Au départ dispensée à ses étudiants ayant perdu le goût et l'odorat, ce kit de formation créé par l'Institut des sciences de la vigne et du vin s'adresse aujourd'hui aussi au grand public. Il devrait rencontrer un certain succès.
"Ce sont 60% des gens qui sont atteints de formes légères à modérées, qui vont perdre l’odorat pendant cette infection virale", explique le professeur Ludovic de Gabory, responsable de l’Unité rhinologie et chirurgie plastique au CHU de Bordeaux. "C’est entre quatre et six mois le délais nécessaire pour que 75 % de cette population puisse récupérer complètement son sens de l’odorat … et du goût car il faut rappeler que le goût c’est 80% de l’odorat. C’est assez spontané, il n’y a pas forcément besoin de rééducation (…), la nature va faire correctement les choses dans la plupart des cas". Pour les autres, ceux qui ont plus de difficultés à retrouver le goût et l'odorat, ou ppur ceux qui seraient tout simplement pressés, une solution est proposée par l'Institut des Sciences de la vigne et du vin de Bordeaux.
« Normalement pour déguster, il faut toujours sentir le vin, et là, à l’odeur, je ne sens pas les arômes que je suis censée sentir, puisque j’ai une odeur qui se dégage et qui prend toute la place, je ne sais pas comment vous décrire cette odeur mais c’est mon cerveau qui me joue un tour ». Pauline a contracté la Covid en septembre dernier. Depuis deux de ses cinq sens lui jouent des tours. Comme elle, ils sont cinq étudiants à l’institut de la vigne et du vin de Bordeaux à avoir perdu le goût et l’odorat. Après avoir senti le vin, Pauline le goûte puis le recrache.
Au goût c’est pareil, j’ai toujours ce goût-odeur qui prend toute la place, et je suis incapable de vous dire si ce vin est bon, pas bon, parce que j’ai cette odeur qui est en bouche.
Pauline et ses camarades participent à une rééducation spécifique imaginée par Sophie Tempere, docteur en neurosciences et son équipe. Elle a mis au point un kit d’odeurs à sentir tous les jours. Ce kit s’adresse aux étudiants donc mais aussi aux autres. Tous ceux qui ont été victimes du coronavirus peuvent en profiter s'ils le souhaitent.
L’inquiétude légitime des étudiants en œnologie
« Je n’ai pas les arômes qu’une personne normale pourrait sentir », explique Pauline. « Là c’est un vin blanc sec, on pourrait sentir des arômes plutôt fruités, peut-être de l’acidité, tout ça et ces choses je ne les sens pas du tout là je sens de l’alcool et cette odeur qui se rapproche du pain grillé ». La jeune fille n’a pas eu d’odorat ni de goût pendant deux mois. En cours, elle s’est clairement retrouvée dans une situation compliquée. C’était très difficile car j’étais obligée de participer aux dégustations pour apprendre le discours (…). Mais une fois qu’il fallait participer pour dire ce qu’on ressentait moi je n’avais rien, donc impossible de participer comme tout le monde". Aujourd’hui, Pauline retrouve quelques sensations, mais sans pouvoir parler de retour à la normale pour l’instant. « Il y a toujours cette inquiétude », avoue-t-elle.
Comment je fais si cela ne revient pas ? Je me suis lancé la dedans… C’est le métier de mes rêves.
Bien consciente du problème, la direction de l’Institut a adapté sa formation pour ces élèves en difficulté. « Les étudiants sont inquiets pour deux raisons », analyse Laurence Geny, directrice-adjointe Institut des Sciences et du Vin. « D’une part, par rapport à leur futur professionnel, à savoir est-ce-que ces troubles-là vont se poursuivre dans leur métier ? Mais ils sont aussi inquiets pour l’apprentissage. Car la dégustation dans le cadre du diplôme national d’œnologie, ou des formations en œnologie, est un point extrêmement important ».
Comment fonctionne ce kit ?
Au départ mis au point pour les étudiants, ce kit se destine aujourd’hui à toute personne souffrant de troubles de l’odorat ou du goût. Il a été mis au point par Sophie Tempere, enseignante-chercheuse à l' Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (Université de Bordeaux), et ses équipes. Ces professionnels n’ont pas attendu la crise du coronavirus pour travailler ces défaillances des sens. C’est un travail mené depuis plusieurs années. « On s’intéresse chez nos étudiants, ou des professionnels du vin, à des manques de sensibilité spécifique », explique Sophie Tempere. « On peut avoir un sens de l’olfaction tout à fait normal, mais avoir pour certaines odeurs, pour certains molécules odorantes, des manques de sensibilité. Et donc dans ce cas-là on peut proposer des protocoles pour améliorer, récupérer, sa sensibilité".
