiative lourde de sens pour Patrick Buffière, président de l'Unaf 24, afin de sensibiliser les clubs, le public et les autorités sur ces cas de violences répétées.

Pas d'arbitres officiels sur les pelouses du district de Dordogne, samedi 23 et dimanche 24 avril. Tel était le mot d'ordre martelé par l'association de l'Union nationale des arbitres de football (Unaf 24), après les récentes agressions de deux officiels, dimanche 10 avril, sur les villages du Bugue et de Saint-Pardoux-la-Rivière.

Sur cette dernière commune, une échauffourée à la fin du match après un deuxième carton rouge donné par l'arbitre à l'équipe adverse a entraîné un flot de menaces et d'insultes à son encontre. Rentré au vestiaire, l'homme en noir aurait alors lui-même appelé les gendarmes pour intervenir sur place, selon nos confrères de France Bleu Périgord.

Un véritable sujet de société présent dans le football amateur avec une hausse des violences constatées sur les terrains comme en tribunes. Pour Patrick Buffière, président de l'Unaf 24, la protection et la formation des arbitres, l'aggravation des sanctions ou encore la remise en question des instances sur cette question sont autant de pistes à mettre rapidement en lumière.

Dans quel contexte s'inscrit ce mouvement de grève des arbitres dans le foot amateur en Dordogne ?

Patrick Buffière : C'est tout simple. Il y a quinze jours nous avons deux arbitres du district qui ont été agressés verbalement par des joueurs avec menaces, mais aussi tentatives de coups pour le deuxième. Ce sont deux agressions sur le même week-end et déjà deux de trop. Il ne fallait donc pas attendre pour réagir d'une manière ou d'une autre.

C'est une situation devenue rédhibitoire au niveau national. Ce week-end, nous avons décidé de déposer le sifflet car si on ne fait rien cela va empirer. Dans la majorité des cas d'agressions, il y a des dépôts de plainte, mais d'autres situations où certains arbitres non-adhérents à notre amicale n'ont rien fait, soit par peur tout simplement ou à cause du coût financier que cela demande avec les frais d'avocats.

À titre indicatif, je tiens à rappeler qu'au 31 mars dernier, 37 agressions contre des arbitres avaient été déclarées depuis le début de l'année 2022 en France. Sur la semaine suivante, on en a eu sept supplémentaires.

Quel message souhaitez-vous donc envoyer aux instances dirigeantes tout comme aux clubs et au public présent sur le bord des terrains ?

Ce que l'on veut c'est que tout cela s'arrête et au plus vite. Mais si encore cela ne touchait que les arbitres, le problème est que ces violences sont maintenant dirigées vers les éducateurs de clubs, car même les parents s'en prennent verbalement et physiquement à eux. De notre côté, on sait très bien que l'on ne pourra pas endiguer complètement le phénomène. La violence verbale on peut l'atténuer, la violence physique c'est plus compliqué...

Qu'il y ait des sanctions individuelles est la moindre des choses. Il faut aussi qu'il puisse y avoir une sanction collégiale pour que les clubs en question se sentent aussi concernés. Dans certains districts, des équipes sont rétrogradés à partir de huit cartons rouges sur la saison. Est-ce qu'il faut en arriver là et étendre ce dispositif au cadre national ? C'est peut-être une des solutions à discuter et envisager dans le football amateur.

Les formes de sanctions prises actuellement sont donc insuffisantes à votre avis ?

Aujourd'hui, il existe des barèmes de sanctions minimal et maximal. Le problème reste que les commissions de discipline sont composées d'arbitres, mais aussi de dirigeants de clubs, qui prennent souvent la décision la moins forte pour essayer de garder une certaine équité entre eux au cas où un fait d'agression grave et similaire leur serait reproché vis-à-vis d'un arbitre. Ce qui pose réellement des questions sur la réelle indépendance de ces commissions, mais aussi sur de possibles conflits d'intérêts avec les présidents de districts et de ligues, élus par ces mêmes clubs amateurs.

S'asseoir autour d'une table pour discuter il n'y a aucun problème, mais il ne faut pas que cela s'arrête à une seule fois par saison

Patrick Buffière, président de l'Unaf Dordogne

En tant qu'arbitres, nous aussi avons un travail de communication à faire sur la question, car il est toujours facile de rejeter la faute vers les autres. Se rencontrer chaque trois ou quatre mois serait une solution avec une réunion secteur par secteur pour voir les améliorations à apporter et faire remonter les difficultés : agressions, comportement des joueurs, des entraîneurs et du public et même en ce qui concerne l'arbitre.

Comment expliquez-vous ce phénomène de violences en constante augmentation ces derniers mois ?

Il y a plusieurs facteurs, mais cela tient surtout aux changements de mentalité et de comportement des personnes. Les gens ont tendance à reporter leurs frustrations le dimanche sur les terrains. Alors pourquoi le football ? Parce que c'est certainement le sport populaire numéro 1 en France, mais il y a d'autres sports dont on parle moins comme le handball, notamment en Nouvelle-Aquitaine par exemple, où la violence commence à là-aussi monter très sérieusement. 

Estimez-vous que certains sports ont plus d'efficacité que d'autres dans les sanctions apportées à ce genre de problèmes ?

