Pour les organismes qui luttent contre ce fléau, le féminicide de Mérignac montre qu’il y a toujours des dysfonctionnements même si le risque zéro n’existe pas. Plus inquiétant, les violences conjugales ont aussi augmenté de 60 % en Gironde comme en France en 2020.
Le scénario est souvent proche d'un féminicide à l'autre. La grande difficulté est de savoir détecter les signaux.
En Gironde, le CIDFF, centre d’information et des droits des femmes et des familles, créé il a 39 ans, réunit juristes, psychologues, conseillères sur tout le territoire.
Selon sa Présidente Bernadette Bonnac Hude, c’est un travail de fond, il faut d’abord mettre en confiance et écouter les femmes.
Quand une femme arrive dans un centre, la plupart du temps elle ne vient pas parler de violences.
Bassin d’Arcachon, Médoc, Créon, Langon, Libourne, Bordeaux. Partout leurs missions sont multiples : accueillir les femmes et détecter toute situation fragile mais aussi faire de la prévention sur le terrain.
Aider à déconstruire des pensées
Bernadette Bonnac Hude explique « dans nos permanences nous sommes là pour détecter. Les femmes en général ne se rendent pas compte qu’un mot, un geste doivent servir d’alerte et qu’il faut réagir. Or bien souvent les femmes sont sous l’emprise, que tout est normal ou alors qu’elles sont en cause, elles même coupables, responsables, fautives. Il est impératif d’ inverser cette perception »
Et d’ajouter « En fait il n’y a rien d’inné, il faut savoir que la violence quelle qu’elle soit demande un apprentissage car en fait, elle se niche à tous les étages de notre société et elle est autant physique que psychologique.»
Accompagner pour oser déposer plainte
Tout aussi complexe, la plainte : là aussi, il faut être aux côtés des victimes « Il est très compliqué d’amener les femmes à porter plainte. Pour porter plainte il faut une volonté et bien souvent là encore les femmes ont peur. Nous sommes là pour les y aider. » Un processus d’autant plus difficile qu’en France, il faut des preuves et ce n’est pas facile de les fournir. Pourtant, c’est ce que l’on attend de la victime lors d’un signalement.
Donner les moyens de partir
Les violences n’épargnent aucun milieux socio-professionnels, il n’en demeure pas moins que partir d’un environnement à risque et fuir le danger n’est pas possible pour tout le monde. Les acteurs de terrain le constatent :
«Certes, certaines femmes sont indépendantes, travaillent et peuvent partir mais tout le monde n’a pas un emploi et ne peut pas prétendre pouvoir aller vivre dans un autre logement. Nous accompagnons dans l’insertion professionnelle celles qui sont dans la dépendance.»
Féminicide : un problème de société
Pour la directrice Marie-Françoise Ribaud qui encadre une trentaine de professionnels « Si le féminicide persiste, c’est parce que nous sommes dans une société qui n’a toujours pas pris la mesure de ce fléau même si un pas a été franchi puisque le féminicide est enfin reconnu au même titre que l’infanticide. »
Alors doit-on parler d’échec ? Oui répond cet acteur de terrain et surtout d’échec collectif.
Nous vivons toujours avec des schémas ou stéréotypes ancrés dans nos mentalités, avec des rapports de domination entre tous les individus qui perdurent et des inégalités femmes-hommes encore prégnantes. Et quand il y a un féminicide, c’est qu’il y a une faille à un ou plusieurs niveaux de la chaîne : tissu associatif, police, justice.
« Par ailleurs nous sommes dans une société qui ne sait toujours pas protéger »
Une protection qui trouve aussi ses fondements dans l’éducation et c’est une autre des missions des acteurs de terrain. Lutter contre les féminicides, cela commence dès le plus jeune âge selon beaucoup. La sensibilisation, c’est ce que pratique le CIDFF dans les écoles et auprès des professionnels d’accueil : mairies, centre d’animation. Pour ces acteurs, la parité et l’égalité contribueront à enrailler ce phénomène criminel. "C’est tout un processus d’expliquer poursuit Marie-Françoise Ribaud, cela demande de traiter les auteurs autant que les victimes"
L'argent : nerf de la guerre contre les violences faites aux femmes
Les moyens restent insuffisants pour traiter les auteurs autant que les victimes. Exemple dans les commissariats justifie t-elle « il faudrait plus de cellules spécialisées pour les femmes victimes de violences pas seulement corporelles, avec des personnels vraiment formés. »
En matière de justice, le CIDFF constate qu’il n’y a toujours pas assez d’ordonnances de protection et que les hommes devraient être davantage mis à l’écart. Quant aux centres où sont placées les femmes en situation d’insécurité, il en manque.
Pour arriver à en finir avec le féminicide, il faudrait donc selon les acteurs du tissu associatif, considérer la violence de façon systémique « La violence n’est pas juste le fait du milieu intra-familial, elle est partout : cela peut-être une personne qui subit un problème d’isolement, de rabaissement, de perte de confiance. »
Conséquences à tous les échelons du dispositif, les moyens doivent être renforcés. Ce mercredi 5 mai, le Ministère de la Justice a affiché et présenté comme une lueur d’espoir des chiffres à la baisse avec 90 femmes tuées en 2020 par leur conjoint ou ex-conjoint contre 146 en 2019. Selon Pascale Bousquet-Pitt militante féministe de longue date, adjointe à la mairie de Bordeaux et déléguée pour l’égalité femmes-hommes, parler de baisse de féminicides est tout simplement un trompe l’œil :
On sait que le déclencheur d’un féminicide c’est le moment où la femme décide de partir, de quitter un conjoint ou compagnon, c’est là ou après que se produit l’acte d’assassinat. Or, avec le confinement, les femmes sont moins parties ou avaient moins la possibilité de quitter le foyer familial. Il n’y a pas eu de phénomène de départ qui provoque l’acte.
Et celle qui a toujours défendu la cause des femmes s’insurge : « En matière de féminicide, il faut définitivement en finir avec la qualification du crime passionnel, on ne tue jamais par amour mais par amour-propre.»
L’association APAFED Gironde qui œuvre pour les femmes et les enfants en difficultés, partage cette analyse par la voix de sa directrice et élus socialiste Naïma Charaï. Le confinement a, en effet, diminuer le nombre de féminicides puisqu’il altère ce que l’on altère « le principe de la rupture ». En revanche Naïma Charaï fait l’amer constat qu’elle a été contrainte de mettre en œuvre de nombreux moyens pour répondre à la demande d’hébergement des femmes et de leurs enfants victimes de violences. En 2020, elle a ainsi réalisé 1400 nuitées supplémentaires par rapport à 2019.
Des chiffres auxquels on peut ajouter celui des 1500 procédures de justice liées à des faits de violences conjugales qui ont été enregistrées entre janvier et septembre 2020. De quoi conclure que la violence est loin d’avoir reculée.
Le CIDFF en chiffre en Gironde :
- 1000 femmes informées chaque année
- 100 femmes accompagnées dans leurs démarches.