C’est un procès que sa famille veut symbolique pour dénoncer le fléau de la mort au travail. Lundi 24 avril se tient au tribunal correctionnel de Bordeaux le procès impliquant l’entreprise de ce couvreur mort après avoir chuté de 5 mètres de haut sur un chantier le 17 septembre 2020.
" Évidemment qu’on veut dénoncer ce fléau, mais le procès est aussi pour faire inculper d’homicide involontaire la patronne qui a employé mon frère" nous déclare Sarah, la sœur de Steven. " Et on espère qu’on va se faire reconnaître comme victimes", en évoquant tous les proches de son frère, dont sa belle-sœur sur le point d’accoucher lorsque le drame se déroule, sa mère et bien sûr elle-même.
"Pour moi, elle les a envoyés à l’abattoir et recommencera"
Lorsque Steven tombe du toit d’un parking en travaux dans le quartier en Nansouty à Bordeaux, le 17 septembre 2020 à 13 h, il y a été envoyé pour nettoyer le revêtement en Everite (plaques de fibrociment) avec un collègue de 19 ans, Nathaniel.
Un collègue qui donne l’alerte immédiatement en prévenant les pompiers et sa cheffe. Cette dernière prévient alors la police municipale, qui à son tour, contacte la famille.
La cheffe de l’entreprise pour laquelle travaillait Steven Jaubert est accusée d’homicide involontaire. À l'origine de la plainte, des constats de manquements aux règles de sécurité élémentaires, faits par la famille et des propos rapportés par ses collègues à l’inspection du travail.
Son décès avait marqué les esprits. Une marche blanche avait eu lieu quelques semaines après sa mort.
Juste un short et des chaussures de sécurité
Steven Jaubert a succombé à ses blessures au terme de 8 jours d’hospitalisation au CHU de Pellegrin, après avoir été placé dans un coma artificiel. La famille a récupéré ses effets personnels ensuite : "On n’a récupéré qu’un short et des chaussures de sécurité !", nous déclare Sarah, encore sonnée.
Elle et sa mère se rapprochent alors du collègue qui était avec lui sur le toit, "sur le chantier, ils n'avaient que quatre planches abîmées pour 1600 m² d’Everite". Ni casque, ni filets de sécurité, ni masque. "Ils n’avaient rien, pas même de chef de chantier. Les seules recommandations ont été de marcher sur les îlots", nous raconte Sarah après avoir enquêté sur les conditions de travail de son frère. Une sœur meurtrie, inconsolable.
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"Je suis en colère parce que mon frère nous en avait parlé un peu avant du fait qu’il ne se sentait pas du tout en sécurité." Avant d’évoquer les réactions d’un collègue sur un chantier similaire : "Il avait déjà un collègue qui avait exercé son droit de retrait", reprend-elle. Mais son frère était sous pression, car il allait être papa, quelques mois après.
Je suis très en colère que la patronne ait pu laisser des ouvriers travailler dans ces conditions. Pour moi, elle les a envoyés à l’abattoir et elle continuera. Elle envoie des intérimaires sans formation. Elle a demandé à Nathaniel de revenir (sur le chantier) et d’y retourner (sur le toit) le lendemain."
Sarah Jaubert, soeur de Stevenà rédaction web France 3 Aquitaine
Pour Maître Christophe Biais, l'avocat de l'entreprise, les deux ouvriers, ce jour-là, avaient des harnais et des planches à disposition, mais marchaient directement sur l'Everite.
"Tenez-vous bien, l'inspection du travail n'a entendu que le témoin et le chef d'équipe et n'a pas mené de réelles enquêtes, alors que tous les voyants étaient au vert", nous dit le conseil. Il argue également du fait que personne ne serait monté sur le toit pour établir des constats.
"Il y a eu trois morts par jour cette année, des fois 4"
Depuis l’accident de son frère, Sarah a rejoint un collectif de familles en deuil d’un proche mort au travail, "Collectif familles : stop à la mort au travail", avec lequel elle collecte de nombreuses données. Avec lequel elle tente, par ailleurs, d’apporter un soutien psychologique aux familles.
