Avec "Écouter les murs parler", Ixchel Delaporte raconte le quotidien de l'hôpital psychiatrique girondin à travers le prisme de patients atteints de pathologies mentales lourdes. Une œuvre qui en dit long sur la psychiatrie, parent pauvre de la médecine, et donne de l'écho à une parole que l'on entend peu.
"Je vous préviens, on risque d'avoir une surprise". Ixchel Delaporte se doutait que quelque chose se tramait. À son arrivée, ils sont tous là ou presque. Les héros de son livre : patients, ex-patients, salariés, habitants, libraire. Six mois après son départ de l'hôpital psychiatrique de Cadillac, l'autrice revient dans celle qu'on appelle "la ville des fous". Nous l'accompagnons. La quadragénaire leur a donné rendez-vous à la librairie "Jeux de mots". Un lieu de vie où se croisent habitants, mais aussi patients de l'HP. C'est aussi là qu'une pile de son livre est mise bien en évidence sur les étagères. "Écouter les murs parler" vient de sortir.
"L'idée, c'était vraiment de raconter comment moi, je me suis percutée à ce monde de la folie et comment ce monde de la folie s'est percuté à moi", raconte Ixchel Delaporte. L'autrice a commencé par s'asseoir sur un banc dans la cour de l'établissement. Et elle a attendu. Pleine de curiosité, c'est aussi celle des autres, qu'elle a attisée. L'autrice allait passer six mois au centre hospitalier de Cadillac. Léa Rousselin résumera d'une phrase ce temps passé ensemble. "Si je n'avais pas croisé Ixchel, je serais probablement encore hospitalisée".
La psychiatrie, angle mort de la société
L'autrice vit en banlieue parisienne. C'est la deuxième fois qu'elle se rend dans notre région. En 2018 elle publiait "Les Raisins de la misère", ouvrage dans lequel elle décrit la précarité des travailleurs de la vigne qui lui a valu d'être finaliste du prix Albert Londres.
À l’époque, Ixchel Delaporte donne déjà la parole à ceux qu'on n'entend jamais. "On pourrait en effet faire un parallèle avec la question de la psychiatrie", confirme-t-elle. "Puisque j'essaie de donner la voix aux patients. Des patients en psychiatrie qu'on voit très peu en fait dans les médias. Effectivement, je suis dans une démarche de mise en valeur et de porte-voix d'une population qui est dans un angle mort".
Au centre hospitalier de Cadillac sont hospitalisés des patients atteints de pathologies mentales lourdes. Certains sont dans des unités classiques. D'autres vivent dans des UMD, Unités pour malades difficiles. Des personnes condamnées par la justice. Ou des patients jugés irresponsables pénalement. C'était le cas de Romain Dupuy. Il a été interné pendant plus de dix-huit ans à Cadillac, après le meurtre d'une infirmière et d'une aide-soignante à Pau en 2004.
"On s'appauvrit"
Dans "Ecouter les murs parler", l'autrice est factuelle. Elle décrit l'univers de la psychiatrie sans dénoncer. Les silences auxquels elle a été confrontée parlent d’eux-mêmes. Direction et salariés lui accordent peu de temps. Quelques soignants parleront, mais anonymement.
Éric Garcia a accepté, lui, de témoigner dans le livre d'Ixchel Delaporte. Il est animateur à la Maison des usagers de Cadillac. Un lieu comme une soupape au sein de l'hôpital psychiatrique. "J'apaise, je fais rire, je soulage", dit-il. "À la base, le projet était de construire d'autres structures ludiques comme une cafétéria. C'est à l'étude, mais pour l'instant, elle n'est pas ouverte". Des lenteurs qui font du centre hospitalier un lieu essentiellement tourné vers la prise en charge sous contrainte.
Sur les soignants, Eric Garcia porte un regard bienveillant. Avant d'être animateur, il a été concierge puis aide-soignant. "Je les sais les difficultés", concède-t-il. Je sais le sentiment de solitude qu'on peut éprouver. Quand on est un jeune soignant bardé de diplômes, et qu'on arrive dans une unité où on a plus le luxe d'être en doublon ou d'avoir un tutorat, qu'on a plus le luxe d'apprendre ce que c'est que la psychiatrie car ce n'est pas marqué dans les livres, et bien, on s'appauvrit. Mais on essaye quand même de donner à l'autre. Il y a quelqu'un qui m'a dit que la vocation des soignants avait disparu. Je ne crois pas".
