Jean-Charles Lagrange est un pêcheur, et un homme écœuré. Depuis des semaines il a vu se répandre une mousse marron et malodorante sur sa rivière, l'Isle. Responsable, une papeterie qui n'a pas pu contenir les effluents de sa station d'épuration

Une mousse marron, putride, épaisse et nauséabonde flottant sur les eaux de l'Isle, dans ce petit coin de paradis aquatique naturel, à la limite de la Dordogne et de la Gironde. C'est le spectacle désolant auquel assiste depuis début février Jean-Charles Lagrange, un pêcheur de Saint-Antoine sur l'Isle. 

L'Isle polluée

Responsable de ce débordement polluant, l'usine de cartonnage Corenso dans la commune voisine de Moulin Neuf. Pour son exploitation, l'usine plus que centenaire possède une autorisation de prélèvement de l'eau de la rivière. Une eau qui d'ordinaire est retraitée dans sa station d'épuration avant d'être rendue à la rivière. Sauf que, depuis février, c'est un véritable déferlement de mousse marron qui est rejetée.

Un peu moins de mousse, mais l'eau n'est toujours pas totalement dépolluée avant de se jeter dans l'Isle

Conditions météo

La direction reconnaît les faits et explique que l'usine a été victime d'un malheureux cumuls de phénomènes météo. Tout d'abord les crues du début février. Les pluies auraient lessivé les sols agricoles en amont de l'usine, entraînant des engrais et des nitrates dans l'eau utilisée pour la fabrication des cartons. Deuxième phénomène, la vague de froid qui a suivi, 15 jours plus tard. Les deux évènements cumulés auraient saturé les capacités d'absorption des micro-organismes de la station d'épuration, créant un déséquilibre fatal.

Mousse incontrôlable

Au lieu d'absorder les polluants puis de se déposer au fond du bassin de décantation, les micro-organismes saturés se sont transformés en une mousse surabondante, qui a fini par s'échapper de la station d'épuration. Pendant plusieurs semaines, Corenso a tenté de limiter le débordement en pompant la mousse pour la réinjecter dans son circuit interne, notamment avec des "écrémeurs". Le phénomène étant trop important, il n'a pas pu être complètement stoppé. 

Selon l'usine, il s'agirait de la conjonction des crues et du froid qui aurait saturé les bactéries de sa station de retraitement, créant des mousses incontrôlables

Bactéries, amidon, mousse et boue

Selon Corenso, les rejets sont essentiellement constitués d'amidon et de bactéries. Les bactéries flottantes en surface se sont retrouvées rejetées dans la rivière, où elles se sont mélangées au limon en suspension, avant d'être partiellement repompées par l'usine. Ce mélange en boucle expliquant la couleur de la mousse.

Vandalisme

Comme un malheur ne vient jamais seul, Corenso explique qu'elle a également été victime d'un acte de vandalisme sur l'une des canalisations rejetant ses eaux traitées dans la rivière. L'acte aurait été commis sur la voie publique, dans un fossé d'eaux pluviales en bord de route. Selon la direction, il a probablement été commis après que les premières mousses aient commencé à déborder de la station d'épuration.  

Pollution à répétition ?

Localement, les riverains s'agacent. Ils affirment que cette pollution n'est pas une première. Selon eux, il aura fallu attendre ce fameux acte de vandalisme pour que Corenso prenne des mesures alors que la pollution avait commencé début février, avant la vague de froid. Témoins, ces photos prises le 3 février par un amoureux de la nature qui vit à Saint-Antoine sur l'Isle.

La Gironde récupère la mousse

En aval, on se désole aussi des effets visuels de cette pollution sur l'image des lieux. C'est le cas par exemple dans la petite commune de Porchères, en Gironde, où s'écoule l'Isle après l'usine.

Des contrôles quotidiens

L'usine Corenso possède sa station d'épuration depuis 1995 et se vante de ne jamais avoir eu à déplorer d'infraction dans son fonctionnement jusqu'alors. En tant qu'ICPE (Installation Classée pour la Protection de l'Environnement), Corenso est tenue d'effectuer des prélèvements quotidiens soumis aux services de l'État via la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (Dréal).

On fait des contrôles quotidiens sur la station d'épuration, et les résultats quotidiens sont envoyés tous les mois minima à la Dréal, et en cas de dysfonctionnement on fait des rapports à fréquence encore plus réduite pour les tenir informés

Stéphanie Claustres, Directrice de l'usine Corenso

Plusieurs alertes

Le 26 février dernier, l'Office Français de la Biodiversité de Gironde (OFB 33) a été alerté et s'est rendu chez Corenso pour effectuer des prélèvements. L'OFB a également entamé une procédure pour "rejet de substances potentiellement nuisible pour la faune et la flore".

Le 3 mars, Jean-Charles Lagrange alerte également l’inspection des installations classées qui demande à son tour les résultats des analyses effectuées entre début février et le 7 mars. Les chiffres confirment les dépassements en produits polluants rejettés pour le mois de février, la situation s'étant un peu améliorée début mars.

Des bactéries de 60 jours

Il faudra du temps pour que les micro-organismes se reconstituent. Environ 60 jours, avant que les bactéries ne retrouvent leur cycle normal et acceptent de quitter l'état de mousse pour "redescendre" au fond des bassins. En attendant, Corenso tente d'accélérer le mouvement en aspirant la mousse, et en utilisant de l'anti-mousse et de la javel pour réduire le phénomène. Pour l'avenir, elle tente aussi de colmater les entrées d'eau chargées en phosphate qui pénètrent dans son circuit.

Éviter que le phénomène ne se reproduise

Reste qu'il n'est pas question de revivre le même épisode. Un texte européen de 2014 fixe un cadre de "bonnes pratiques" pour la production de pâte à papier, de papier et de carton. La Préfecture indique que l'exploitant prévoit de modifier ses installations afin d'améliorer la qualité des traitements des eaux et respecter les nouvelles normes imposées, et qu'un arrêté préfectoral sera présenté en ce sens à la signature de M. le Préfet avant la fin de l'année.




 

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