Témoignage. "J'ai passé le mois de juillet à chialer", sans revenu et endetté, ce viticulteur doit abandonner l'exploitation familiale

Publié le Écrit par Julie Chapman
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Guillaume Petregne fait partie des 800 viticulteurs qui composent le vignoble du Médoc. Pourtant, comme de nombreux confrères, il va prochainement mettre la clé sous la porte à cause d’une crise économique sans précédent. Dettes, intempéries, prix qui dégringolent, les raisons sont multiples.

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Ses raisins sont encore sur leur cep, prêts à être ramassés. Ce seront sûrement les dernières vendanges de Guillaume Petregne, propriétaire du Château Guillaume, dans le Médoc. Ces parcelles sont celles de sa famille. “Il y a celles de mon oncle, de mon grand-père qui ont 50 ans, de mon père et puis les miennes”, présente le viticulteur.

Ancien dessinateur projeteur en électricité, Guillaume a tout quitté, en 2016, pour vivre “au milieu de ces vignes”. “On plante le pied, on l’élève, on fait la vinification, on met en bouteille, on fait tout de A à Z. Tout le monde n'a pas cette chance d'avoir un métier où tu crées vraiment quelque chose. Tu mets ton âme dans la bouteille", s'enthousiasme le vigneron.

Malgré la fierté, sa voix tente de contenir la tristesse qui l’envahit. Son activité est à l’arrêt depuis de nombreux mois, il devrait y mettre un terme “après les vendanges”. Son dernier espoir : “un miracle”, soit l'achat de la quasi-totalité de ses stocks.

J’ai passé le mois de juillet à chialer, comme un enterrement, un deuil.

Guillaume Petregne

Viticulteur du Médoc

"Ça va me grignoter jusqu'à la fin de mes jours"

Après ses aïeuls, Guillaume Petregne est le sixième propriétaire de cette exploitation vieille de 120 ans. Dans la maison familiale, presque rien n’a bougé depuis qu’il a repris l’exploitation en 2016. “Cette table, c’était celle du repas de Noël avec le grand-père, les parents, la cousine… Mon grand-père, ma mère sont nés dans cette maison”, se souvient le viticulteur, en caressant la table de bois massif qui trône au milieu de la salle à manger. 

Je me revois à courir autour de la table quand j'étais gamin, me mettre avec ma cousine près de la cheminée à la fin des repas.

Guillaume Petregne,

Propriétaire du Château Guillaume

Des souvenirs qui devraient bientôt disparaître, avec la fin de son activité. “Je me suis dit : tu ne peux pas continuer comme ça. Il faut que tu arrêtes avant que la banque vienne te saisir la baraque, les meubles, que tu te retrouves comme un clochard sous un pont. Mais ça va me grignoter jusqu'à la fin de mes jours”, souffle Guillaume Petregne, qui envisage de demander un redressement judiciaire d’ici à novembre.

Depuis plusieurs mois, le père de famille évite la boite aux lettres “remplie de factures et de lettres de relances”. Son exploitation n’a en effet rien vendu depuis un an, faute d'acheteur. “Avec une petite exploitation comme la mienne, rien que pour me rembourser, il faudrait que je vende à 1 400 € le tonneau. Là, si je le fais partir à 1 200 euros, c'est jour de fête et je perds 200 euros par tonneau. En 2021, j’ai même tenté de les vendre à 800 euros, et ça ne partait pas”, se désole le vraqueur.

"Ça ne sert plus à rien"

Une perte considérable pour celui qui a grandi et dédié sa carrière à cette exploitation. “Je ne cesse de faire des concessions. Je ne vois pas trop ma famille qui est à Bordeaux, ni mes gamins grandir. Je suis plus au travail qu'autre chose et à l'arrivée, ça ne sert plus à rien”, constate-t-il.

Les grand-pères étaient fiers que leurs petits-enfants ou enfants récupèrent les exploitations agricoles. Maintenant, on le déconseille vivement à nos enfants.

Guillaume Petregne,

Viticulteur dans le Médoc

Seul avec un employé, Guillaume a bien tenté de tenir pour récupérer de la trésorerie. Sans succès. “Dès que je me lève, je perds de l'argent. On a beau tout donner pour avoir des vignes qui produisent un raisin de qualité, à une quantité raisonnable, entretenir les terres en espérant les redonner aux générations suivantes, ce n’est pas suffisant”, soupire Guillaume Petregne. 

"Ils m'ont demandé si je n'allais pas faire une bêtise"

Dans ces terres viticoles, le drame de Guillaume résonne de parcelle en parcelle. “On est un paquet dans cette situation. On ne se le dit pas, mais on voit cette sinistrose dans les yeux des collègues. On a tous la boule au ventre”, explique Guillaume Petregne. “J’ai vu des amis perdre leur femme, tenter et parfois réussir à se mettre une balle”.

