Climat. Eté 2022 en Aquitaine. "Ce qui nous attend, ce sont des incendies massifs comme ceux qu'a connus la Grèce il y a quelques années. Et il y aura des morts !"

En Aquitaine, l'été 2022 aura été marqué par des incendies hors norme, notamment en Gironde. Ces événements exceptionnels vont s'intensifier dans les années à venir, rappelle Daniel Compagnon. Selon ce spécialiste des questions environnementales, il est grand temps de repenser nos pratiques afin de contenir le réchauffement climatique.

Le même scenario s'est répété, tout l'été. Des départs de feux, accidentels ou volontaires sont constatés. Les pompiers mobilisent leurs moyens terrestres et aériens pour combattre les flammes, jour et nuit.
Parfois, comme en Gironde, des milliers de riverains sont évacués, avant que le feu ne soit maîtrisé, et que le bilan, recensant le nombre d'hectares détruits, ne soit communiqué : en juillet, 13 000 hectares brûlés sur le premier feu de Landiras, en Gironde. Plus de 7 000 à la Teste-de-Buch. Dans les Landes, des centaines d'hectares de végétation sont partis en fumée en quelques semaines. 

A l'échelle de la Nouvelle-Aquitaine, ce sont près de 45 000 hectares de végétation qui ont souffert des incendies pendant les neuf premiers mois de 2022. Soit plus du double de la surface brûlée dans la région l'an dernier. Du jamais vu. 

Des incendies favorisés par la sécheresse et la chaleur : les 40 degrés ont été dépassés à plusieurs reprises sur les mois de juillet et août.
En ce mois de septembre, l'accalmie n'est pas encore de mise : un feu parti de Saumos le 12 septembre a détruit 3 700 hectares dans le Médoc. Sur le bassin d'Arcachon, 120 hectares viennent de partir en fumée. La Gironde est le département français le plus touché par les incendies de végétation en 2022.

Daniel Compagnon est enseignant à Science Po Bordeaux, responsable du master "Gouvernance de la Transition Ecologique. Spécialiste des questions environnementales, il est l'auteur de plusieurs livres et articles sur les politiques publiques du changement climatique. Il est également vice-président d'Acclimaterra, le comité scientifique de la Nouvelle-Aquitaine sur le changement climatique. 

Pour France 3 Aquitaine, il revient sur les conséquences de cet été 2022 dans notre territoire. Selon lui, ces incendies hors normes impliquent à la fois une prise de conscience collective et la mise en place de politiques publiques adaptées aux réalités locales.

"Il y a toujours eu des incendies pendant l'été", "ce n'est pas la première fois qu'on a une canicule...". Cet été, les conséquences du changement climatique étaient visibles depuis nos fenêtres.
Pour autant, les discours dits "rassuristes" continuent de se répandre. Comment l'expliquer ?

Le doute ce n'est pas, par définition, quelque chose de rationnel. Il y a toujours des gens qui peuvent douter parce que ça les arrange, parce qu'ils veulent se rassurer, parce que cela va à l'encontre de leurs intérêts… 

Ce ne sont pas les scientifiques qui sont alarmistes, ce sont les les événements. La majorité de la population est consciente que la récurrence de ces manifestations météorologiques extrêmes a un lien avec le changement climatique. On n'est pas dans une normalité des accidents météo, on est dans une tendance lourde. Certes, voir ces manifestations ne mettra pas un terme au doute, cela va en revanche réduire le nombre de gens qui ont un discours de déni.

Est-ce que l'information sur ce sujet est suffisante ?

C'est un problème qui subsiste. Il y a toujours la confusion entre événements météorologiques et réchauffement climatique.
Les événements météo sont du domaine de l'aléa. Le changement climatique, c'est l'augmentation de la fréquence et de l'intensité de ces aléas. L'évolution du climat est un phénomène complexe, qui se mesure sur la durée.

Aujourd'hui, peut-on penser que des leçons ont quand même été tirées de ces incendies ? 

Leur traitement médiatique interroge. On entend surtout parler du développement des moyens de lutte contre le feu. Pourtant, cet été, il n'y a pas eu de mort, l'organisation a fonctionné de façon remarquable.

On ne peut pas réduire le débat à la question de savoir si on a eu assez de Canadair ou pas

Daniel Compagnon, enseignant à Science Po Bordeaux, spécialiste des questions environnementales

Source : rédaction Web France 3 Aquitaine

On sait très bien que la réponse est aussi dans la modification des pratiques sylvicoles et des tendances actuelles d'urbanisation.
A un moment, il faut être cohérent : on ne peut pas accepter d'avoir une urbanisation diffuse en milieu forestier, puis compter sur les pompiers pour risquer leur vie en tentant de sauver les gens et leurs biens. 

