C'est une mauvaise nouvelle pour la biodiversité : l'anguille de nos cours d'eau est menacée. Des scientifiques européens lancent un programme pour tenter d'enrayer le fléau de sa disparition. L'institut girondin IRSTEA et l'Inra Aquitaine sont en pointe.
Les chiffres sont affolants. "Lorsque 100 civelles, les alevins de l'anguille, arrivaient en Europe au début des années 1980, les scientifiques estiment que seulement 8 arrivent sur nos côtes aujourd’hui." Hilaire Drouineau, chercheur à l'Irstea basé à Cestas en Gironde, dresse ce terrible constat.
Ce n'est plus une menace, c'est presque l'effondrement de l'espèce.
Les civelles ou pibales peuplent les cours d'eau, les fleuves, et remontent parfois loin dans les terres et les marais pour devenir anguille. Mais ça, c'était avant car l'espèce est en danger critique d’extinction. Les effets du changement climatique, les barrages, la pollution, la surpêche et le braconnage risquent d'avoir raison de ce poisson apprécié, peut-être un peu trop.
Pourtant, quelle histoire : c'est un miracle de la nature. Depuis la mer des Sargasses de l'autre côté de l'Atlantique, les civelles nées là-bas dérivent jusqu'à 5000 kilomètres, portées par le fameux courant Golf Stream, pour gagner les côtes de la Mauritanie à la Norvège. Le chercheur girondin précise :
La chute du nombre des civelles est d'ailleurs relevée partout dans les mêmes proportions.
Le braconnage est un fléau
Le malaise est grand, d'où la réaction et une coordination à l'échelle européenne pour faire une évaluation et proposer des pistes afin d'éviter la disparition totale de l'espèce. Les scientifiques vont élaborer des outils communs, une sorte de grammaire commune, qui n'existe pas aujourd'hui. La France, l'Espagne, le Portugal, particulièrement concernés, font cause commune.
C'est en tous cas l'espoir exprimé par Hilaire Drouineau.Le projet engage aussi la participation des différentes polices pour lutter contre le braconnage. Les polices pourront ainsi être plus efficaces.
Car le braconnage de cet espère perdure, confirme le chercheur :
Et ce serait d'après lui encore plus marqué en Espagne où la consommation de pibales est traditionnelle. Il y a aussi suspicion de braconnage pour exporter vers l'Asie, ce qui est formellement interdit depuis 2009, vu la menace sur la ressource.L'an dernier en France : l'équivalent de 1 millions d'euros de civelles ont été saisies sur la côte Atlantique Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine
Jusqu'à 500 euros le kilo
Si les chercheurs européens activent ce travail d'urgence, c'est aussi pour préserver une exploitation de l'espèce à long terme, indispensable au maintien de l'emploi, des modes de vie et des cultures liés à sa pêche.Dans les années 2000, cette pêche représentait le plus important chiffre d'affaires du golfe de Gascogne français, la pêche légale bien sûr. Selon Hilaire Drouineau, que la civelle se vend entre 300 et 500 euros le kilo.
Dans notre région, des pêcheries se maintiennent sur l'Adour, l'Isle, l'Estuaire de la Gironde, en l'aval de la Dordogne et de la Gironde. On trouve aussi les pêcheries les plus courantes du côté de la Seudre du côté de Royan, et sur la Sèvre niortaise.
Un plan sur trois ans
Le projet des scientifiques européens propose donc un plan d'action sur trois ans pour palier la chute.Certains facteurs seront durs à inverser comme les effets du changement climatique. Les civelles, pour revenir vers les côtes atlantiques, dérivent avec le Gulf Stream. Un moyen de transport très contrarié ces dernières années et qui ne joue plus tout à fait le même rôle semble-t-il. Il y aussi moins de ressources alimentaires en mer des Sargasses donc moins de nourriture, moins de poissons.
Quelles autres solutions ?
Les leviers d'actions sont plutôt à chercher du côté de nos contrées. Notamment pour améliorer son habitat. La construction de barrages, de digues a eu une conséquence : on estime que 50 à 90 % des habitats ont été perdus ou dégradés en Europe après la seconde guerre mondiale.
Les pollutions agricoles, industrielles, minières comme le cadium issus des mines de Dordogne, le PCV que l'on a identifié dans l'estuaire de la Gironde et qui avait conduit à l'interdiction de la conso anguilles à la fin des années 2000, sont des facteurs qui affaiblissent les populations.
Autant de remèdes à trouver pour que l'anguille, qui peut vivre jusqu'à 30 ans, puisse encore longtemps faire le trajet jusqu'aux Sargasses, et revenir repeupler les cours d'eau européens.