Pour preuve, “chaque lundi, dans un box du tribunal judiciaire de Bordeaux” des dizaines d'agriculteurs se succèderaient, toute la journée, pour des impayés. Guillaume l’a découvert le 3 mai dernier. “T’es là, aux côtés des tueurs, des voleurs. Tu es considéré comme un bandit pour ne pas avoir pu payer 3 500 euros de charges”, se remémore le viticulteur.

À la fin, ils m’ont demandé si je n'allais pas faire une bêtise. Je leur ai dit que je n’avais même plus assez d’argent pour m’acheter une corde.

Guillaume Petregne,

Propriétaire du Château Guillaume

Loin des années fastes d’avant-covid, l’exploitation survit aujourd'hui, dans un équilibre précaire entre les emprunts et les recettes. “Si seulement on pouvait se sortir un SMIC, ça irait. Même mon salarié m’a proposé de travailler gratuitement quand il a appris la situation”, illustre Guillaume Petregne.

"Plus une bouteille de Médoc dans les restaurants"

À qui la faute ? D’une entreprise prospère jusqu’en 2019, le château Guillaume est devenu un gouffre financier, sans pouvoir désigner de coupable. “Il y a eu la covid, comme dans plein d’autres secteurs. On a aussi perdu des parts de marché entre Trump aux États-Unis puis le marché chinois qui s’est développé et qui se passe de nous aujourd’hui”, tente-t-il d’expliquer. Guillaume Petregne accuse les représentants de la filière de n’avoir “pas fait grand-chose sur la scène mondiale” et une “mode” qui incite à moins consommer d’alcool.

Il pointe aussi le désintérêt du marché français et en particulier girondin. “Tous les vins argentins, brésiliens ont eu un marketing beaucoup plus agressif. Ils ont pris des parts de marché qu'on ne récupérera jamais. Même à Bordeaux, on ne voit plus une bouteille de Médoc dans la moitié des restaurants”, assène le viticulteur.

On est leur poule aux œufs d’or. Sauf que quand il n’y aura plus d’œufs, il va y avoir beaucoup de monde qui va couler.

Guillaume Petregne,

Viticulteur du Médoc

"Écœurement administratif"

Les ventes de vin en chute libre, le nombre de viticulteurs semble aujourd’hui trop important pour le marché. Pour accompagner les viticulteurs dans cette crise, l’État a mis en place des aides, notamment de primes à l’arrachage ou à la reconversion. “Les aides, on s’en fout. Attal [Gabriel Attal, ancien Premier ministre, NDLR], sa petite année blanche et ses petits sous-sous, ce n'est pas avec ça qu'on va vivre. Il faut que ceux qui sont censés vendre notre vin fassent quelque chose. Et ceux qui margent sur notre dos arrêtent”, lance Guillaume Petregne.

Peu cohérentes avec les besoins des viticulteurs, ces aides seraient aussi extrêmement compliquées à obtenir. “C’est une machine de guerre qui a bien failli me couter mon exploitation”, entame le viticulteur. Pour construire son nouveau chai de stockage, il a fait appel à des aides européennes et obtient un coup de pouce de 36 000€. “Quand j’ai rempli le formulaire, j’ai fait une déclaration de récolte que j’ai malheureusement laissée en statut brouillon sans m’en rendre compte. Je n'ai pas fait le petit clic”, explique Guillaume Petregne. Le droit à l’erreur n’existant pas dans le droit européen, l’instance demande au viticulteur de rembourser l’intégralité de son aide pour fraude.

J'ai failli mettre la clé sous la porte pour un clic.

Guillaume Petregne,

Propriétaire du Château Guillaume


Il va donc se battre pendant trois ans, faisant appel à toutes les instances, jusqu'au député du Médoc, qui envoie un courrier virulent. “Je ne sais pas si c’est ça spécifiquement, mais trois jours plus tard, j’avais un mail qui m’indiquait que je n’avais plus rien à rembourser”, se souvient Guillaume Petregne. 

Cette mésaventure, ce n’est qu’un exemple de la complexité administrative et de son aspect chronophage. “On fait deux journées en fait. Celle sur l’exploitation et une seconde de paperasse. Le soir, on mange vite, et on enchaine avant d’aller se coucher. Il y a une forme d‘écœurement administratif”, détaille Guillaume Petregne.

Un quotidien harassant, que le vigneron quitte le cœur lourd. Avant même l'annonce de l'arrêt de son activité, des "châteaux du coin" lui ont proposé des postes de chef de culture. Une reconversion qui pourrait plaire à celui qui se décrit comme un "ours des vignes", même s'il sait qu'il devra laisser derrière lui 17 hectares de vignes et un héritage familial centenaire.

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