Accompagner les femmes et mineures victimes d'excision : un centre régional inédit ouvre à Bordeaux

Elle avait 9 ans quand elle a été excisée. Presque 30 ans plus tard, Kakpotia Marie-Claire Moraldo ouvre le 7 septembre à Bordeaux, la première unité de soins régionale en France. Une équipe pluridisciplinaire aidera les filles et les femmes victimes de mutilations sexuelles à se reconstruire.
 

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Kakpotia Marie-Claire raconte être née deux fois. Une première fois en Afrique. Une seconde à Paris où elle a bénéficié d'une chirurgie réparatrice. Entre son excision et sa reconstruction, vingt-cinq ans ont passé. Vingt-cinq ans qui lui ont été volés.
C’est arrivé en Côte d'Ivoire dans le pays où elle a grandi. Elle passait des vacances dans la famille de son père lorsqu’une tante l’a emmenée avec sa fille à « une fête ».

Il y avait plusieurs filles comme moi, dont ma cousine. A tour de rôle, elles allaient dans la pièce qui servait de douche. Je n'avais aucune idée de ce qui se passait. J’ai commencé à avoir des doutes quand j’ai réalisé qu’elles en ressortaient en pleurant. C’était étrange de pleurer lors d’une fête.

« Mon tour est venu » poursuit Kakpotia. "Elles étaient quatre à l’intérieur. Elles m’ont planquée au sol, elles m’ont tenu les bras et les chevilles et la quatrième avait un couteau. Ça a été très rapide, à peine le temps de réaliser. On se débat. Elles nous prennent par surprise. »

Il lui faudra de nombreuses années pour mettre des mots sur ce qu’elle a subi. 

 

Je n’ai pas compris. Je n’ai pas posé de questions. En Afrique, les enfants ne posent pas de questions. Je n’avais jamais vu de cérémonie d’excision. C’est très caché. Ça se pratique à huis clos. Sur le moment, je n’ai pas réalisé. Je me suis dit que ça faisait partie de mon éducation.

Qu’on me rende ce qu’on m’avait enlevé »

Au collège, Kakpotia entend parler d’excision, se renseigne sur internet. Elle réalise que ce qu’elle a vécu n’est pas normal mais n’a pas la force de «creuser » davantage. Une rencontre va l’obliger à regarder crûment la vérité. « Un italien qui voit ma nudité me demande « où est ton clitoris ? On t’a enlevé l’équivalent du pénis pour l’homme » rapporte Kakpotia.

C’est à partir de ce moment que j’ai développé un complexe d’infériorité par rapport aux autres femmes, que j’ai commencé à ne pas me sentir une femme à part entière.

Un sentiment qui l’a poussée vers de « mauvais choix » dit-elle sans plus de détails. La spiritualité la sauvera. Grâce à elle, elle se reconstruira intérieurement. Toute seule.
Car quand elle cherche un lieu d’accueil, une association d’aide aux femmes victimes d’excision, elle ne trouve rien sur Bordeaux et doit se déplacer à Paris. Elle veut désormais pouvoir bénéficier d’une chirurgie réparatrice.

J’avais besoin qu’on me rende ce qu’on m’avait enlevé pour pouvoir me dire : je suis complète.  

C’était le 7 décembre 2016, le jour de sa seconde naissance.

 

Les Orchidées rouges

Trois mois plus tard, elle créait la première association de lutte contre l'excision, le mariage précoce ou forcé à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine. Elle la baptise les "Orchidées rouges ".  Parce qu’à une amie, elle avait parlé d’une fleur qu’on coupe et qui repousse plus belle pour évoquer son opération. Parce qu’elle aime les orchidées rouges, qui symbolisent le désir ardent de faire l’amour et dont la forme ressemble à la vulve d'une femme. D'ailleurs, Kakpotia découvrira que le nom de cette fleur vient du grec et signifie "testicule". 
L’association n’avait pas de local mais en trois ans, elle a reçu 128 femmes, envoyées majoritairement par des professionnels de la santé ou d’autres associations. Elle en a aidé régulièrement 90. Huit seulement ont bénéficié d'une chirurgie réparatrice. Ce n'est pas une étape obligatoire. Loin de là. L'association met l'accent sur la reconstruction psychologique. Et lorsque les femmes se réapproprient leur corps, elle abandonnent souvent d'elles-mêmes l'idée d'une chirurgie. 

