Le gouvernement a annoncé ce 9 juin au soir de nouvelles mesures, conséquences des conclusions d'une mission d'inspection diligentée après le féminicide de Mérignac en Gironde. Il pointe une série de défaillances dans le suivi du conjoint violent multirécidiviste et la protection de la victime.
Accablant, le rapport rendu au Premier ministre mercredi soir 9 juin pointe des défaillances. Chahinez, 31 ans, mère de trois enfants, est morte le 4 mai à Mérignac, près de Bordeaux, après avoir été blessée par balles par son mari violent récidiviste, dont elle était séparée. Il l'a ensuite immolée par le feu dans la rue. Ce drame a suscité une vague d'indignations. Trois ministres ont saisi l'inspection générale de la justice pour faire toute la lumière sur cette affaire.
Une longue série des défaillances
Chahinez n'a pas été protégée de son ex-mari multirécidivsite qui aurait dû être à nouveau arrêté. Voilà ce qu'il faut comprendre du rapport qui a fait l'objet mercredi soir d'une réunion à Matignon présidée par le Premier ministre Jean Castex à laquelle ont participé Eric Dupond-Moretti (Justice) et Gérald Darmanin (Intérieur), Elisabeth Moreno (égalité femmes/hommes) et Marlène Schiappa (citoyenneté).
"Il y a bien eu défaillance de plusieurs acteurs dans cette terrible affaire", a déclaré Élisabeth Moreno au journal Ouest France.
Je ne veux pas pointer du doigt les individus car les premiers remparts contre les violences intrafamiliales, ce sont les policiers et les gendarmes. La grande majorité d’entre eux font très bien leur travail, et certains y laissent leur vie. Mais là on peut parler de mauvais réflexes.
Le rapport est accablant et dénonce une longue suite de défaillances de tous les acteurs de ce dossier. Le gouvernement a d'ailleurs demandé mercredi à la mission si certains faits n'étaient pas susceptibles d'être sanctionnés disciplinairement.
Une des défaillances majeures, c'est l'absence de communication entre la police et la justice.
Mauvaise communication entre la police et la justice
L'auteur présumé Mounir B. avait été condamné le 23 juin 2020 pour violences conjugales en récidive à 18 mois de prison, dont 9 mois avec sursis et mandat de dépôt à l'audience. Mais depuis sa prison, il téléphonait à son épouse, Chahinez, pour la menacer. En décembre, il est remis en liberté sous certaines conditions : interdiction d'entrer en contact avec son épouse, rendez-vous mensuel chez son conseiller pénitentiaire (SPIP, service pénitentiaire d'insertion et de probation)...
A la mi-mars, son épouse porte plainte contre lui au commissariat de Mérignac, ville voisine de Bordeaux, après une nouvelle agression violente. La plainte, notent les rapporteurs, est dûment traitée, avec application du questionnaire dédié à l'évaluation du danger, fiche d'évaluation personnalisé des victimes (EVVI) et envoi des grilles au parquet. Mais un des fichiers est mal rempli de sorte que le danger est évalué différemment par la police et la justice.
S'en est suivie une mauvaise, voire une absence de communication entre la police et l'administration pénitentiaire. Alors qu'il est recherché par la police, l'homme se présente deux fois aux convocations de l'administration pénitentiaire, sans être inquiété.
Selon l'avocate de Chahinez, "le pire aurait pu être évité à plusieurs reprises"
"Quand on lit la chronologie de ce rapport, on a froid dans le dos car, on sait qu'à plusieurs moments, le pire pouvait être évité. Il y avait plusieurs étapes qui auraient permis d'arrêter le processus", a déclaré Maître Solène Roquain-Bardet, l'avocate bordelaise de Chahinez Boutaa, à France 2.
L'avocate se dit "choquée" d'apprendre dans le rapport que "sa cliente avait déposé plainte pour des appels téléphoniques répétés alors que son ex-conjoint était toujours en maison d'arrêt et qu'il avait interdiction de la contacter, mais que la procédure de plainte n'est arrivée qu'en décembre au parquet.
Ma cliente était en lien avec les services de police, elle n'était pas en déshérence. J'avais confiance. Mais les services de police et le parquet de Bordeaux sont de grosses machines. Et ce sont les mêmes agents qui reçoivent les plaintes pour vol de vélo et les violences conjugales. Cela pose la question de la spécialisation des services pour les violences conjugales qui sont à part. C'est très dérangeant pour la victime qui se trouve dans un système administratif qu'elle ne maîtrise pas. C'est compliqué pour elle de savoir à qui s'adresser et à quelles portes frapper.
"De plus, la culture des services de police et des services probatoires ne sont pas les mêmes. Il faut travailler sur ce point", commente Me Roquain-Bardet.
"C'est choquant de savoir qu'après la plainte du 15 mars, la dangerosité de l'agresseur n'ait pas été appréhendée par la police. Mais qui aurait pu imaginer une telle dangerosité".
Les "six nouvelles mesures" pour lutter contre les violences conjugales
► La création d'un fichier des auteurs de violences conjugales, et "son partage" entre les services, c'est la principale innovation.
