117 pisseurs volontaires girondins déposeront plainte ensemble mercredi 24 juin auprès du TGI de Bordeaux. Ils poursuivent les responsables de firmes, d'organismes ou personnalités politiques ayant contribué au renouvellement de l'autorisation du glyphosate fin 2017. En toute connaissance de cause.
"On veut faire réfléchir ceux qui ont signé pour autoriser l'utilisation du glyphosate"
Jacky Berrahil, l'un des responsables de l'association Campagne Glyphosate 33, ne sait pas quelles sont les chances que les plaintes ont d'aboutir mais "on ne sait jamais" dit-il, "ça peut faire peur" et permettre de "réorienter les choix agronomiques".
Il a été l'un des acteurs de l'opération "j'ai du glyphosate dans mes urines, et toi?" en Gironde.
Les prélèvements étant terminés, l'heure est au dépôt de plainte. Sur les 137 "pisseurs volontaires" du département, 117 ont constitué un dossier.
Leurs plaintes, élaborées selon un même modèle, seront déposées mercredi au greffe du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux. Elles s'ajouteront aux près de 6000 déjà déposées à travers la France qui seront toutes transmises au pôle Santé Publique du Tribunal Judiciaire de Paris.
Cibler des dirigeants responsables
Les plaignants visent personnellement les présidents et membres des conseils d’administration en poste aux 3ème et 4ème trimestre 2017 et au 1er trimestre 2018 (période où l'Union Européenne a donné son feu vert au renouvellement pour 5 ans de l'autorisation de l'herbicide classé comme "probablement cancérigènes pour les humains" par l'Organisation Mondiale de la Santé) :
- tous les fabricants de pesticides contenant du glyphosate
- de la commission européenne
- de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)
- de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques
- de l’Autorité européenne de sécurité des aliments
- de l’Agence européenne des produits chimiques
- des laboratoires "qui auraient falsifié ou tronqué les résultats de leurs analyses permettant ainsi la prolongation des mises sur le marché des pesticides contenant du glyphosate".
Ils demandent à la justice de vérifier l’implication de ces personnes "dans la distribution et la large diffusion dans l’environnement de molécules probablement cancérigène de glyphosate".
Taux de 0,14 à 3 nanogrammes par litre de sang
"100% des tests que nous avons effectués en Gironde se sont révélés positifs avec des taux allant de 0,14 à 3,52 nanogrammes par millilitre" affirme Jacky Berrahil.
La moyenne des taux relevés au niveau national est de 1,20 ng/ml selon l'association qui précise que parmi les quelques 6000 prélèvements réalisés, une poignée seulement est en dessous du seuil de détection du glyphosate ( 0,075 ng/ml).
Elle souligne par ailleurs que la limite de qualité fixée par la présence de pesticide dans l'eau potable est de 1ng/ml.
Cependant l'agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) fixe la valeur toxicologique de référence ou dose journalière admissible du glyphosate à 0,5 mg/kg de poids corporel/jour, soit "pour un consommateur de 60 kg, une absorption quotidienne de 30 mg de glyphosate". Elle ajoute que la valeur maximale dans les eaux destinées à la consommation humaine est fixée à 900 microgrammes par litre de glyphosate.
Des valeurs officielles bien supérieures à celles relevées par Campagne Glyphosate.
Mais l'Anses doit prochainement publier les résultats d'une nouvelle étude, le programme Matphyto, sur l'exposition du monde agricole aux pesticides. Elle reconnaît, s'appuyant sur des conclusions de l'Inserm, "l'implication des pesticides dans plusieurs pathologies chez des personnes exposées professionnellement à ces substances, en particulier des pathologies cancéreuses, des maladies neurologiques et des troubles de la reproduction".
Les résultats devraient permettre de fixer de nouveaux seuils limites pour le glyphosate notamment.
Généraliser les alternatives aux pesticides
Jacky Berrahil sait "qu'il n'y a pas de combat qui se gagne en claquant des doigts du jour au lendemain" mais cette campagne des pisseurs volontaires "a au moins permis une prise de conscience" se réjouit-il.
Selon lui les résultats montrent que "la population est clairement soumise aux pollutions. Et on ne connaît pas les incidences sur la santé. Les cancers, les lymphomes sont en hausse constante, derrière ça c'est tous les pesticides que l'on vise" prévient le militant également engagé dans le combat contre les OGM au sein des faucheurs volontaires.
"Il s'agit de peser au moins aussi fort que ceux qui défendent les pesticides, aussi bien les firmes que ceux qui n'ont pas compris qu'il existe des alternatives" dit-il pointant du doigt les responsables du syndicat agricole de la FNSEA.
Du côté des pouvoirs publics, le gouvernement travaille à inciter les agriculteurs à la mise en oeuvre de ces alternatives comme le rappelle ce tweet du chef de l'Etat.
Sortir du glyphosate sous 3 ans.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 23, 2019
Pour les agriculteurs : il ne faut pas voir ça comme une contrainte, mais comme une opportunité d'évoluer profondément. On ne laissera personne sans solution.
Mais le pari est encore loin d'être gagné.
Que deviendront les plaintes des pisseurs volontaires ? Permettront-elles d'accélérer la reconversion vers une agriculture durable ? Une enquête sera t-elle ouverte ? Des personnalités seront-elles poursuivies ?
Tout dépendra du Parquet du pôle de santé du Tribunal judiciaire de Paris.
La plainte dénonce la décision européenne de renouveler le glyphosate "prise dans des circonstances opaques sur la base d’analyses lacunaires (...) d’études d’impact insuffisantes et de dossiers partiaux réalisés par la « Glyphosate task force » copiés-collés sans vérification par les institutions européennes".
L'objet : mise en danger de la vie d’autrui, tromperie aggravée et atteintes à l’environnement (destruction de la biodiversité, pollution des cours d’eau, des nappes phréatiques, des sols …), le cas échéant, en réunion.
Mercredi 24 juin tous les plaignants girondins et sympathisants sont invités à se rassembler devant le palais de justice à 13h30 au moment du dépôt de plainte.