De même, est-ce que demain, on peut continuer à avoir un tel flux touristique, qui s'accroît chaque année, sur des zones comme le bassin d'Arcachon ou la côte landaise ? Est-ce que c'est tolérable?
D'un point de vue climatique, ça le sera de moins en moins. Pas seulement en termes de risques d'aléas liés à la forêt, mais aussi en termes de ressources en eau, d'espace, de conditions d'accueil, de circulation, de déplacements…

Je regrette que le débat ne soit pas suffisamment posé en ces termes. Au contraire, on en est à dire "on va continuer comme avant". 

On sait donc désormais que ces incendies vont s'intensifier dans les prochaines années ?


On n'est pas du tout au bout des logiques d'évolution des changements climatiques. Quand on aura dépassé les paliers à 40°C, on ira vers des paliers à 50°C.
Nous avons connu des événements exceptionnels cet été. Grâce aux projections qui ont pu être faites, nous savons que ces phénomènes, que l'on considère comme anormaux aujourd'hui, vont constituer la nouvelle normalité.
Ce qui nous attend, ce sont des incendies comme ceux qu'a connus la Grèce il y a quelques années. C’est-à-dire des incendies tellement massifs qu'il sera beaucoup plus difficile de les contenir. Ils seront de plus en plus récurrents, de plus en plus fréquents avec des intensités croissantes. Et il y aura des morts ! 

J'ai souvent utilisé lors de mes interventions une carte réalisée en 2010. Elle représente le risque d'incendies sur les principaux massifs forestiers de France à l'horizon 2040. Toute la forêt des Landes de Gascogne était placée en risque maximum, au même titre que les forêts méditerranéennes.

 

Lorsque que je la présentais, je disais au public : "regardez ce qui nous attend, cette forêt va brûler !" A l'époque, ça n'avait pas suscité tant de réactions que ça.
Finalement, on n'a pas attendu 2040, et ça va recommencer dans les années qui viennent. Peut-être pas l'an prochain si on a une année plus humide, mais de façon tendancielle, cette forêt va brûler.

C'est vrai que les choses ont évolué plus vite que ce que la plupart des climatologues ont anticipé. La climatologie c'est une science qui progresse aussi par le débat scientifique, avec des points de vue différents. 
On fait parfois des projections qui pêchent par excès d'optimisme. Quelque fois, c'est le point de vue minoritaire, de ceux qui disaient que ça sera plus grave et plus rapide, qui était le plus juste. C'est pourquoi il y a besoin de faire des bilans réguliers, afin d'actualiser les données en permanence.

 

Est-ce qu'il est encore réaliste aujourd'hui d'imaginer pouvoir ralentir cette tendance ?

Sur le changement climatique, on est sur des temps longs. Le réchauffement d'aujourd'hui, celui qui nous tracasse en cette période de canicule, c'est le résultat des émissions de CO2 des pays riches, d'il y a 100 ans. C'est la durée pendant laquelle ces gaz, concentrés dans la haute atmosphère, se maintiennent avant de se désagréger.

On ne peut pas inverser une tendance ancrée 100 ans en arrière. En revanche, on peut la ralentir progressivement. Cela va passer par des changements très lents. Le retour à une situation où le réchauffement s'atténuerait prendra des siècles, voire des millénaires.

Au regard de ces délais, faut-il concentrer nos efforts sur l'adaptation à ce changement plutôt que sur la lutte contre le réchauffement ?

Il existe un discours qui dit que ce n'est pas très utile de lutter contre le changement climatique, qu'on n'y peut plus grand-chose, mais qu'en revanche il faut s'adapter. Ce discours a tort sur toute la ligne.

Il n'est pas possible de stopper la hausse de la température, mais il est possible de la ralentir. Si on ne ne le fait pas, on ne sera plus en mesure de s'adapter, passés certains seuils.
Je sais que certains croient en l'ingéniosité humaine et à l'innovation technologique miracle. Mais il y a une limite à nos capacités, en tant qu'espèce, à nous adapter à un réchauffement sur la planète et à maintenir des zones habitables suffisamment importantes pour la population sur la planète.

Il est donc impératif de faire les deux : avoir des politiques d'atténuation ambitieuses et, en même temps, des politiques d'adaptation qui regardent concrètement ce que nous devons faire pour survivre dans un climat modifié.

