"Ce que les gilets jaunes dénoncent dans la démocratie représentative actuelle, ils le vivent aussi de l'intérieur…"

Problème de légitimité, difficulté à faire remonter les revendications... Les gilets jaunes cherchent à se structurer mais sont confrontés aux même problèmes que les partis politiques traditionnels, estime Guillaume Plaisance, chercheur à l'université de Bordeaux, et spécialiste de l'engagement. 

En quoi ce mouvement des gilets jaunes est inédit ?


Guillaume Plaisance : Aujourd'hui l'engagement est de plus en plus informel. Il se retrouve sous forme de pétitions en ligne, de communication et de messages sur les réseaux sociaux. L'exploit des gilets jaunes, c'est d'avoir réussi à sortir les contributeurs, des réseaux sociaux et de les avoir mené dans la rue. Ceux qui ne s'engageaient pas dans la vie réelle, qui préféraient le virtuel, sont sortis de chez eux.
 

Aujourd'hui on voit de moins en moins de "vrais gilets jaunes"

 

Mais ces personnes-là, on les a surtout vues le 17 et le 24 novembre. Aujourd'hui, on voit de moins en moins de "vrais gilets jaunes". Les manifestants sont de moins en moins nombreux, et les "contributeurs" ont, pour beaucoup, retrouvé leur place.

Ils apportent leur soutien sur les réseaux sociaux ou avec un gilet sur le pare-brise. Ils n'étaient pas dans une recherche d'affrontement violent. Or, le mouvement a été récupéré par eux qui font usage de la violence en tant que mobilisation politique.


 


Est-ce qu'on se dirige vers une structuration du mouvement ?

Guillaume Plaisance : Ils essaient, mais c'est très compliqué car ils n'ont pas tous les mêmes revendications. Comment vont-ils se structurer ? En parti politique, en association, en collectif ? Et quelle démocratie vont-ils mettre en œuvre ?
Ils  disent aspirer à une démocratie directe. Mais je ne sais pas comment ils veulent la mettre en œuvre et je ne sais pas non plus qui est en train d'y réfléchir.


Les gilets jaunes n'ont pas non plus les codes traditionnels de l'engagement. Lorsqu'ils exigent de retransmettre en direct sur Facebook un échange avec un Premier ministre, il ne comprend pas, parce que ce n'est pas dans les codes habituels.

 

Vous pensez qu'ils envisagent désormais de se transformer en parti politique ?

Guillaume Plaisance : On a vu des "gilets jaunes libres",  appeler au calme, demander des manifestations sans violence. C'est déjà une politisation, au sens noble du terme, qui commence. Les partis politiques sont aussi là pour absorber la violence. Donc, ce sont déjà des indices qui sont intéressants.

Et puis on pense forcément à l'Italie. A une colère qui s'est exprimée sur les réseaux sociaux, puis dans la rue, avant de retourner sur les réseaux sociaux et de déboucher sur le Mouvement cinq étoiles (M5S) . [Le M5S est un mouvement né en Italie à l'initiative du comique Beppe Grillo. Positionné contre "le système" et "les partis, il a remporté 32% des votes aux législatives de 2018 et a formé une alliance avec la Ligue d'extrême-droite, ndlr].



On peut imaginer que des gilets jaunes voudront à leur tour porter des candidats aux élections européennes ou aux élections locales, même si la question des ressources humaines et financières reste à résoudre.

 
 

Qui aurait la légitimité pour porter un tel mouvement?


Guillaume Plaisance : C'est la question. Ils ne veulent pas se faire représenter, qui va défendre leurs intérêts et porter leurs revendications ? On a vu des porte-parole désignés se désister. D'autres assurent tirer leur légitimité en fonction de vues sur leurs vidéos Facebook... Même la légitimité du nombre, ils ne l'ont pas. Il y a un peu une mise en abîme.

Ce que les gilets jaunes dénoncent, dans la démocratie représentative actuelle, ils le vivent aussi de l'intérieur… C'est un problème de gouvernance difficle à régler. 


Qui aujourd'hui peut assurer parler au nom de tous les Français ? Les syndicats et les partis n’y parviennent plus, et portent les idées de leurs adhérents. Ils parlent au nom de leurs membres. Il en va de même pour les gilets jaunes . Les sondages disent que les Français soutiennent le mouvement, mais la légitimité ne peut pas venir d'un sondage. Ni du nombre de gilets jaunes apposés sur les pare-brise des voitures.
 

Les jours à venir seront décisifs ?


Guillaume Plaisance : C'est bien compliqué de se prononcer sur un mouvement qui change parfois d'heure en heure. Emmanuel Macron doit s'exprimer lundi, difficile de dire s'il cela suffira. Les mesures obtenues jusqu'à présent n'ont pas calmé la colère des gilets jaunes. Et les revendications sont tellement nombreuses et disparates qu'Emmanuel Macron ne pourra jamais répondre à toutes.

 

Est-ce que les gilets jaunes auront envie de quitter leurs enfants ou leurs petits enfants pendant les fêtes  pour aller manifester et bloquer des routes ?
 


La période de Noël qui arrive sera sans doute cruciale. Déjà parce que c'est la traditionnelle "trêve des confiseurs". Il sera intéressant de voir si l'engagement des uns et des autres survivra à cette période.  Est-ce que les gilets jaunes auront envie de quitter leurs enfants ou leurs petits enfants pendant les fêtes  pour aller manifester et bloquer des routes ? Est-ce qu'ils auront véritablement envie de bloquer d'autres Français pendant cette période ?


Mon hypothèse est que cette période pourrait aussi être celle qu'ils choisiront pour se structurer. Et que l'avenir des gilets jaunes se décidera finalement  début 2019.
 
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité