Quarante-trois victimes ont péri dans l'embrasement de l'autocar et du camion le 23 octobre 2015. Les familles craignent un non-lieu de la justice qui les priverait d'un procès pour établir toutes les responsabilités. Elles considèrent toujours que les normes de sécurité doivent évoluer.
A la base, c'est un accident bénin, un choc très faible. Certaines personnes dans le bus s'en sont à peine aperçu. Mais un choc entre un semi-remorque et un autocar qui a provoqué l'un des accidents de car les plus meurtriers, le 23 octobre 2015.
Quarante trois personnes sont décédées ce jour là, au petit matin, sur une route de campagne sur la commune de Puisseguin dans le Libournais.
Cinq après le drame, les familles restent toujours sans réponse, du moins sur la chaîne des responsabilités. Le chauffeur du camion qui s'est déporté sur la route est décédé dans l'accident ainsi que son enfant de 3 ans assis à ses côtés. Mais comment expliquer l'embrasement qui est à l'origine de la mort des passagers du bus, les membres du club du 3e âge du village voisin de Petit-Palais-et-Cornemps et l'accompagnatrice qui partaient pour une journée festive en Béarn ?
Michel Vigier, qui représente l'association des familles des victimes, témoigne du sentiment aujourd'hui qui les anime. "Pour être honnête, le temps a fait que les plaies se referment partiellement mais elle restent ouvertes. Les gens sont extrêmement déçus par la tournure qu'a pris l'enquête."
Et pour cause : le dossier judiciaire prend doucement le chemin du non lieu. La crainte des familles est qu'il n'y ait, au final, pas de procès. " Ça va être douleureux. Ils le pressentaient mais c'est compliqué. Il faut à un moment un procès pour qu'il y ait un moment fort." indique l'un de leurs avocats, maître Antoine Chambolle.
La détermination des proches
Les familles sont déterminées. En février, le juge d'instruction de Libourne les a avisées qu'il mettait fin à ses investigations sans avoir retenu de mises en examen, ce qui éloigne les chances d'un procès pénal. Les avocats ont alors demandé au juge de prolonger les investigations sur la base d'une expertise censée étayer des manquements de Mercedes, constructeur du car, ce qu'il a refusé.Les avocats ont alors porté les dossiers devant la chambre de l'instruction pour insister, ils attendent un arrêt de la Cour sous peu. "On va épuiser toutes les voies de recours," souligne Maître Chambolle.
Ils sont intimement persuadés que tout n'est pas bien fait, pas aux normes et avec une toxicité importante de ces matériaux. Ils veulent absolument qu'il y ait un procès, ou en tous cas une réaction, afin d'obtenir la mise en place de normes complémentaires et pour éviter un nouvel accident.
En quelques secondes, les flammes ont embrasé le car par l'avant, "le plafond brûlait, soi disant ignifugé", raconte à l'AFP Raymond Silvestrini, 73 ans, un des huit rescapés. Des fumées noires toxiques ont envahit le bus, piégeant les voyageurs de "70, 80 ans" dans un brouillard mortel. "Une odeur foudroyante", décrit le septuagénaire qui a perdu quatre proches, dont sa compagne. Il était sorti de cet enfer en sautant d'une fenêtre du bus avant que le conducteur ne parvienne à ouvrir la porte centrale qui s'était coincée, et à délivrer quelques passagers.
Les rescapés, les proches des victimes pointent du doigt les matériaux présents dans l'aménagement de l'autocar. Ils s'appuient aussi sur l'enquête administrative du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport (BEA-TT) en 2017. Le rapport a attribué "la cause directe" de l'accident à "une perte de contrôle" du camion dans le virage. Le BEA-TT préconisait de renforcer les normes dans les autocars sur la tenue des matériaux au feu (tissus, plastiques intérieurs), et d'en introduire sur la toxicité des gaz issus de leur combustion, soulignant que ces facteurs avaient pu alourdir le bilan.
Une adhérente de l'association, en colère après tous les manquements listés depuis cinq ans, a écrit en début de semaine à Michel Vigier. " Assassine l'absence de signalisation sur la route, assassine la vitesse excessive, assassine la barre de fer non rangée à sa place, assassins les réservoirs additionnels, le montage des ABS aux mauvaises roues de la remorque du camion, assassin le contrôle technique qui laisse passer, assassines les matières inflammables qui garnissent les bus, assassins les gaz toxiques des climatisations... "Quand on voit le nombre d'anomalies révélées par l'enquête, on reste sur sa faim.
Nous rêvons d'une conclusion visant à améliorer les choses : des recommandations supplémentaires, une vigilance renforcée pour la sécurité de tous, c'est ce que nos parents auraient réclamé.
Un sentiment d'abandon
Au final, l'instruction a retenu que "les équipements de l'autocar étaient conformes à la réglementation en vigueur", selon le parquet. Un énorme coup à encaisser pour les familles endeuillées. D'autant que le ministère des Transports les a laissé sans réponse. Après l'attention sur le moment et les funérailles en présence des plus hautes autorités, les familles se sont senties bien seules pour mener ce combat et faire évoluer les normes de sécurité."On est extrêmement déçus par le ministère des Transports, on a été reçus par Elisabeth Borne, elle nous a écoutés, promis certaines choses, promis un suivi des conclusions du BEA-TT (NDLR bureau d'enquête dépendant du ministère ) Rien ne s'est passé. J'ai écrit une première lettre à madame Borne, elle est restée sans réponse, je suis têtu, j'en ai renvoyé une deuxième en reconmmandé, mais on n'a pas été aidés.", regrette Michel Vigier.
Cinq ans plus tard, la seule réelle avancée selon les victimes est un amendement qui rendra obligatoire des plaquettes d'informations de sécurité, à l'image de celles qui existent dans les avions dans les autocars à partir de 2022. L'Assemblée nationale a rejeté quatre autres amendement à la loi mobilité qui auraient rejoint le combat des familles. Ils étaient portés par le député du secteur. "Ces quatre autres, plus complexes, portaient sur l'amélioration des tissus, des plastiques. Vous touchez à des normes européennes, ça complique, si on n'a pas l'aide de l'Etat on ne peut pas." constate Michel Vigier.