Parce qu'ils ne peuvent plus exercer leur emploi après une maladie ou un accident, plus de deux cents travailleurs en situation de handicap apprennent un nouveau métier au centre de réadaptation professionnelle de Bordeaux. Un long parcours avec un objectif : retrouver l'autonomie perdue.
" Alors, comment vous sentez-vous aujourd'hui?" Mehdi et Yasmina sont assis sur des fauteuils, ils devisent. Une petite musique zen est diffusée, à peine audible. La voix de Yasmina est douce et bienveillante. Elle écoute Mehdi raconter sa fatigue et sa frustration. "Ça m'embête d'avoir dormi tout le week-end. Je voulais travailler mon histoire-géographie. Je voulais aussi appeler des amis, je n'en ai pas eu la force".
Libérer les émotions
La scène se passe au Centre de réadaptation professionnelle (CRP) Robert Lateulade de Bordeaux. Yasmina Benfriha est thérapeute. Avec elle, Mehdi Hamadache, stagiaire en formation au centre, échange sur son ressenti, ses difficultés, et se livre via l'hypnose, ou le tapping, une "technique de libération émotionnelle"."C'est une technique qui permet de gérer des événements traumatiques du passé. Je suis là pour aider les stagiaires à être plus autonomes dans la gestion de leurs émotions, comme la colère par exemple, ou même la douleur", explique Yasmina.
Mehdi Hamadache a trente ans. Originaire de Toulouse, il a intégré le CRP à la fin de l'été, pour suivre une formation d'Accueil, relations clients et usagers (Arcu). Le jeune homme, qui se déplace avec une canne, évoque sa fatigue chronique mais ne souhaite pas s'étendre sur son handicap.
"Le rythme à l'université était trop intensif"
"J'étais à l'université de Toulouse avant, mais c'était trop intensif par rapport à ma pathologie, explique le trentenaire à l'allure soignée. Ici, j'ai pu obtenir un logement à 5 minutes à pied. Donc je peux aller faire la sieste et me reposer entre midi et deux, ce que je ne pouvais pas faire à la fac", raconte-t-il.Le gros avantage c'est que les enseignants sont à l'écoute et le pôle médical est sur place.
Formation et soins au même endroit
Pour Medhi comme pour les quelques 230 stagiaires de l'établissement des Capucins, le CRP est l'occasion d'un nouveau départ, après un accident du travail, ou une maladie invalidante. Ici, ils peuvent bénéficier d'une formation en service, commerce, bâtiment, électronique ou encore mécanique.Mais l'établissement propose également des soins médicaux et paramédicaux adaptés à leur handicap, et parfois, comme a pu en bénéficier Mehdi, un logement à proximité.
Dépasser les réticences des employeurs
Au cours de leur enseignement, les stagiaires bénéficient de cours spécifiques pour apprendre à mieux cibler les entreprises. Qui ne sont pas toutes promptes à recruter un(e) employé(e) en situation de handicap."Ils adorent faire de belles affiches et de beaux discours sur le handicap, souligne Sandrine Barrat. Mais en réalité quand ils nous voient arriver, ils s'attendent à ce qu'on ait une grande déformation physique, voire une tête en moins. Et encore, ça, c'est quand ils acceptent de nous rencontrer", ironise-t-elle.
Pourtant, qu'on ait 20 ans ou 50 ans, on espère tous un travail.
Originaire du Libournais, cette stagiaire au tempérament bien trempé est entrée au CRP en 2016. "Jusqu'à présent, je n'avais eu que des métiers d'hommes: chauffeur d'engin, cariste, maçon, peintre en bâtiment, agent de sécurité, agent de police municipale…que des métiers très physiques qui au final m'ont usée trop vite".
"Ça n'a pas été facile d'accepter mon handicap"
C'est en 2009 que Sandrine, qui exerçait alors la profession de bouchère, s'est blessée au bras pendant son travail. "Depuis la souffrance est continue, explique-t-elle. On m'a déclarée travailleuse handicapée… Ça n'a pas été facile d'accepter. Je voulais continuer à exercer les métiers que j'aimais. J'ai longtemps été dans le déni", reconnaît-elle."Entre le moment où les patients déclarent un handicap et celui où ils intègrent un établissement comme le notre, il se passe cinq ans en moyenne, précise Sébastien Jacquet, directeur de l'établissement.
Le temps pour eux de recevoir des soins, de commencer à faire le deuil de leur vie d'avant, de se renseigner sur leurs options puis d'entamer les démarches leur permettant d'obtenir une notification de la Maison départementale des personnes handicapées, indispensable à l'intégration d'un centre.
Une motivation décuplée
Une fois sur place, les formations durent en moyenne 21 mois. Les stagiaires sont rémunérés entre 650 et 1 950 euros chaque mois."La contrepartie de ce parcours du combattant, c'est qu'on reçoit des personnes qui sont extrêmement motivées, et qui, au cours de leurs stages donnent le plus souvent d'excellents résultats", ajoute Christine Deflandre, formatrice au CRP. Le centre affiche un taux de réussite aux examens autour des 95% et un taux d'insertion professionnelle de 76%.