Donc là l’objectif était de mettre au service de nos étudiants des professionnels et du grand public des outils qu’on a développés depuis de nombreuses années.
Concrètement, on trouve « un livret détaillant tous les exercices à faire et ils sont multiples », poursuit la chercheuse. « Il permet aussi le suivi journalier de nos perceptions et de l’évolution de nos perceptions. Dans ce kit on a aussi des diffuseurs d’odeurs. On a quatre odeurs sur lesquelles on va s’entraîner quotidiennement. Il y a différents supports : des stylos ou des diffuseurs électriques (…). Mais pour le grand public, qui ne dispose pas forcément de ce type de support, pas de souci, dans notre quotidien on a la possibilité de trouver des odorants qu’on va sentir tous les jours. Nous, on conseille les huiles essentielles ». Et si vous voulez vous épargner l’achat d’huile essentielle de citron par exemple, allez chez votre primeur, en sentant directement le fruit, l’exercice sera tout aussi efficace.
Exercices d’entraînement et suivi ORL
Viennent ensuite les exercices d’entraînement quotidiens. Il en existe deux types. « L’un avec les odorants que l’on va sentir quotidiennement », précise Sophie Tempere. « Le fait de le sentir quotidiennement (…) va avoir une influence au niveau physiologique, neurophysiologique et cognitif. On sait qu’il y a un impact fort avec ce geste simple qui est de sentir ». Le second entrainement se fait sur la base de l’imagerie mentale olfactive. « Là, on n’a pas besoin d’odorants. On donne simplement des conseils pour imaginer quotidiennement des odeurs".
Rien que le fait d’avoir ces hallucinations olfactives sur commande va avoir un impact similaire à celui de sentir une odeur tous les jours.
Difficile pour l’instant de mesurer l’efficacité de ce kit. « Mais ce que l’on peut dire », conclut Sophie Tempere, « c’est que ces outils que nous ne sommes pas les seuls à utiliser (il y a énormément d’associations ou de médecins qui préconisent ce même type d’outils qui se basent sur les mêmes études) va permettre d’optimiser la récupération. Ce n’est pas une garantie en temps ou en taux, mais cela permet de l’optimiser. Et de redonner peut-être confiance aux personnes qui sont sujettes à ces troubles ».
Rappelons que l’Institut préconise minimum trois mois de pratique. Elle a également mis en place pour ses élèves un suivi avec un ORL pour voir comment évolue la thérapie. « Là, ça va quand même beaucoup mieux surtout que je suis suivie par une ORL qui s’occupe de moi et qui me permet de positiver », sourit Pauline. « Elle m’entraîne. Mais j’ai quand même hâte que cela revienne à la normale ».
Toutes les informations sont disponibles sur internet
Pas besoin d’être étudiant ou œnologue confirmé pour avoir accès à ce kit et aux informations qu’il contient. Le gand public aussi peut en profiter. Si vous avez été malade de la Covid 19 et que vous avez des difficultés à retrouver le goût et/ou l’odorat, n’hésitez pas.
En tant qu’organisme public, à l’Institut on se doit de diffuser nos connaissances et nos compétences », annonce sa directrice.
« Nous avons décidé, après deux mois de tests et d’essais auprès des étudiants, d’informer les professionnels mais aussi le grand public qu’il existait des méthodes faciles à mettre en place", explique Laurence Gény. "Depuis quelques jours, l’information est passée et nous commençons à avoir des appels. Cela concerne les métiers en lien avec la vigne et le vin, mais aussi tous les métiers où l’odorat et le gout sont utilisés : les restaurateurs, les parfumeurs, et toute personne, car au quotidien c’est tout de même très handicapant de ne plus avoir de goût et d’odorat ».
En vous rendant sur le site internet de l’Institut vous pourrez ainsi créer votre propre kit moyennant quelque dizaines d’euros.
Ecoutez les explications du professeur Ludovic de Gabory, responsable de l’unité rhinologie et chirurgie plastique au CHU de Bordeaux :
En complément, le reportage à l'Institut à voir ici >