Du sucre dans le vin : quelle est cette méthode ancestrale utilisée par les vignerons pour faire remonter les taux d'alcool ?

L'été frais et humide a contraint les vignerons à recourir à une pratique presque oubliée dans le Bordelais : la chaptalisation. Laurent Rousseau, vigneron à Abzac, fait partie de ceux qui ont dû ajouter du sucre à leurs cuves pour compenser le manque de maturité de leurs raisins et préserver l'équilibre du vin.

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"On a eu seulement trois semaines d'été, si on regarde bien", lâche Laurent Rousseau, le regard tourné vers ses vignes situées à Abzac, en Gironde. Or "la vigne a besoin de chaleur de juin à septembre pour générer du sucre". Ce constat résonne parmi les vignerons de toute la région, face à un été 2024 particulièrement pluvieux et frais.

Ainsi, pour préserver l'équilibre de leurs vins, certains ont été contraints de recourir à la chaptalisation, une pratique autrefois courante, mais devenue rare à Bordeaux, en raison du réchauffement climatique.

Un procédé ancien pour un millésime en difficulté

Apparue en 1801 grâce au chimiste Jean-Antoine Chaptal, la chaptalisation consiste à ajouter du sucre dans le moût de raisin pour compenser un manque de maturité et, surtout, d'alcool potentiel. Ces carences peuvent nuire à l'équilibre et au goût du vin.

Lors de la fermentation, ce sucre est entièrement transformé en alcool, et non pas en douceur ou en sucre résiduel. "Ce n'est pas mettre du sucre directement dans le vin, ça, ça s'appelle l'édulcoration et ce n'est pas autorisé pour les vins d'appellation", tient à préciser Pascal Hénot, œnologue et directeur d’Enosens. La chaptalisation consiste à ajouter du sucre, certes, mais il est directement transformé en alcool. L'objectif, c'est de retrouver un équilibre gustatif."

L'alcool est un élément important du vin. S'il n'y en a pas assez, l'équilibre ne sera pas là et gustativement le plaisir ne sera pas là non plus.

Pascal Hénot

œnologue et directeur d’Enosens

À Bordeaux, où le soleil est habituellement suffisant pour assurer la maturité des raisins, la chaptalisation est rare, mais redevient autorisée exceptionnellement lors des millésimes défavorables. Ce fut le cas en 2013 et 2021, deux années marquées par des conditions climatiques particulièrement difficiles.

En 2024, les pluies estivales et les températures basses ont empêché les raisins d’accumuler les sucres nécessaires pour atteindre les 12,5 à 13 degrés recherchés. "On a mesuré nos cuves à 12 degrés seulement cette année, confie Laurent Rousseau. Pour atteindre un équilibre idéal, on a dû ajouter juste de quoi remonter un peu."

Sans alcool, "le plaisir gustatif n'est pas là"

Un degré d'alcool équilibré est crucial pour structurer le vin et lui donner du corps, en particulier pour les vins rouges. Lucie Rousseau, maître de chai et ingénieure agronome, explique que "l’alcool est un support aromatique essentiel. Avec un degré d’alcool trop faible, le vin manque de structure et le plaisir gustatif n'est pas là."

Le goût du vin est un équilibre entre plusieurs éléments : les acides, les tanins, l’alcool, le gras.

Pascal Hénot

œnologue et directeur d’Enosens

Pour les vignerons, cette pratique permet de s'adapter aux aléas climatiques sans compromettre la qualité de leurs vins. En pratique, environ 16,83 grammes de sucre permettent d’ajouter un degré d’alcool. Dans le cas de 2024, cette chaptalisation, même légère, a permis de redonner au vin la puissance et la structure nécessaires.

Une solution régulée et encadrée

Avant les années 2010, les millésimes frais ou pluvieux nécessitant la chaptalisation étaient fréquents. "C'est une pratique qui se faisait couramment car c'était assez régulier d'avoir des vendanges pas suffisamment mûres", développe Lucie Rousseau. Mais avec le réchauffement climatique, les vignerons bordelais ont rarement eu recours à cette pratique, leurs raisins atteignant de plus en plus facilement des degrés d’alcool élevés. "Dans les années 80, un Bordeaux affichait autour de 12,5 degrés. Aujourd’hui, il n’est pas rare de dépasser les 14,5 degrés", note Laurent Rousseau. "On a arrêté la chaptalisation simplement parce que le climat a changé et que les raisins mûrissaient naturellement."

Lucie Rousseau abonde dans ce sens : "Je ne l'ai utilisée que deux fois en dix ans." Pourtant, la météo imprévisible de 2024 a contraint les vignerons à renouer avec ce geste ancestral pour équilibrer un millésime défavorisé par le climat.

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Ce processus est exceptionnellement autorisé à Bordeaux lors de conditions climatiques difficiles. ©J.-P. Stahl France 3 Aquitaine

En France, la chaptalisation est rigoureusement encadrée. Elle est par exemple autorisée dans les régions du nord, en Alsace ou en Allemagne et interdite dans le Sud, en Italie, en Espagne, et à Bordeaux. Chaque année, les vignerons doivent donc obtenir une autorisation préfectorale en fonction des caractéristiques climatiques. Cette année, un arrêté préfectoral a permis aux vignerons girondins de recourir à cette pratique pour compenser l’insuffisance de sucre naturel dans leurs raisins. 

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