Après sa plainte contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon, l'actrice Judith Godrèche a déclenché une nouvelle vague de libération de la parole dans le monde du cinéma. En Nouvelle-Aquitaine, plusieurs professionnels tentent de faire bouger les lignes pour prévenir et contrer les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux de tournage.
“Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face ? Prendre nos responsabilités ? Être les acteurs et actrices d’un univers qui se remet en question ?" Quelques jours après la 49ᵉ cérémonie des Césars, les mots de Judith Godrèche résonnent. Une prise de parole forte dans la foulée de sa plainte pour viols et violences sur mineur de moins de 15 ans, à l'encontre du réalisateur Benoît Jacquot et du cinéaste Jacques Doillon.
Judith Godrèche a secoué les César… Le discours, aussi fort qu’émouvant de la comédienne, a fait se lever un public qui jusqu’ici ne semblait pas l’avoir beaucoup soutenue, ce qu’elle n’a pas manqué de souligner. #Cesar2024
— Le Parisien (@le_Parisien) February 24, 2024
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Investir les plateaux
L'écho, aussi, d'une invitation à réfléchir, dès les plateaux. En Gironde, le tournage de la nouvelle saison d'"Amours solitaires" bat son plein. Sur scène, six acteurs principaux, autant de techniciens et un référent harcèlement : "C'est désormais systématique" explique Noël Magis, le directeur de production.
Son rôle ? Orienter, écouter et accompagner les différents membres de l'équipe tout au long du tournage. Pourtant, la majorité d'entre eux ne sont pas formés. L'inverse de Laure Gonay, qui a pris l'initiative de suivre une formation pour se porter volontaire sur les plateaux. Cette chargée de production vient tout juste d'achever trois jours d'apprentissage. Nécessaires selon elle : "Même si choisir un référent est davantage une question de confiance, je pense que c'est mieux. On a réalisé qu'il n'y avait pas de protocole adapté pour le cinéma."
Des formations spécialisées
Adapter ces formations au milieu cinématographique, là est l'autre défi. "Tant qu'on n'a pas mis les pieds sur un plateau, on ne sait pas comment ça se passe, lance Anthonie Costan Zanon, ancienne intermittente du spectacle.
Il y a un an, la Néo-aquitaine a donc co-fondé l'Atelier Marcelle, un module de formation spécifique au cinéma, résultat de "15 ans de constats et de témoignages." Soixante personnes ont déjà été formées, toutes volontaires, "alors que l'initiative devrait venir directement des entreprises de production", explique-t-elle.
Preuve que dans ce milieu, la libération de la parole n'a pas éteint la culture du silence. Boostée par l'entre-soi et cette tendance : "La plupart des postes décisionnaires sont détenus par des hommes, argumente la formatrice. Tant qu'il n'y aura pas la parité, il y aura un facteur de risques." En 2019, une étude réalisée par le collectif 50/50 révèle que 88% des scénarios sont écrits par au moins un homme.
Coordinatrices d’intimité
Ces thématiques sont abordées de plus en plus tôt. Comme au Cours Florent, où l'on forme les acteurs de demain. Chaque début d'année, le directeur de l'établissement de Bordeaux, Julien Delbès, a un mot d'ordre : la communication. "On ne leur donne qu'une seule consigne : vous avez le droit de dire non." La pédagogie a évolué et les cours pratiques sont aussi un espace d'échange.
Le cinéma comme le théâtre, c'est pour de faux. On n'a pas à souffrir pour jouer une scène de souffrance.
Julien DelbèsDirecteur du Cours Florent Bordeaux
D'ici à l'année prochaine, les étudiants du Cours Florent assisteront à une master class d'une de leurs camarades, qui étudie pour devenir coordinatrice d'intimité, l'autre rôle qui émerge pour faciliter les scènes de nudité et éviter les situations de violence. En France, elles sont seulement quatre à exercer. L'une d'entre elles est présente sur le plateau de la série "Amours solitaires", pilotée par Noël Magis : "C'est une figure auxiliaire qui a vocation à devenir un véritable métier d'ici à quelques années."
Une nécessité politique
Les initiatives de terrain se développent, mais ils et elles sont plusieurs à demander une véritable politique. La sénatrice girondine (EELV) Monique de Marco s'est récemment emparée du sujet. Le 14 février dernier, elle a fait voter un amendement qui propose de retirer les aides du Centre national du cinéma (CNC) aux entreprises de production en cas de condamnation après un tournage.
✅ Victoire contre les #VSS
— Monique de Marco (@moniquedemarco) February 15, 2024
Les subventions du Centre national du cinéma seront retirées aux sociétés de production en cas de condamnation pour violences sexistes ou sexuelles lors d’un tournage. On lâche rien 💪#Metoo #Cinema #Senat pic.twitter.com/TL4KnKVKkr
En attendant que l'amendement soit ou non adopté par l'Assemblée nationale, le CNC a, lui, décidé d'élargir sa formation obligatoire à l'ensemble des équipes de tournage en juillet 2024. Jusqu'alors, seuls les producteurs et les distributeurs étaient concernés par cette sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles.
Un balbutiement en forme de victoire, comme pour sceller l'espoir de Judith Godrèche : "Nous sommes sur le devant de la scène, à l'aube d'un jour nouveau. Nous pouvons décider que des hommes accusés de viol ne fassent pas la pluie et le beau temps dans le cinéma."