La Gironde s'impose comme le département où l'on achète le plus de pesticides, selon les données révélées par l'association Génération futures. Il s'agit essentiellement des fongicides et d'insecticides à base de molécules potentiellement cancérigènes, fortement utilisées notamment par la viticulture.
Des dégradés de verts, du plus pâle au plus foncé, habillent la carte publiée ce 9 janvier par l'ONG Génération Futures. Mais en noir, un seul département : la Gironde. Si l'association de défense de l'environnement veut publier ces informations, c'est pour que chaque Français puisse être informé de l'air qui l'entoure et des éventuels risques liés aux pesticides utilisés près de chez lui. Savoir quelles substances pesticides étaient les plus achetées par département entre 2015 et 2022, ainsi que celles classées cancérigènes mutagènes ou reprotoxiques de niveau 1 et/ou 2.
Cette carte départementale des achats de pesticides en France permet de se rendre compte que la Gironde est le plus gros acheteur de pesticides en France. La carte a été établie à partir de données issues de la Banque nationale des ventes (BNVD), alimentées par les distributeurs de produits phytosanitaires et mises à disposition par les ministères territoires, écologie, logement. "Ce sont des données officielles et publiées qui datent un peu. Les plus récentes sont de 2022", précise Cyril Giraud, le porte-parole de l'association à Bordeaux. "Elles portent sur les achats (de pesticides, ndlr), même si nous réclamons depuis des années des données d'épandage à la parcelle".
"On sait bien que lorsqu'ils achètent vu le prix que ça coûte, c'est pour les utiliser".
Cyril GiraudGénérations Futures
Il admet qu'il peut y avoir ponctuellement des effets de stockage "quand il y a des molécules qui vont être interdites, certains en profitent pour les acheter juste avant, mais c'est vraiment à la marge".
Des achats donc et non des usages effectifs, mais qui restent révélateurs d'une pratique particulièrement prégnante pour la culture "des céréales et la viticulture".
Les grandes cultures sont les plus concernées par les utilisations massives de ces produits phytosanitaires de synthèse et donc, en Gironde, c'est surtout la viticulture.
C. GiraudGénérations Futures
Pourtant, le porte-parole de Générations futures estime que ce n'est pas une fatalité. "L'agriculture biologique est beaucoup plus développée sur le pourtour méditerranéen en viticulture qu'en Gironde. C'est possible de faire des vins prestigieux en bio ou en biodynamie". Il précise d'ailleurs qu'en matière d'usage de pesticides, l'appellation HVE (Haute Valeur Environnementale) est trompeuse car les exploitants disposent des mêmes autorisations qu'en conventionnel.
Folpel et Metirame
Ces noms étranges sont deux molécules très utilisées en viticulture dans des fongicides pour lutter contre les attaques de Mildiou qui peuvent ravager la vigne et particulièrement en Gironde. Le Folpel a été classé comme substance CMR2 (cancérigène, mutagène, reprotoxique). Pourtant, son permis d'utilisation a été renouvelé pour 15 ans par l'Union européenne.
Le Métirame, lui, a été identifié comme perturbateur endocrinien. Il ne sera plus vendu après le 31 janvier 2025 mais son usage est autorisé jusqu'en juillet, pour liquider d'éventuels stocks. Dans ce cas, les viticulteurs doivent respecter une Distance de Sécurité Riverain (DSR) de 20 mètres lors de l'utilisation de produits à base de Métirame jusqu'à cette date.
Voir ces deux molécules encore très achetées, très utilisées en Gironde, est inquiétant pour Cyril Giraud qui a découvert sur cette carte que 134 tonnes de Métirame ont été utilisées en Gironde, en 2022 "C'est énorme. Je ne m'y attendais pas. Ce sont des produits très préoccupants pour la santé, qui devraient être interdits", alerte-t-il.
"Addiction au glyphosate"
Son inquiétude est partagée par Benoît Biteau, député écologiste de Charente-Maritime, département à la 8e place du classement et première sur l'usage du glyphosate.
"Que notre département soit un des plus gros utilisateurs de ces trois molécules extrêmement toxiques (glyphosate, Fosétyl-aluminum, Folpel; ndlr) est une information extrêmement peu rassurante", note l'élu. Ce dernier se dit préoccupé, autant pour les agriculteurs qui manipulent et vivent avec ces substances, que pour les riverains "confrontés à l'exposition à ces pesticides via l'air qu'on respire à chaque instant, ou via l'eau qu'on peut boire, au robinet. Tout ça est très inquiétant".
Sur le glyphosate, on constate de la part du monde agricole une forme d'addiction, puisqu'on reste sur une forte consommation de cette molécule la plus vendue au monde.
Benoît BiteauDéputé écologiste de Charente-Maritime
"Malgré les aspirations citoyennes, la sonnette d'alarme lancée par ceux qui nous alertent sur le dérèglement climatique et qui sont concernés par l'utilisation de ce glyphosate, on continue d'utiliser beaucoup de glyphosate", déplore Benoît Biteau, qui parle même d'une forme "d'addiction" à cette molécule. Près de 200 tonnes ont été achetées en 2022 en Charente-Maritime.
"On voit bien que depuis 2016, on a des fluctuations, mais globalement, on est quand même sur des étiages extrêmement élevés d'utilisation du glyphosate. Ça télescope complètement les ambitions de réduction des pesticides engagées en 2008, qui prévoyaient entre 2008 et 2018 de réduire de 50% l'utilisation des pesticides".
Un échec alors que rappelle l'élu écologiste, "beaucoup d'argent public a été mis sur la table pour tenter d'accompagner les agriculteurs sur cette réduction de pesticides".
Selon ce denier, ces démarches resteront insuffisantes tant "que les politiques publiques continuent de distribuer des aides aux agriculteurs sans conditionnalité, sans exiger la réduction de ces pesticides".
Le député charentais se veut pourtant optimiste et croit au potentiel législatif. "Lors des manifestations du début de l'année 2024, un sondage montrait que 62 % des agriculteurs pensaient qu'il fallait avancer sur cette bifurcation agroécologique, 23 % pensent que c'est même une réelle opportunité. Donc ça fait 85 % d'agriculteurs qui sont prêts à s'engager sur cette trajectoire...", assure-t-il.