► Un plan de renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement ( pour les victimes) sera aussi déployé.
► Augmentation du nombre de téléphones grand danger. Le gouvernement a annoncé la mise à disposition de 3000 de ces téléphones d'ici début 2022, Aujourd'hui, il y a en 1300 soit une augmentation de "65%". 24 en Gironde
► Au niveau local, un comité de pilotage départemental des "téléphones grand danger" se réunisse deux fois par mois, avec tous les services et en présence d'associations agréées pour faire le point sur les attributions en cours et à venir des "téléphones grand danger". Ce comité se réunira le 14 juin prochain en Gironde
► La création d'une "instance nationale pour associer régulièrement les associations" dédiées, un "renforcement du contrôle et de la détention" d'armes et un comité de suivi des mesures
Les auteurs du rapport préconisent ainsi "d'examiner la dangerosité" de l'auteur des violences "avant tout aménagement de peine". Pour cela, ils proposent de "modifier la loi afin que tout aménagement de peine soit précédée d'une expertise". Ils recommandent aussi "d'améliorer la protection de la victime préalablement à la libération" du conjoint violent, "de renforcer et sécuriser la communication entre les services compétents" afin qu'ils puissent prendre des "décisions rapides", et enfin "de mieux piloter localement la protection des victimes". Ils suggèrent d'attribuer à la victime un "téléphone grand danger", et cela "avant la libération de l'auteur des violences" et de l'informer "systématiquement" de l'évolution de la situation de ce dernier.
"Des mesures trop légères", selon un syndicat policier
Selon le syndicat Unité SGP Police, et son porte-parole en Gironde Cyril Jeannin, le téléphone grand danger et les bracelets sont des solutions technologiques trop légères et insuffisantes pour faire face aux violences conjugales. "La grosse difficulté, c'est la rapidité d'intervention des effectifs de police si une victime alerte les secours, il faut de la réactivité mais si les effectifs sont en mission, cela retarde leur arrivée sur les lieux, or chaque minute compte, selon le syndicaliste policier. La vraie solution est dans la sanction et dans la détention provisoire ou non. Le seul moment où la victime est hors de danger, c'est lorsque son agresseur est en garde à vue ( 48 heures max) ou bien placé en détention provisoire par le JLD. Faut-il de la détention provisoire systématique pour les présumés responsables de violences conjugales ? C'est au parquet de décider les poursuites puis au juge en fonction du profil de la personne et des antécédents."
Le nombre d'actes de violences conjugales est énorme. Les policiers ne sont pas assez nombreux. Le nombre de féminicide est en augmentation et on ne compte pas les tentatives de meurtre et les blessures graves, déplore le policier. C'est une grosse mission pour la police et la gendarmerie. C'est notre quotidien.
"Il faut que ces mesures soient immédiates"
A l'APAFED, une association qui oeuvre contre les violences conjugales et la prise en charge des femmes battues en Gironde, on est "révoltés" à la lecture du rapport qui énumère de nombreuses défaillances notamment de communication entre les services.
Mais, maintenant à la lueur de ce rapport, qu'est-ce qu'on fait ? J'espère que les mesures annoncées ne seront pas un vœu pieux.
"Depuis, le Grenelle des violences conjugales en 2019, nous insistons sur le fait que les téléphones grand danger doivent être davantage déployés. Et, nous, associations nous voulons être prescriptrices quand nous estimons qu'une femme est réellement en danger. Il y a seulement 24 TGD ( téléphone grand danger) en Gironde. Il faut aussi plus de moyens pour la police et la justice, deux services essentiels dans la prévention des féminicides et il faut que les mesures soient prises immédiatement", insiste la directrice.
"Même chose pour la mise en place d'une expertise de la dangerosité, il faut aller vite car on va perdre encore du temps. ( NDLR : dix femmes ont été victimes de féminicides en mai ). En revanche, je note qu'il n'y a rien sur la prise en charge des enfants qui eux aussi ont besoin d'une prise en charge spécifique surtout dans le cadre de féminicide".
Catherine Abeloos, la présidente de l'association, est très remontée car elle estime que son association a besoin de l'aide financière de l'état. Déjà, le 6 mai dernier lors de la venue de Marlène Schiappa à Bordeaux, elle avait interpellé la ministre sur "le sous financement des associations pour femmes battues".
"Suite au Grenelle sur les violences conjugales en 2019, 36 places d'accueil d'urgence supplémentaires ont ouvert en Gironde, il s'agit d'appartements qui reçoivent des femmes en situation de danger par rapport à leur conjoint, mais l'état ne verse aucun euro à la prise en charge de ces femmes. Comment on fait ? Qu'est-ce qu'on leur dit, débrouillez-vous ?" s'agace la présidente.
C'est le département de la Gironde qui nous a donné une subvention alors que c'est à l'état de le faire, les associations comme la nôtre font le travail de l'Etat en mettant en sécurité ces victimes et en les accompagnant dans la défense de leurs droits."