Ce lundi 24 avril 2023, la question de la sécurité au travail est au centre d’un procès au tribunal judiciaire de Bordeaux après le décès de Steven Jaubert, un artisan couvreur de 27 ans sur un chantier en septembre 2020. Le parquet a requis 50 000 euros d'amende à l'encontre de son employeur. Le jugement sera connu le 22 mai prochain.
C’est un procès qui compte beaucoup pour la famille et les anciens collègues de Steven Jaubert. Ils veulent ainsi alerter sur le fléau de la mort au travail, notamment chez les ouvriers du bâtiment. La France est le pays européen le plus touché selon EuroStat.
Alors que le procès -pour homicide involontaire- de l’employeur de Steven s’est ouvert ce lundi peu avant 15 heures, des membres de la CGT construction ont installé une petite tente sur le parvis du tribunal pour sensibiliser les passants aux accidents mortels du travail.
Chute de cinq mètres de hauteur
Le 17 septembre 2020, à Bordeaux, Steven était en train de peindre le toit d’un parking, à cinq mètres de hauteur, debout sur des plaques de fibrociment de quelques millimètres d’épaisseur. Une plaque s’est alors brisée provoquant la chute de l’artisan qui travaillait sans protection.
Nathaniel Creters, son collègue le jour du drame, est présent à l’audience. Dimanche 23 avril, il a témoigné sur France 3 Aquitaine et accusait son patron.
J’en veux à mon employeur. Il a menti sur la dangerosité du chantier. Il aurait fallu faire venir une entreprise tierce pour installer des filets sous les plaques et mettre un système de planchers. Je pense que mon employeur voulait qu’on fasse vite.
Nathaniel Creters, ancien collègue de Steven JaubertFrance 3 Aquitaine
Consignes de sécurité non respectées ?
Ce lundi, à l'audience, les points de vue s'opposent. Interrogée par la cour, la gérante assure qu’il n’y a pas eu de manquement, que les consignes avaient été données comme d’habitude. "Les ouvriers avaient tout le matériel de sécurité à leur disposition et devaient l'utiliser. Ils avaient des casques, des harnais et des points d’ancrages pour assurer leur sécurité." La responsable indique qu'elle avait déjà fait un rappel à l’ordre à la victime, qui ne voulait pas porter de casque.
Le père de la cheffe de l’entreprise, ancien gérant jusqu'en 2018 était présent au début du chantier. Il va dans le sens de sa fille et trouve que les ouvriers s'équipent moins d'une façon générale. "Avant il y avait plus de casques sur les toits et sur les têtes" dit-il.
D'après un avocat des parties civiles, le père de la gérante n’aurait pas demandé d’utiliser un matériel spécifique pour la sécurité. Il aurait simplement demandé "de ne pas marcher au centre des plaques, mais sur les parties boulonnées".
Carences de l'enquête
Steven Jaubert avait été conduit à l'hôpital avec un grave traumatisme crânien. Il est décédé des suites de ses blessures, au terme de huit jours d’hospitalisation après avoir été placé dans un coma artificiel.
Malheureusement pour l'enquête, aucune constatation n'a été faite le jour même de l'accident, où étaient intervenus la police municipale et les pompiers. La police judiciaire et l'inspection du travail ne se sont déplacés sur les lieux que onze jours après.
Dans son réquisitoire, la représentante du parquet a souligné les carences dans l’enquête et évoque aussi un "manquement de consignes de sécurité".
Si comportement irresponsable il y a, c’est celui de l’employeur.
Procureur de Bordeaux
Elle a requis une amende de 50 000 euros pour manquement aux obligations de sécurité du salarié.
"Quoi qu'on dise sur le comportement de Steven Jaubert, il n'y a pas eu d'évalutation suffisante des risques par l'employeur comme l'a dit l'inspection du travail. C'est à l'employeur et au chef d'équipe de rappeler aux salariés de porter les équipements de sécurité. C'est la responsabilité de l'employeur" a déclaré Maître Christian Dubarry pour les parties civiles, à l'issue du procès.
"L'inspection du travail a réalisé une enquête famélique" a indiqué Maître Christophe Biais avocat de La Défense. "Les deux ouvriers ont décidé de s'affranchir des règles élémentaires de sécurité. C'est la cause de ce regretté décès. Ils ont même déjeuné sur le toit. De par leurs diplômes, ils savent qu'il faut porter des harnais sur un toit. Les gérants n'ont rien à se reprocher."
Le jugement a été mis en délibéré au 22 mai prochain.
Avant le procès, Sarah Jaubert, sœur de Steven, avait également témoigné auprès de France 3 Aquitaine. "J'aimerais que mon frère soit reconnu comme victime. Qu'il soit dit que rien n'est de sa faute. Pour pouvoir avancer".
Depuis l’accident, Sarah a rejoint un collectif de familles en deuil d’un proche mort au travail, "Collectif familles : stop à la mort au travail" qui collecte de nombreuses données et apporte un soutien aux familles de victimes.