En France, l'abondance de normes ne contraint pas que les agriculteurs. Des entreprises innovantes sont aussi bloquées dans leur développement par ces lois. C'est le cas d'Olikrom, une petite entreprise de Pessac qui a inventé une peinture luminescente pour sécuriser nos routes la nuit.
La situation est ubuesque. En près de 15 ans, l'entreprise pessacaise Olikrom a développé une expertise en matière de peinture. Elle conçoit et produit sur mesure des pigments et colorants thermosensibles, capables de s'adapter aux évolutions de températures. Mais surtout, l'entreprise a créé des peintures luminescentes, qu'elles soient fluorescentes ou phosphorescente.
Ces peintures dites "intelligentes" sont utilisées sur les pistes cyclables et offre aux usagers un guide lumineux sans alimentation électrique. Mais il est impossible pour l'entreprise de déployer cette technique sur les routes de France à cause de normes, qui n'autorisent que la peinture blanche.
"On nous interdit de la poser"
Pour le patron d'Olikrom, ce frein engendré par les lourdeurs administratives d'un autre temps est impensable. "Ce qui me révolte aujourd'hui, c'est que cette peinture luminescente est en train de s'exporter partout dans le monde. Elle est déposée sur les pistes cyclables en France, en ville, sur les trottoirs, pour remplacer l'extinction de l'éclairage public".
Depuis deux ans, on nous interdit toujours de la déposer sur les routes !
Jean-François LétardPrésident d'Olikrom
Pourtant, l'entreprise dit avoir "répondu à l'ensemble des critères pour obtenir la certification" et obtenu la conformité en juillet 2022. Auditée en septembre 2022 et déclarée conforme, elle attend toujours le "droit d'usage". "Sans ce droit d'usage, cette peinture luminescente ne peut pas être déposée dans toutes les villes, sur les passages piétons, pour sécuriser la mobilité des piétons et cyclistes, la nuit", indique le président d'Olikrom.
La cause de ces blocages ? Un texte de la convention de Vienne, datant de 1961, qui indique qu'un marquage routier doit être soit noir, soit blanc. Problème : la peinture innovante est légèrement verdâtre, inspiré "des algues et des poissons qui utilisent la luminescence dans l'océan pour s'orienter". Ainsi, la peinture, une fois posée sur le sol, "se charge la journée et la nuit, elle se voit de façon verte, lumineuse, pour protéger les cyclistes et les piétons", précise Jean-François Létard.
Là, on voit un enjeu de l'innovation qui n'est absolument comprise. C'est un comble. Qu'elle soit lumineuse et visible, c'est fait pour ça !
Jean-François LétardPrésident d'Olikorm
Trop de normes
Comme lui, de nombreux patrons d'entreprises se trouvent confrontés à ces normes et aux démarches administratives qu'elles impliquent. Un sujet qui exaspère ces entrepreneurs, au-delà même des problèmes de fiscalité ou d'emploi.
On a 400 000 normes qui s'appliquent à nous, patrons d'entreprises. C'est une extraordinaire complexité.
Marc PrikazskyPDG Ceva Santé animale
Le PDG de Ceva, entreprise pharmaceutique vétérinaire installée à Libourne qui produit notamment des vaccins contre la grippe aviaire, aspire à une simplification. "Quand vous ne pouvez pas résoudre un problème, ce qu'il faut, c'est éviter de continuer à empiler". Pour lui, dans certains cas, "il faut un moratoire". "Il faut juste qu'à un moment nos politiques disent stop", s'agace-t-il.
Un ministre simplificateur
Ce 25 novembre, lors de la visite en Gironde du ministre Guillaume Kasbarian, en charge de la Fonction publique, de la simplification et de la transformation de l'action publique, le sujet était au coeur des discussions. Un vœu pieux déjà formulé depuis quelques années déjà : recenser les points de blocages pour débureaucratiser et faciliter la vie des entreprises, c'est la mission de son ministère. Il assure qu'un projet de loi est en préparation.
Il va permettre de supprimer des comités Théodule, des demandes d'autorisations, un nombre de lourdeurs administratives et de faciliter aussi la demande publique.
Guillaume KasbarianMinistre de la Fonction publique et de la simplification
Commissions, observatoires, ces organismes inutiles qui coûtent de l'argent public, c'est ce que désigne le ministre par les "comités Théodule".
Simplifier et clarifier cet univers normatif, la proposition était déjà sur la table, lors du premier mandat d'Emmanuel Macron, avant la crise du Covid (loi ASAP). Dernièrement, un plan d'actions avait été formulé dans un rapport de février 2024 par des parlementaires, suite à la consultation publique de chefs d'entreprise.
Lors de sa visite, le ministre le reconnait, les PME face à lui font "partie des belles entreprises du territoire", pour lesquelles il doit tout faire pour limiter" le temps administratif" et leur "éviter d'avoir un carcan trop lourd face à la concurrence internationale".
On a besoin de faire confiance aux Français. Aux entreprises comme aux individus.
Guillaume KasbarianMinistre de la Fonction publique et de la Simplification
Selon lui, l'enjeu majeur est que la France "soit toujours à la pointe de l'innovation, de la production". Une position qui doit lui permettre une "souveraineté industrielle qui nous assurera des emplois".