Il y a beaucoup de préjugés  sur les femmes excisées. Même excisée, une femme peut avoir du plaisir. Et parfois mécaniquement, elle peut en éprouver mais elle bloque psychologiquement.

A 38 ans, Kakpotia est pleinement épanouie. Mère d’un garçon de 11 ans, né d’une précédente union, elle vit aujourd’hui « sa plus belle histoire d’amour » et veut partager avec d'autres femmes victimes le bien-être que sa reconstruction lui a apporté.

Une approche complète

Grâce à des subventions de la Région, de la ville et du département mais surtout grâce au mécénat, elle ouvrira le 7 septembre à Bordeaux la première structure régionale d’accompagnement de mineures et de femmes victimes de mutilations sexuelles, de mariage forcé ou précoce.
 


Dans des locaux dédiés, en centre-ville, une équipe pluridisciplinaire de psychologues, gynécologues, sexologues, juristes, avocats, travailleurs sociaux, professionnels du bien-être et de l'estime de soi travaillera dans le secret partagé. Quelques uns sont salariés. La plupart, bénévoles, acceptent de donner de leur temps pour une cause qui les touche.
Ensemble, ils aideront les victimes à se réapproprier leur corps, encourager leur pouvoir d’agir,  trouver leur autonomie par une (ré)insertion sociale et professionnelle. Une approche globale pour des femmes qui cumulent en moyenne quatre types de violences (dont le mariage forcé).
 
Selon les femmes, selon le type de violences qu’elles ont subies, le processus sera plus ou moins long. «En trois mois, certaines vivent de leurs propres ailes. Pour d’autres, c’est un peu plus long, un an, voire plus. La moyenne est autour 6 mois" évalue Kakpotia. 


   
Les Orchidées rouges menaient déjà des actions de sensibilisation en Afrique mais aussi dans le quartier des Capucins à Bordeaux. Ces opérations seront développées dans d’autres quartiers de Bordeaux et élargir à d'autres villes de la Région. Selon une estimation datant de juillet 2019, la Nouvelle-Aquitaine est l'une des quatre  régions les plus concernées en nombre de victimes de mutilations sexuelles. Et la crise des migrants qui secoue l’Europe pourrait aggraver la situation. Alors plus que jamais, Kakpotia veut éviter que les parent ne soient complices et les alerte sur les risques encourus par leurs filles afin qu'ils doublent de vigilance quand elles passent les vacances scolaires dans les communautés qui perpétuent l'excision. Une pratique sociale pourtant condamnée par un ensemble de textes juridiques internationaux parce qu'elle porte atteinte à l'intégrité physique et aux droits fondamentaux des filles et des femmes.
Kakpotia veut « combattre l’excision à la source » pour qu’en Nouvelle-Aquitaine, Elles puissent être libres de disposer de leur corps et de leur vie.
 

Estimation MSF


Les Orchidées Rouges, 48 rue Thiac, à Bordeaux.
Premier Rendez-vous par téléphone au 05.57.34.92.37
 

 

 

 

Les mutilations sexuelles en quelques chiffres

En France, 125 000 femmes souvent mineures sont excisées.

La mutilation sexuelle se pratique dans le plus grand secret parfois en France, le plus souvent à l’étranger, pendant les vacances d’été.

En Indonésie, Somalie, au Soudan, en Egypte, au Mali, au Burkina-Faso, en Guinée, et en Sierra Leone, entre 75 à 100 % des femmes sont excisées selon des données de l’UNICEF en 2014.

29 pays pratiqueraient encore l’excision avant l'âge de 15 ans. Dans la moitié de ces pays, elle se ferait avant 5 ans.

Les raisons invoquées sont diverses :

  • Le contrôle de la sexualité des femmes et le maintien de la domination masculine : L’excision empêcherait les expériences sexuelles prénuptiales et  les relations adultérines.
  • Les croyances liées à la religion : bien qu’aucun texte religieux ne prescrive la pratique, elle se retrouve aussi bien dans  des populations  musulmanes, chrétiennes ou  animistes.
  • D’autres croyances, et mythes : certaines communautés pensent que l’excision favorise la fécondité des femmes ; qu’elle permet d’assurer une meilleure hygiène, de rendre les femmes plus attrayantes ou même de leur ôter les parties qu’ils considèrent comme masculines ou dangereuses.
  • Le maintien d’une identité et d’une tradition culturelle 


L’excision peut avoir de lourdes conséquences physiques et psychiques.  
 

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