À six semaines des fêtes de fin d’année, les ostréiculteurs, qui ont subi de plein fouet les dernières tempêtes, sont lancés dans une course contre-la-montre pour sauver les huîtres qui peuvent encore l’être.
C’est un travail sans relâche. Depuis bientôt deux semaines, les ostréiculteurs mènent une lutte sans merci. Un quotidien rythmé par des allers-retours sur les parcs à huîtres et les cabanes ostréicoles.
Ici, les dernières tempêtes Céline, Ciaran et Domingos ont sérieusement abîmé l’image de carte postale. Le banc d’Arguin, qui représente près de 10 % de la production d’huîtres du Bassin d’Arcachon, a été coupé en deux par la puissance de la houle, conjugué à l’effet des grandes marées. Les parcs à huîtres font maintenant face à l’océan. Le banc de sable s’est percé et la mer est entrée sur les concessions.
Un spectacle de désolation et des années de travail réduites à néant. Au lendemain du passage de Celine, Alain Poueydebasque, l’un des 142 ostréiculteurs de la réserve naturelle, constatait l’ampleur des dégâts, sans cacher ses larmes. "Trois ans de travail ! Avec la conjoncture, le Covid qui est passé par là, l’inflation, et en plus, on a ça, c'est l’apocalypse, c'est catastrophique !"
Les parcs ostréicoles face aux assauts de l’océan
Avec le banc d’Arguin qui ne joue plus son rôle de barrière naturelle, des milliers de tonnes de sable, se sont déversées sur les parcs, enterrant les poches d'huîtres, jusqu’à plusieurs mètres de profondeur à certains endroits. "Il y a eu un effet bétonnière. Avec les vagues de la mer sur lesquelles on ne peut pas lutter, les huîtres ont été ensablées ! Elles n’ont pas pu s’ouvrir et elles sont mortes par manque d’oxygène", constate, amer, l'ostréiculteur.
Depuis, comme ses confrères, Alain Poueydebasque est parti dans une opération commando, " le bagne sans la Guyane " comme il dit. Il s’agit de sauver ce qui peut encore l’être. À chaque marée basse, il rejoint donc son parc à bord de sa plate. Une fois sur place, il faut sortir une à une les poches d’huîtres pour les ramener dans leurs viviers ou sur d'autres parcs. Chacune ne pèse pas moins de 40 kilos. La durée de survie est de trois à quatre jours. Même en travaillant sans relâche, il sait qu’une grande partie de sa production sera perdue.
Vérification faite une fois de retour dans sa cabane ostréicole. " Voilà, les huîtres qu’on a ramenées du banc d’Arguin qui ont été ensablées et voilà le résultat ! Dans ce que l’on a sauvé, il y a 50 % de mortalité. Les huîtres sont mortes, asphyxiées, étouffées"
C’est là qu’il trie, à la main, les coquillages rapatriés. Ce matin, la perte est importante. "On le voit, toute la pousse a été ébréchée par l’effet du mauvais temps. On ne sort plus que de la petite. Regardez, on a déjà sorti trois casiers de petites et on n’a que deux douzaines de numéro deux. Normalement, je devrais avoir trois casiers de deux et un casier de rebut."
Si l’ostréiculteur a retrouvé un sourire timide, il reste très inquiet pour les semaines à venir et avoue " se gratter la tête ". Un tiers du stock est encore sous le sable.
Y aura-t-il des huîtres à Noël ?
Nous sommes à l’approche des fêtes de fin d'année, période pendant laquelle il réalise la majeure partie de son chiffre d’affaires. Cette année, la marchandise sera là, mais pas la quantité.
"Nous n’aurons pas de gros calibres. C’est un manque à gagner, car je les vends plus cher. Ça va être très compliqué. J’aurais ce qu’il faut pour les petits calibres, mais pour les gros, il faut que pour Noël, les clients les commandent dès maintenant. Je leur ai dit que je n’en aurais pas suffisamment ".
Le Comité régional de la conchyliculture estime que 20 des 45 hectares de parcs à huîtres exploités dans la réserve naturelle nationale ont été détruits. Les professionnels ont perdu 160 tonnes de coquillages.
Trois ans de travail anéantis en trois nuits
Noël n’est pas encore passé, mais Alain Poueydebasque s’interroge déjà à plus long terme. Quelles conséquences auront ces tempêtes sur les collecteurs ? Ces systèmes à base d’ardoises, de tuiles, de coquilles sur lesquels les larves d'huîtres viennent se fixer pour commencer leur développement sont, eux aussi, impactés. Beaucoup sont tombés à terre et servent désormais de nourriture aux prédateurs comme les crabes et les crevettes.
"Il faut savoir qu’on élève nos huîtres depuis le stade du plancton. Quand on prend sur le collecteur, les huîtres mesurent quatre millimètres et trois ans plus tard à Noël, elles pèsent 80 grammes !"
Des clients fidèles et solidaires
En ces temps sombres, l’artisan garde confiance en ses clients, certain, que s’ils ne peuvent acheter de gros calibres, ils se contenteront de plus petits.
" Mes clients m’ont toujours fait vivre, et je reste sur cet esprit-là. On est obligé de baisser la tête contre les éléments, mais il faut se relever ! On doit avancer. Je sers des clients aujourd’hui, que j’ai vus il y a 23 ans dans le ventre de leur mère, c’est particulier. Il y a par exemple, trois générations à qui je vends mes produits sur un même point de vente."
Les clients : la garantie pour Alain Poueydebasque de garder foi en son métier. L’homme du bassin d’Arcachon est reconnaissant. Un mot, un geste. Depuis ces évènements climatiques, il explique être très touché par la solidarité qu’il constate autour de lui.
Un client m’a même proposé un crédit dimanche dernier, il m’a dit je vous donne un chèque et vous me paierez en huîtres
Alain Poueydebasque, ostréiculteurFrance 3 Aquitaine
"Je ne peux pas avoir meilleure récompense au bout de 20 ans de travail ! ", sourit l'ostréiculteur. La tête dans le guidon, Alain Poueydebasque sait que le travail est encore long. Bientôt, il faudra aussi nettoyer les traces laissées par les tempêtes dans cette réserve naturelle. Un lieu magique en face de la dune du Pilat qui permet aux huîtres de pousser très vite, mais un endroit risqué, soumis aux aléas naturels.