Alain Laprie sortira-t-il de prison après avoir été reconnu coupable du meurtre de sa tante à Pompignac, en Gironde ? Depuis vingt ans, il ne cesse de clamer son innocence. Son avocate espère l'innocenter définitivement grâce à de nouvelles investigations.
Le quotidien Sud-Ouest a remis l'affaire dans les mémoires. Ce mardi 10 septembre 2024, le quotidien a rappelé que l'avocate d'Alain Laprie avait demandé et obtenu du parquet de Bordeaux que soient menées de nouvelles investigations par la section de recherches de Bordeaux.
Une autorisation très rarement, pour ne pas dire jamais accordée, la justice ne revenant qu'exceptionnellement sur la chose jugée. Dans le cas présent, il apparaît que la demande est suffisamment bien étayée par de nouveaux éléments et des raisons de douter pour être recevable.
La requête était légitime, et c'est en ces termes-là qu'elle a été acceptée !
Maître Ouaknine-MelkiAvocate d'Alain Laprie
Des incohérences
"Le dossier de l'instruction est particulièrement vide et la motivation de la deuxième cour d'assise qui l'a condamné est assez éloquente, c'est un faisceau d'indice et non pas des éléments de preuve.
Quand on a fouillé le dossier de l'instruction, on s'est rendu compte qu'il y avait plein de choses qui n'allaient pas, qui n'étaient pas cohérentes, il y a des pistes qui n'avaient pas été investiguées par les magistrats instructeurs qui se sont succédé." explique maître Muriel Ouaknine-Melki.
"La requête était légitime, et c'est en ces termes-là qu'elle a été acceptée. On considère véritablement que la justice a fait une erreur, je ne suis pas la seule à le considérer", insiste-t-elle
J'ai notamment travaillé ce dossier et cette requête avec l'ancienne doyenne des juges d'instruction de Paris. Elle est convaincue que cette affaire n'aurait jamais dû aboutir à une condamnation.
Maître Ouaknine-MeikiAvocate d'Alain Laprie
Parcours du combattant judiciaire
Maître Muriel Ouaknine-Melki a déposé sa demande de complément d'investigation à l'été 2023 auprès de la procureure de Bordeaux Frédérique Porterie. L'aboutissement d'un travail minutieux. "Ça fait suite à la demande de Mr Alain Laprie, mais je ne l'ai fait qu'après avoir longuement étudié le dossier pendant trois mois et avoir fait beaucoup, beaucoup d'entretiens avec Mr Laprie, avant d'être certaine de me lancer dans ce parcours du combattant qui est la demande en révision" explique-t-elle.
" Il y a des éléments qui n'avaient pas été évoqués pendant l'instruction du dossier et également pendant les deux sessions de cours d'assise, explique l'avocate. J'ai donc rédigé une requête soumise au procureur de la République de Bordeaux, et des investigations sont en cours. Une partie des investigations est rentrée, l'autre partie va continuer de se dérouler. C'est pour ces raisons que je ne peux pas donner d'informations sur ce que nous recherchons."
Les proches rapidement soupçonnés
Dans la soirée du 17 mars 2004, Marie Cescon est retrouvée dans sa maison en feu à Pompignac, en Gironde. Des voisins sortent la femme de 88 ans, elle est déclarée décédée suite à l'inhalation des fumées toxiques, mais elle porte aussi la trace d'un coup violent à l'arrière de la tête.
La thèse d'un cambriolage qui aurait mal tourné est écartée, les bijoux de la victime étaient toujours sur place. L'enquête s'oriente donc vers les proches de l'octogénaire, sur sa famille et plus particulièrement sur l'un des neveux de Marie Cescon, Alain Laprie. Il aurait été le dernier à avoir vu la victime vivante.
