Cyril, un éleveur bovin en Dordogne, livre la longue liste des difficultés du métier avec des normes à rallonges et le sort qui semble s'acharner sur son exploitation. Selon lui, si les agriculteurs manifestent avec tant d'ampleur, c'est qu'ils ont l'impression de ne pas avoir été entendus après des mois, des années de détérioration de leur activité.
Comme tous les matins, sept jours sur sept, Cyril Condemine était à pied d'œuvre à 7h du matin pour faire le tour de son cheptel, vérifier qu'il n'y a pas eu de problème dans la nuit avant de nourrir ses bêtes. Viendront ensuite, selon la saison, les travaux dans les champs.
Cyril a fait le choix de produire lui-même l'alimentation de ses animaux, ensilage d'herbe, de sorgho ou de maïs, céréales. Un choix qui offre un peu plus d'autonomie, mais double sa charge de travail et donne des résultats un peu moins spectaculaires qu'avec les aliments du commerce.
Trente ans de métier
Cet agriculteur-éleveur bovin est installé depuis 1995 à Saint-Privat-des-Prés, à l'ouest de Ribérac. Une installation en GAEC avec ses parents. En 2007, lorsque ses parents ont pris leur retraite, il s'est associé avec un collègue pour reprendre l'exploitation.
Étouffé par les charges
Et depuis son installation, il a vu ses conditions de vie se dégrader. "On vend aujourd'hui la viande au même prix qu'il y a trente ans, alors que tout le reste augmente", se désole-t-il. "La marge n'est plus là. Vous pouvez prendre aujourd'hui n'importe quelle comptabilité d'une exploitation agricole, vous verrez que les postes qui nous tuent, ce sont les intrants, la mécanisation, le carburant qui s'envole, c'est une catastrophe".
Aujourd'hui c'est de la spéculation, c'est pas notre boulot à nous de faire ça
Cyril Condemine, agriculteur
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Charges, aléas climatiques, règlementation contraignante, Cyril Condemine explique les raisons du désespoir des agriculteurs
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©France télévisions
Fuite en avant
Pour ne pas disparaître, les agriculteurs se sont adaptés à la tendance agro-industrielle de ces dernières années. Ils ont le plus souvent agrandi leurs exploitations, mécanisé leurs procédés. Ils ont exploité plus, se sont endettés pour du matériel, sont devenus dépendants des fournisseurs d'engin et de produits, des banques, des assurances, et plus récemment, de l'énergie. "Les exploitations sont de plus en plus grosses, le matériel a suivi aussi, et il faut du carburant pour faire tourner tout ça," confirme Cyril. "C'est tout ce qu'on rajoute bout-à-bout qui fait qu'on n'a plus de marge, qu'on ne sort plus rien".
On vit que pour les normes qui se succèdent les unes aux autres et c'est ça qui va plus dans notre métier
Cyril CondemineEleveur
La PAC à l'origine de tous les maux ?
"C'est la PAC [Politique Agricole Commune, ndlr] qui ne va pas, en général, analyse l'éleveur. En 92, on a eu la PAC, les aides compensatrices à la baisse du prix du cours des céréales. Aujourd'hui, on dit qu'on touche des primes, mais non ! Il faut bien se rappeler que c'étaient des aides compensatrices à la baisse du prix." Une PAC qui s'est déclinée dans beaucoup de secteurs, sans faire l'unanimité.
Un vert toxique
Cyril Condemine pointe aussi l'une des autres grandes causes de colère du monde agricole, les mesures en faveur de l'écologie. "Là, on ne parle que du verdissement, mais le verdissement va perdre notre agriculture française. On en est arrivé à un stade où on nous dit qu'il faut produire "de l'exploitation à l'assiette", alors qu'on importe des produits arrivant d'autres pays qui n'ont pas du tout les mêmes règles de production, qui n'emploient pas du tout les mêmes produits." Sans compter le prix de la main-d'œuvre nettement défavorable aux paysans français. "C'est là où ça ne va pas," continue l'agriculteur, "on n'est pas du tout sur un pied d'égalité en Europe".
Quand le sort s'acharne
La liste est longue, mais elle ne s'arrête pas là, car la nature elle-même en a rajouté. Pluies, chaleur, sècheresse, gel et l'épisode dramatique de grêle qu'ont connu les Ribéracois en juin 2022 ont épuisé les trésoreries. En 2022, son exploitation est alors touchée par la peste bovine. À l'époque, Cyril et son associé ont préféré abattre leur cheptel en totalité pour faire face. Et le temps de reconstituer son troupeau, au mois d'août suivant, les tarifs avaient sensiblement augmenté en raison de la guerre en Ukraine. Conséquences : un troupeau moins important, et une perte de 50 000 euros. La liste est longue, alors, quand on lui pose la question de son fils qui envisage de le rejoindre sur l'exploitation et de son avenir, l'agriculteur ne répond pas, il préfère se détourner, pudiquement...