Beaucoup de régions, dont la Nouvelle-Aquitaine, et de collectivités locales mettent en place des outils pour atténuer ce réchauffement. Est-ce suffisant au regard des émissions de CO2 de certaines entreprises ou pays ?

C'est une objection que je rencontre souvent dans mes conférences. On me dit : "nous on ne pèse rien en termes d'émissions. Si les Chinois ne font pas d'efforts, ça ne sert à rien qu'on en fasse". Ce sont des raisonnements de sophistes, qui sont faux sur un plan mathématique. Certes, la Chine, les Etats-Unis, l'Inde et le Brésil pèsent lourd dans l'addition. Mais si vous prenez tous les autres pays individuellement et vous les mettez bout à bout, ils représentent quand même une part significative des émissions.


Et c'est la même logique à l'échelle européenne, nationale et locale. Les efforts que nous faisons dans une collectivité locale, pour réduire nos émissions liées au transport ou au chauffage domestique, sont un élément d'un ensemble. Elles nous rendent solidaires des autres territoires et c'est cette solidarité qui va faire qu'au niveau national, on va atteindre nos objectifs.

La actions affichées par l'Etat et les collectivités pour réduire les émissions de gaz à effet de serre peuvent-elles porter leurs fruits ? 

Les territoires ont l'obligation de produire des Plans climat-air-énergie, des PCAET. Ils doivent organiser la réduction des émissions de gaz à effets de serre et leurs efforts d'adaptation.

Mais cela manque encore de cohérence. Les collectivités locales n'ont reçu aucun moyen supplémentaire pour faire face à cette obligation nouvelle, alors même qu'il s'agit d'une activité compliquée, intellectuellement et administrativement. Elle l'est aussi sur le plan politique : c'est un sujet qui est difficile de faire passer devant les préoccupations locales classiques.

Certaines choses paraissent plus importantes. Par exemple, une collectivité peut décider de faire une déviation pour sortir les poids lourds de la commune,. Elle va donc construire une route périphérique qui va manger des terres agricoles. Cette déviation devient une priorité locale dans laquelle la question climatique n'entre pas en ligne de compte. Alors que tout devrait entrer en ligne de compte.

Pour autant, la prise de conscience n'est pas absente chez les acteurs locaux. Les résistances que l'on constate sont souvent liées à d'autres facteurs, notamment le manque de moyens, les problèmes de personnel ou l'absence de leadership politique…

On assiste depuis plusieurs années à des manifestations pour le climat, des débats, des colloques...
Qu'est-ce qui manque aujourd'hui pour que cette prise de conscience, dont vous parlez, se développe, pour que ce sujet soit traité à la mesure de l'urgence qu'il représente ? 

Je ne crois pas beaucoup au pouvoir des manifestations où on crie "y'a qu'a, faut qu'on". J'ai moi-même participé à des marches pour le climat, au début, mais je n'en vois pas l'intérêt, en dehors du confort de se retrouver avec des gens qui pensent comme vous.

A un moment, les incitations, c'est bien mais ça ne suffit pas. Il faut de la contrainte.  Moi, je vais en bicyclette à l'université. Tous les matins sur mon trajet, je double des files de voitures avec une seule personne dans la voiture. Ce sont souvent des jeunes au volant. Il s'agit d'un trajet urbain, avec des alternatives. Et pourtant, les comportements ne changent pas.

 A un moment, les incitations c'est bien mais ça ne suffit pas. Il faut de la contrainte.

Daniel Compagnon, enseignant à Science Po Bordeaux, spécialiste des questions environnementales

Difficile d'envisager que ce discours soit entendu et surtout, que ces contraintes soient acceptées...  

Ce n'est pas dans une collectivité rurale de 20 000 habitants qu'il faut emmerder les gens sur l'usage de l'automobile ! Ca ne changerait rien. Alors que dans une agglomération de 800 000 habitants, ce n'est pas insignifiant.
Les actions doivent toujours être en relation avec un territoire, sa taille, ses caractéristiques, ses problèmes spécifiques. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, il va falloir amplifier et agir à tous les niveaux,

Ce qui signifie parler clairement aux gens, leur dire que ca va être compliqué et difficile mais que c'est prioritaire et que cela requiert des efforts.
Le véritable courage politique consiste à aller expliquer aux gens que ce qu'ils croient est erroné, que les faits sont différents et qu'il va falloir aller agir dans un autre sens. Et ce, même si c'est moins rentable politiquement que de distribuer des bons d'essence gratos.

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