La pluie abondante et constante qui se déverse depuis fin octobre sature les sols. Les nappes phréatiques sont au plus haut, les terres sont asphyxiées, l'eau paralyse l'activité agricole
Des céréales qui n'ont pas pu être semées. Quand elles l'ont été, des graines qui pourrissent dans les champs, l'impossibilité d'épandre les engrais, de labourer une terre trop humide, des animaux confinés dans les stabulations : l'interminable saison des pluies qui dure depuis la fin 2023 pèse de plus en plus lourdement sur le monde agricole.
Des champs envasés, inexploitables
Dans les Coteaux Périgourdins près de Terrasson, la famille Chanquoi constate les dégâts qui s'accroissent à chaque nouveau jour de pluie sur leur Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC).
"On a une quarantaine d'hectares de céréales et on n'a pu en semer que la moitié, parce que la pluie nous a empêché de réaliser les semis", constate amèrement Jean-Marie Chanquoi. "On devait semer des tournesols et des sorghos, mais là, pour l'instant, on ne peut pas aller labourer, il y a trop d'eau sur les terrains. Et ce qui est déjà semé, ce n'est pas joli : il y a beaucoup de pertes parce que ça s'est envasé. Il y a une partie qu'il va falloir détruire et resemer." Dans les parcelles qu'il a tenté de semer, il estime la perte à 30 %.
Céréales de printemps à l'eau
L'espoir pourrait être de se reporter sur les cultures de printemps, l'orge, le maïs, le tournesol. Mais le temps presse. "On pourrait se rattraper en semant des céréales de printemps, mais on n'a pas pu semer des orges de printemps non plus", explique Jean-Marie Chanquoi. " Les orges de printemps, il faut qu'elles murissent assez tôt, il faut les avoir semées avant le premier avril, après, il y a trop de risque de période de sécheresse."
Là, dans les conditions actuelles, on ne peut pas rentrer dans les terrains avant quinze jours. On a pris encore 45 mm de pluie en deux jours, c'est un truc de fou !
Jean-Marie ChanquoiAgriculteur
Situation d'autant plus compliquée que dans une dizaine de jours, les agriculteurs vont devoir remplir leurs déclarations PAC d'assolement, qui établissent ce qu'ils comptent cultiver sur leurs terres.
"Les nappes phréatiques sont pleines"
"La pluviométrie est excédentaire pratiquement depuis début novembre. Depuis fin 2023, on atteint 1200 mm sur certaines parties du département", confirme Éric Sourbé de la chambre d'Agriculture de la Dordogne.
"Les vallées de l'Isle, de l'Auvézère et de la Vézère ainsi que celle de la Dordogne... toutes les terres dans lesquelles l'eau des coteaux a conflué sont concernées. Ce qu'on appelle les sources, les gouttières aussi. Les nappes phréatiques sont pleines, dans les résurgences qu'on n'avait pas vu ressurgir depuis 7 ou 8 ans", liste Éric Sourbé. "Moi, je suis exploitant depuis une quarantaine d'années, pour voir de la pluviométrie excédentaire comme ça, il faudrait revenir dans les années 80."
Des animaux confinés depuis quatre mois
Toute cette humidité promet une récolte de foin conséquente, mais l'herbe qui pousse actuellement n'est pas exploitée dans les pâturages, car le sol détrempé ne permet pas de sortir les animaux. S'ils sortaient, leur piétinement labourerait les sols et détruirait les prairies. Dans leur ferme, la plupart des cent bovins reste confinée. "Cette année, on les avait rentrés tôt, le 10 novembre dernier, à cause des pluies, justement. Et depuis, il pleut toujours".
En attendant, les animaux confinés font baisser le stock de fourrage, "On en garde toujours pour l'été au cas où il y aurait une période de sécheresse, et là, on est en train de la consommer", constate Jean-Marie Chanquoi.
Même si le temps s'améliore dans les jours à venir, le phénomène aura des répercussions sur plusieurs mois, à commencer sur le prix de la paille qui risque de s'enflammer en raison de sa rareté. Pas de blé semé aujourd'hui, pas de paille demain.
Il y a beaucoup de régions où ils n'ont rien semé non plus, et il va y avoir une grosse pénurie de paille cette année
Jean-Marie Chanquoi, agriculteur
De l'utilité des assurances
Les Chanquoi ont déjà fait une déclaration auprès de leur assurance. Une garantie coûteuse, mais nécessaire, à laquelle ils s'astreignent depuis vingt ans. Un contrat couvre les risques de grêle et d'intempérie, un autre les pertes de récolte. "Ça coûte un peu d'argent, mais en principe ça couvre la perte", reconnaît l'agriculteur. En attendant, il guette la météo en espérant des jours meilleurs dans un métier décidément en pleine zone de turbulences.