Proche de la victime, elle en avait fait son légataire universel dans un premier temps, avant de menacer de le déshériter et que les relations ne se dégradent. L'héritage s'annonçait confortable, environ 700 000 euros. Un motif suffisant pour que les enquêteurs fassent d'Alain Laprie un suspect privilégié. Ils ne possèdent pas de preuve formelle, mais l'oncle du suspect, le frère de Marie, aujourd'hui décédé, affirmera en 2007 qu'Alain Laprie lui aurait avoué être l'auteur du meurtre.
Péripéties judiciaires
Dans les années suivantes, de multiples rebondissements judiciaires vont se succéder. Par deux fois, la chambre de l’instruction annulera partie de la procédure. En 2016, le procès peut enfin débuter. L'avocat général requiert quinze ans de réclusion criminelle. Finalement, le procès est renvoyé pendant les plaidoiries de la défense, suite à une demande de supplément d’information.
Le procès reprendra le 30 novembre 2018. Alain Laprie comparaît libre. Le Ministère public évoque un "meurtre réactionnel pour hériter" et accumule les faisceaux d'indices et les témoignages qui selon lui prouvent la culpabilité de l'accusé. Les parties civiles évoquent les relations qui s'étaient dégradées entre la tante et le neveu. Mais dans ce dossier, il manque une chose essentielle. Aucune preuve matérielle ne permet d'étayer ces accusations. Dans la soirée, la Cour d'Assise de Bordeaux rend son verdict : quatorze ans après le meurtre, Alain Laprie est acquitté au bénéfice du doute. L'homme alors âgé de 62 ans sortira libre du tribunal, entouré par sa famille, comme le racontait une équipe de France 3 Aquitaine à l'époque.
Épilogue de courte durée, puisque le Ministère public fait appel de la décision le lundi 10 décembre 2018. Le nouveau procès en appel est jugé en 2020 et cette fois, Alain Laprie est condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Il purge depuis sa peine dans le centre pénitentiaire de Mauzac, en Dordogne.
Un mégot, un ADN, et de nombreuses questions
Parmi les pièces sur lesquelles l'avocate s'est appuyée pour obtenir ce supplément d'investigation, la présence d'un mégot retrouvé sur la scène du crime, juste à côté du corps de Marie Cescon. Un mégot porteur d'un ADN masculin qui n'avait pas pu être identifié à l'époque. Les moyens modernes d'identification pourraient changer la donne.
Autre flou inexplicable dans l'enquête, aucun relevé d'empreinte digitale n'a été effectué par la gendarmerie sur la scène même du crime, dans la cuisine, au motif que les pompiers étaient intervenus. Sauf que, pointe Maître Ouaknine-Melki, les pompiers n'étaient pas intervenus dans la cuisine, puisqu'il n'y avait pas eu de feu à cet endroit. "C'est l'un des éléments qui nous ont fait sauter au plafond quand on a étudié le dossier, explique l'avocate. On n'est pas partis sur la recherche de témoignages, on est parti sur des éléments techniques et scientifiques, car les témoignages ça reste fragile, et encore plus quand vingt ans se sont écoulés. La science ayant quand même bien évolué, je pense que c'est la piste la plus judicieuse."
Tous ces faits ont été compilés par l'écrivain spécialisé dans les affaires judiciaires Philippe Jaenada dont le livre "Sans preuve & sans aveu" (Ed. Mialet-Barrault) sorti en octobre 2022, pointe les contradictions du dossier et les faiblesses de l'enquête.
Il faut que la justice accepte qu'elle peut se tromper, ça arrive. Lorsque ça arrive, qu'on a des personnes qui sont incarcérées et qui clament leur innocence, il n'y en a peut-être pas tant que ça, il faut accepter éventuellement de revoir, de réviser pour être certain de ne pas commettre l'irréparable.
Maître Ouaknine-MelkiAvocate d'Alain Laprie
"Notre objectif à nous, c'est véritablement d'obtenir la révision de ce procès", termine l'avocate parisienne qui espère réunir suffisamment d'éléments probants pour saisir la cour de révision en 2025.