"Avez-vous un jour regretté d'être juif ?" 80 ans après la rafle de Bordeaux, Boris Cyrulnik à la rencontre des collégiens

Ce 10 janvier, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui a réchappé à la rafle de Bordeaux à l'âge de six ans, est venu à la rencontre de collégiens. Quatre-vingts ans après les faits, il a rappelé aux adolescents le danger des langages totalitaires.

Un moment d'émotion et de partage ce 10 janvier pour Boris Cyrulnik. Il était accueilli à Bordeaux pour une commémoration des 80 ans de la rafle à laquelle il a échappé, mais également pour une cérémonie du souvenir dans laquelle ses parents, déportés en 1942 étaient mis à l'honneur.

"Apprenez à juger par vous-même"

L'œil est bienveillant et attentif. L'instant est précieux, celui du partage, de la rencontre entre les générations. Ils ont 13, 14, 15 ans mais ils savent déjà ces choses graves, grâce à leurs cours d'histoire notamment. Boris Cyrulnik, lui, est un des personnages réels de cette Histoire incarnée, témoin visible et surtout audible de cette période sombre et meurtrière.

Tom et ses camarades du Collège Blanqui de Bordeaux-Bacalan sont venus partager un moment avec le psychanalyste, interroger l'enfant d'hier sur ce qu'il a vécu, sur son parcours, son ressenti. Parmi la quarantaine de questions, ils lui demandent des détails sur des faits, la vie d'après la rafle, mais aussi sur ce qu'il vit aujourd'hui. "Avez-vous revu Marguerite Farges ?", (du nom de cette institutrice qui a caché Boris Cyrulnik, enfant, des Allemands), "de quoi êtes-vous fier aujourd'hui ?","Avez-vous un jour regretté d'être juif ?" mais aussi : " n'est-ce pas trop difficile de revenir à Bordeaux après tant de souffrance ?

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La réponse à cette dernière question est complexe. Pour le neuropsychiatre, Bordeaux, aujourd'hui, est une ville magnifique, mais qu'il lui a fallu du temps pour revenir : "parce que pour moi, c'était la ville du malheur, c'était la Gestapo, c'était la ville de l'Occupation, des rafles. Là où j'ai été raflé..."

Pendant quarante ans, je ne pouvais pas revenir à Bordeaux parce que pour moi, c'était la ville du malheur.

Boris Cyrulnik

L'homme de 86 ans semble comblé par cet échange. "C'est la première fois que je rencontre des collégiens. Ils m'ont séduit par la qualité de leurs questions". Au-delà de son témoignage, fondamental pour la transmission auprès des plus jeunes, il sait qu'il représente une figure de sagesse.

Pendant une heure, Boris Cyrulnik rappelle aux adolescents l'importance de forger leur jugement en se méfiant des inspirateurs. "Apprenez à juger par vous-mêmes. Ne vous laissez pas prendre par un langage totalitaire (...) qui n'accepte pas la discussion : c'est le langage de la haine".

⇒ Rencontre de Boris Cyrulnik avec les collégiens, reportage Nathalie Pinard et Juliette Bisiaux (mercredi 10 Janvier 2024)

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C'était un 10 janvier. Il y a 80 ans, des centaines de Juifs, originaires de la région étaient arrêtées et regroupés dans la synagogue de Bordeaux. De cette rafle, dont on commémore le 80ème anniversaire, peu de personnes ont réussi à y échapper. Parmi elles, Boris Cyrulnik, alors âgé de six ans. Le célèbre neuropsychiatre bordelais est venu à la rencontre de collégiens bordelais. ©France télévisions

Des Stolpersteine pour ne jamais oublier

Cette journée s'annonçait riche en émotion pour Boris Cyrulnik puisque la ville souhaitait également rendre hommage à ses parents disparus. À la mi-journée, deux pavés dorés étaient scellés dans le sol de la ville, au 60 de la rue de la Rousselle, dans le vieux Bordeaux. Deux pavés de mémoire pour se souvenir de ses parents, Aaron et Nadia Cyrulnik déportés en juillet 1942 à Auschwitz, dont ils ne reviendront jamais. Le jeune Boris n'avait que cinq ans.

Ce 10 janvier, avec le maire de la ville, Pierre Hurmic, il insère les deux "Stolpersteine" sur le sol de la rue de la Rousselle. 

Nadia et Aaron étaient deux Juifs ashkénazes originaires de Pologne et d'Ukraine qui avaient placé le jeune Boris en pension, pour lui éviter la déportation en 1942. Le jeune garçon va être recueilli ensuite par l'assistance publique et surtout dans la famille d'une institutrice, Marguerie Farges, qui le cache pendant deux ans. Jusqu'au 10 janvier 1944. Le jour où, sur dénonciation, il a été conduit jusqu'à la synagogue de Bordeaux, parmi les 360 autres personnes victimes de la rafle.

Le 60 de la rue de la Rousselle était donc la dernière adresse connue de  la famille Cyrulnik réunie à Bordeaux.

Les Stolpersteine sont des pavés de béton recouverts d'une plaque de laiton fixée au sol avec quelques mots. L’association européenne "Stolpersteine" oeuvre de cette façon pour que chaque pavé rappelle la mémoire d’une personne déportée dans un camp d’extermination ou de concentration. Il y en a 15 à Bordeaux commémorant depuis 2017 des victimes du nazisme, puis en 2022 en mémoire des victimes juives et résistantes. 

Créée par l'artiste berlinois Gunter Demnig en 1993, chaque pierre rappelle la mémoire d'une personne déportée dans un camp de concentration ou d'extermination en raison de son identité ethnique, son appartenance religieuse ou son orientation sexuelle. Les pavés sont incrustés dans le sol devant le dernier domicile connu des victimes identifiées. Les premiers Stolpersteine ont été posés en 1995 en Allemagne. Depuis, ce sont plus de 98 000 pierres qui l'ont été dans toute l'Europe.

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