Jean-Claude, surnommé Papy Gaston, et son frère Jean-Pierre, luttent tous les deux depuis plusieurs années pour sauvegarder la cabane de résinier sur le bassin d'Arcachon, où vit Jean-Claude depuis 74 ans. Le propriétaire des lieux lui a donné jusqu'au 1ᵉʳ octobre pour déménager.
Son corps a parlé pour lui. "Je me suis évanoui dès que j'ai pris connaissance de la demande d'expulsion", confie Jean-Claude. Celui que ses voisins et amis appellent "Papy Gaston" n'arrive toujours pas y croire. À 85 ans, après sept décennies de vie dans cette cabane de résinier, située à la Teste-de-Buch en Gironde, il est sommé de quitter les lieux. Il a jusqu'au 1ᵉʳ octobre, lui a annoncé en avril une lettre du propriétaire, le Conservatoire du littoral, avec lequel il a conclu un accord tacite d'occupation des lieux, il y a maintenant 42 ans.
Toilettes dans le jardin et cuisinière à bois
À peine visible de la route départementale, cette cabane aux tuiles orange est composée de trois pièces de vie, d'une dizaine de mètres carrés chacune. Les toilettes sont dans le jardin et la cuisine comporte encore sa cuisinière à bois. Ce décor rustique, Papy Gaston ne le quitterait pour rien au monde. Pour cause, il y vit depuis 1950. À onze ans, son père a eu l'occasion d'y installer sa famille pour exercer sa profession de résinier. "C'était un logement de fonction pour les gemmeurs du coin", rapporte son frère Jean-Pierre.
Au tournant des années 1980, l'Etat acquiert plusieurs terrains situés sur la commune, ainsi que leur patrimoine bâti, dont cette cabane de résinier. Un ensemble de sites que le Ministère français de l'Équipement finira par céder au Conservatoire du littoral, alors fondé quelques années auparavant, en 1975. À la suite d'un accord tacite conclu entre la famille et l'institution, Jean-Claude est autorisé à y vivre jusqu'à la mort de sa mère. Un évènement survenu en 2008.
Il vit sous des bâches depuis quatre ans !
Jean-Pierre GastonRetraité, frère de Jean-Claude Gaston
Cette même année, en 2008, Papy Gaston s'est rapproché d'un conseiller général de la commune, pour prolonger son occupation des lieux. Le Conservatoire a accepté, avant de revenir sur sa décision douze ans plus tard, lorsqu'un accident s'est produit en 2020. "Un grand chêne a chuté sur la cabane, se souvient Jean-Pierre Gaston. Il a détruit la face ouest de la toiture, ainsi qu'une partie de la charpente."
La cabane déclarée insalubre et dangereuse
Pour constater les dégâts, des experts de l'entreprise de charpente Ramon se sont rendus sur place à la demande du Conservatoire en octobre 2021. Jean-Pierre s'en souvient : "la cabane a été déclarée insalubre et dangereuse". En cause, l'état général de la charpente et la présence d'insectes xylophages dans le bois. Face à ce constat, l'institution a ordonné à Jean-Claude de quitter les lieux pour sa sécurité. Son frère s'inquiète : "si on le sort de là, il va être déraciné."
Difficile pour Antoine Rechagneux de rester insensible au sort de Jean-Claude. Cet exploitant agricole, qui s'est installé dans la maison voisine il y a huit ans, a monté une cagnotte en ligne une fois le chêne tombé. Le but : remettre le site aux normes et éviter au Conservatoire de débourser de l'argent. Il espérait que l'institution laisse son ami profiter de sa cabane d'enfance. Un plan écrit noir sur blanc dans une lettre datée de février 2022 et réitérée le mois suivant, à l'attention du Conservatoire.
"Nous ne sommes pas un bailleur social"
Dans leurs écrits, les deux frères ont proposé à l'institution de signer une convention d'occupation précaire, une sorte d'alternative au contrat de location moyennant une contrepartie financière. Une hypothèse qui semblait porter ses fruits : "nous avons quand même reçu 6 000 euros de promesses de dons et plusieurs chèques", se rappelle Antoine Rechagneux.
C'est une situation exceptionnelle. Nous n'avons jamais été confrontés à ce problème
Un membre du Conservatoire du littoral
Pour le Conservatoire du littoral, cette solution n'est pas envisageable. "Cette idée pose un problème de responsabilité puisque le conservatoire est propriétaire des lieux, tient à rappeler un membre de l'institution. De plus, nous ne sommes pas un bailleur social, notre mission n'est pas d'héberger des particuliers, mais d'ouvrir nos terrains au public, poursuit l'interlocutrice. Quoi qu'il en soit, la cabane ne sera pas rasée comme on l'entend dire partout."
L'espoir d'un autre logement
Dans cette lutte qui oppose ces deux particuliers à cette institution nationale, Jean-Pierre n'a pas eu le choix que d'envisager un déménagement pour son frère aîné. En 2021, il s'est rapproché du Centre communal d'action sociale (CCAS) de la Teste-de-Buch. Mais la seule offre disponible ne correspondait pas aux besoins de l'octogénaire. Une seconde demande a donc été formulée en avril. "On nous a dit qu'il n'y avait aucun logement de disponible avant trois ans d'attente", s'angoisse Jean-Pierre.
"La dignité n'est pas de vivre dans un logement décent. C'est de vivre là où l'on a envie d'être", conclut de son côté Antoine Rechagneux. Le voisin salue la détermination et la volonté de Jean-Pierre pour aider son frère, qui souffre par ailleurs de diabète. Papy Gaston semble, lui, dépassé par les évènements. "J'ai plein de fleurs à planter, mais où vais-je les mettre si je dois partir ?", s'interroge-t-il, à deux mois et demi de son éventuel départ.