Je le crois... L'autre jour lors du match La Rochelle - Bordeaux en rugby (ndlr : le 16 avril), un joueur a pris un carton rouge et il s'en va sans rien dire... Chez nous, en football, vous mettez un rouge à un joueur, même si le blessé est par terre avec la jambe cassée, certains vont venir autour de vous et vous dire qu'il n'a pas fait exprès et mettre une pression énorme sur l'arbitre. Et je peux vous citer des centaines de cas avec les spectateurs également.

Je ne sais pas comment l'expliquer, mais il faut qu'ils s'en prennent à quelque chose et le football amateur devient un défouloir pour certains en s'attaquant à l'intégrité physique de l'arbitre. Dans la région, il y a eu des problèmes aussi en Gironde et dans les Pyrénées-Atlantiques... Tout cela est un phénomène lent et qui monte crescendo depuis la fin de la crise sanitaire.

Maintenant, on a passé un palier depuis une saison environ chez les adultes comme chez les plus petits. La Fédération française de football (FFF) et toutes les instances dirigeantes devraient concrètement en prendre conscience. Est-ce qu'on attend qu'il se passe l'irréparable pour enfin réagir ? 

De votre point de vue, existe-t-il une conséquence directe sur la baisse du nombre d'arbitres, qui est actuellement de près de 22 000 en France, dont presque 2 000 sur la région ?

C'est évident et avec une tendance très nette depuis 10 à 15 ans, même si d'autres arguments peuvent être mis en avant là encore. En Dordogne, on arrive actuellement à maintenir un nombre d'arbitres suffisant. Mais jusqu'à quand ?

Aujourd'hui on est à 180 arbitres environ sur le département, contre 230 à 250 quand j'ai commencé il y a trente ans. Le problème est que l'on a des arbitres qui viennent et qui font une demi-saison, puis la plupart arrête progressivement. Pourquoi ? Parce que quand vous leur posez la question, ils vous disent qu'ils ne se sentent pas du tout en sécurité sur le terrain.

Quand j'en parle avec des joueurs actuels ou anciens, la majorité ne veut pas s'emmerder à aller arbitrer le dimanche et se retrouver confronter à des situations compliquées

Patrick Buffière, président de l'Unaf Dordogne

Le temps de former un arbitre, cela prend du temps. Chez nous, ils ne sont pas lâchés directement seul sur un match. Ils ont une dizaine de rencontres où ils sont accompagnés. Après, il y a certainement moins d'engouement pour l'arbitrage en général. La première chose pour être arbitre, c'est la passion. Mais quand j'en parle avec des joueurs actuels ou anciens, la majorité ne veut pas s'emmerder à aller arbitrer le dimanche et se retrouver confronter à des situations compliquées sur et en dehors des terrains.

Pourtant de la communication est faite pour attirer. Les clubs savent qu'ils leur faut des arbitres, sinon ils sont en infraction. Peu de clubs sont concernés par ce phénomène en Dordogne, mais cela reste très dur d'amener des jeunes vers l'arbitrage. Alors des fois on nous amène des joueurs, mais généralement c'est celui qui sait le moins bien jouer ou qui ne joue quasiment pas. On lui force un peu la main et il dit : "Oui, je vais le faire pour le club..." Mais ils se rendent très vite compte que ça ne leur plait pas ou qu'ils ne sont pas fait pour ça, donc ils laissent tomber.

L'influence des vidéos sur les réseaux sociaux est-elle aussi un argument pour freiner des vocations pour arbitrer ? 

C'est quelque chose de néfaste pour l'arbitrage en général et pour les clubs également. Maintenant, dès qu'il y a quelque chose qui se passe avec un arbitre ou un joueur, cela se retrouve directement sur les réseaux. Cela devient ingérable et tout ça dessert plus que ça ne sert le football dans son ensemble. 

Je tire la sonnette d'alarme et j'invite tout le monde à prendre acte de la gravité de ce qu'il se passe sur les terrains depuis plusieurs semaines, à faire preuve de modération et essayer de travailler en bonne intelligence tous ensembles et main dans la main afin d'éradiquer ce fléau.

Je ne vais pas dire qu'on tue notre football, mais on est en train de le dégrader et de le dénigrer sur certains points

Patrick Buffière, président de l'Unaf Dordogne

Les médias ont aussi un rôle à jouer pour nous soutenir dans ce combat. Et quand on parle de communication et de réponse de notre part, un communiqué du président national de l'Unaf a été envoyé il y a une quinzaine de jours aux principaux médias pour alerter sur ce problème de société. Presque aucune réponse ni publication ne nous a été donnée... À la rigueur la FFF, par la voie de son président (ndlr : Noël Le Graët), aurait pu appuyer notre communiqué et cela aurait été relayé. Mais rien du tout là aussi... 

Avec ce qui se passe actuellement, on ne donne pas une bonne image vis-à-vis de la population, des gamins. Je ne vais pas dire qu'on tue notre football, mais on est en train de le dégrader et de le dénigrer sur certains points. C'est malheureux et si l'on doit refaire d'autres actions comme celle de ce week-end à l'avenir, on le refera... 

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