Je ne pense pas qu'on puisse faire une école d'infirmier sans avoir la vocation.
Eric GarciaAnimateur à la Maison des usagers de Cadillac
Décloisonner
Parent pauvre de la médecine, la psychiatrie résiste comme elle peut. Le manque de moyens humains et financiers est criant. En septembre dernier, la décision de fermer l'unité Moreau (projet suspendu depuis) avait entraîné un mouvement de grève des salariés. Selon les syndicats, il manquait 15 médecins et une cinquantaine d'infirmiers à Cadillac. Une restructuration, faute de personnels en nombre suffisant, que reconnaissait l'Agence régionale de santé de la Nouvelle-Aquitaine. Elle prônait alors une politique de travail en réseau sur les différentes structures psychiatriques du département. Des postes dits "partagés" entre plusieurs établissements psychiatriques confiés à de jeunes praticiens.
Une psychiatrie décrite comme étant à la dérive. Et beaucoup s'accordent à dire que le personnel en souffre, les patients aussi. Serge Bédère fait partie des rares soignants à avoir accepté de parler à Ixchel Delaporte. Probablement parce qu'il venait de prendre sa retraite. Le psychologue a travaillé pendant plus de trente ans à l'hôpital psychiatrique de Cadillac. Il a vu la psychiatrie évoluer. Et pour lui, il ne s'agit pas tant d'une question de moyen que de l'importance de décloisonner le médical de l’administratif. "L'hôpital est une entité médico-administrative, cela ne fonctionne que s'il y a des interrencontres", résume-t-il. Le psychologue dénonce la fermeture dans l'enfermement. Pour lui, toute la problématique est de savoir se parler autrement.
Une problématique qu'a pu observer Ixchel Delaporte. "J'ai constaté que les soignants avaient peu de temps d'écoute", dit-elle. "Peu de temps pour se poser. Pour écouter les malades. Et leur accorder ce moment d'humanité, parfois un peu informel, au moment de fumer une cigarette ou de boire un café. Ce temps-là en fait, maintenant, il est comptabilisé. C'est comptant. C'est de l'argent".
Montrer que "l'hôpital de Cadillac, ce ne sont pas que des fous"
Le temps, Ixchel Delaporte l'a pris, six mois durant. Elle a écouté, questionné, les patients essentiellement. Ceux du dedans et ceux du dehors. Ceux qui ont quitté l'hôpital et vivent aujourd'hui leur vie en dehors de l'enceinte psychiatrique. C'est le cas de Christian Orell. Aujourd'hui, il travaille au Groupe d'entraide mutuelle (GEM) de Cadillac. Un lieu d'échange pour personnes handicapées ou isolées.
"Ixchel Delaporte est venue nous voir au GEM", raconte-t-il. "Elle cherchait de la matière pour son livre. Elle nous a posé des questions et il s'est avéré que moi, j'avais une attirance pour ce qu'elle voulait me dire, me demander etc. Je la trouvais solaire. Donc, on a tout de suite sympathisé. On s'est revu à plusieurs reprises. Je lui ai raconté quel avait été mon parcours. Cela a été presque un coup de foudre, parce qu'on sentait qu'elle voulait aller au bout des choses.". Christian Orell a été un des premiers à acheter "Ecouter les murs parler". "Elle adopte un ton journalistique. Il n'y a pas de romance. Elle dit les choses telles qu'elles sont".
Christian Orell s'est donc vu, lu. Il a été entendu. "Elle parle de certaines pathologies, et effectivement on se sent davantage concerné", avoue-t-il. "Elle en parle au grand jour. Il y a encore des maladies qui sont taboues. Dont on ne parle pas, car on ne les connaît pas".
Quand on ne connaît pas quelque chose, on l'ignore, on en a peur.
Christian Orell, ex-patient
Un sentiment que partage Léa Rousselin. La jeune femme a rencontré Ixhel Delaporte alors qu'elle était hospitalisée à Cadillac. "Le fait qu'elle écrive un livre sur l'hôpital, au moins ça peut faire comprendre aux gens de l'extérieur que l'hôpital de Cadillac ce ne sont pas que des fous en fait", explique-t-elle. "Moi cela m'a soulagée. Je me suis dit : je vais passer dans un livre. C'est la première fois. Elle a raconté mon histoire. J'ai pensé que peut-être que quelqu'un allait lire et se retrouver là-dedans".