"Je donne mon aide quand je peux et on se soutient mutuellement et émotionnellement sur plein de choses. C’est super important et ça fait partie de ma vie maintenant ce collectif.", nous explique-t-elle.
"On n'est pas sur une hécatombe, mais pas loin."
Denis Boutineaud est responsable du dossier mort au travail pour sa fédération CGT de la construction. Depuis l’épisode de Covid, il observe à quel point les manquements aux règles élémentaires de sécurité sont pratiqués dans les entreprises du BTP. "C’est hélas en train de s’aggraver cette année » martèle-t-il.
La France est recordman européen du nombre de morts au travail, Un triste record !
Denis Boutineaud, sécrétaire de l'Union Régionale CGT de la Construction, du Bois et de l'Ameublement Nouvelle Aquitaineà France 3 Aquitaine, rédaction Web
Les derniers chiffres du CARSAT sont de 232 morts pour l’année dernière. Des chiffres qui ne portent que sur les salariés déclarés auprès de la sécurité sociale, dont il faut donc ôter les étrangers légaux ainsi que les travailleurs illégaux, mais également les intérimaires et les autoentrepreneurs qui ne font pas partie des statistiques,
"Dans chaque chantier, on a aussi les intérimaires et les autres métiers qui ne sont pas comptabilisés. (Salariés détachés qui viennent de l’étranger et qui ne sont pas rattachés à la sécu) plus tous ceux qui ne sont pas déclarés", souligne le syndicaliste.
Métiers du BTP: record des accidents du travail
Les accidents mortels augmentent, nous répète Denis Boutineaud. Sur le chantier du "Grand Paris Express, on est au 5ᵉ mort depuis le début des travaux". Des travaux commencés il y a un peu plus de deux ans. La semaine dernière, un bloc de béton est tombé sur la tête d'un jeune de 23 ans.
En Aquitaine, le syndicaliste nous rappelle quelques accidents récents, qui l'ont marqué. "A la verrerie de Vayre, un cordiste est tombé il y a 2,3 mois. Le 9 février, une grue est tombée, le grutier est décédé et c’était un jeune père de famille". Mais, en règle générale, nous dit-il,"On a beaucoup de mal à le savoir. Souvent, c'est un entrefilet dans le journal."
« C’est un drame quotidien dans nos professions. C'est le premier métier dans lequel il y a des accidents du travail. Il faut que ça cesse".
Denis Boutineaud, sécrétaire de l'Union Régionale CGT de la Construction, du Bois et de l'Ameublement Nouvelle Aquitaine
Denis Boutineaud insiste sur un autre facteur qui a également contribué à la dégradation des conditions de sécurité : "La fin des CHSCT a fait que les conditions de travail sur les chantiers ont été dégradées. Avec la création des CSSCT, il n’y a plus d’heures de délégation et plus les mêmes pouvoirs d’agir pour améliorer les conditions de travail."
Pour les familles des salariés qui voient juste un entrefilet sans nom sans rien, c’est quelque part juste une deuxième mort. C’est juste un chiffre de statistiques de plus.
Denis Boutineaud, Secrétaire de l'Union Régionale CGT de la Construction, du Bois et de l'Ameublement Nouvelle Aquitaineà rédaction web France 3 Aquitaine
Action collective
"On essaye de faire installer des stèles là où il y a eu des morts", nous raconte Denis Boutineaud, afin de créer des lieux de recueillement et de laisser des traces, des noms. À Pujols, celle-ci a été déposée et inaugurée avec la sous-préfète, afin de rendre hommage à Guillaume Garrido, intérimaire décédé, 2017 sur le chantier de la RN 21 en Lot-et-Garonne.
"On essaye aussi de le faire à Bordeaux, on a envoyé quatre lettres à la Mairie pour Steven. Ça commence à bouger au bout de deux ans, mais il ne faut pas lâcher".
Le syndicaliste se bat par ailleurs pour qu’il y ait un statut « Veuve et orphelin de la profession du bâtiment", comme cela se fait pour d’autres professions dangereuses, comme les pompiers ou les gardiens de la paix.
Lundi 24 avril à 12 h, avant que ne commence l’audience, un rassemblement est organisé devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, à l’initiative du collectif stopalamortautravail@gmail.com.