Ballots de paille, bougies à la parafine... Depuis deux jours, les viticulteurs girondins tentent de réchauffer leurs vignes. Mais ces brûlots installés dans les rangs génèrent une fumée dense, et des nuisances parfois insupportables pour les riverains.
Une fumée plus ou moins épaisse, et une odeur âcre. Au réveil ce jeudi matin à nouveau, l'agglomération bordelaise a pu voir les effets de la guerre que mènent les viticulteurs contre le gel. Partout autour de Bordeaux, le même spectacle. Le même parfum.
C'est vrai que les riverains crient au scandale. On les comprend, mais on essaie de sauver notre peau !
La pratique des feux antigels, est pourtant bien encadrée. Les règles sont fixées par arrêté préfectoral. Le texte précise notamment que les brûlages de pneumatiques ou d'huile de vidange sont strictement interdits. Ces opérations ne doivent en aucun cas gêner la circulation routière et en particulier la visibilité des usagers de la route, ni causer de nuisance au voisinage tels des irritations ou picotements.
Mais au petit matin, les riverains ne peuvent que constater les fumées, les poussières et les odeurs désagréables. Assistante maternelle à Léognan, aux portes de Bordeaux, Annie Jourde, habite à quelques dizaines de mètres des vignes. Depuis 2 jours, elle n'ose plus promener les quatre enfants dont elle a la garde. "Le matin, c'est irrespirable ! On est obligé de rester dedans. Mais même à l'intérieur, on tousse ! "
Depuis hier, la mairie de Léognan enregistre une douzaine de plaintes chaque jour, comme Philippe Cantillac qui vit dans un quartier résidentiel.
Ça pue le fuel. La gorge brûle. Il y a la poussière sur les voitures, les dépôts dans le jardin. Mon fils asthmatique a dû prendre de la Ventoline, cette nuit. C'est même pas une nuisance. C'est une horreur !
Exaspéré, cet habitant de Léognan décrit "un nuage jaunâtre. On n'y voyait pas à 50 mètres, ce matin ! Et tous les ans, c'est pareil. Ils nous disent qu'ils vont faire quelque-chose. Mais rien ne change !"
Dégradation de la qualité de l'air relevée
S'il est trop tôt pour mesurer la toxicité de ces fumées, ATMO Nouvelle-Aquitaine, qui surveille la qualité de l'air dans la région, a néanmoins constaté ce jeudi matin 8 avril, une courte mais nette dégradation de la qualité de l'air en Gironde.
L'association a noté une augmentation de la concentration de particules en suspension. Un pic très bref a été enregistré aux alentours de 9 heures ce matin
Ces mesures prennent en compte aussi bien les polluants émis par le bois de chauffage que par la circulation automobile. Mais l'ampleur et la brièveté de ce phénomène, localisé sur le département de la Gironde, peuvent en grande partie s'expliquer par les nombreux brûlages constatés au petit matin.
Impossible pour l'heure de détailler la composition de ces particules en suspension, tant les techniques de brûlages sont variées. Difficile également dans ces conditions d'évaluer la toxicité de ces émanations qui se sont très rapidement dispersées.
Mais, le maire de Léognan, Laurent Barban est bien conscient de la gêne occasionnée par ces brûlages. Il entend chaque année les plaintes de ses administrés. "L'an dernier, ce fut compliqué avec le début du confinement. J'ai fait remonter toutes les réclamations auprès du syndicats des vins de Pessac-Léognan et des services de l'Etat."
Les nuisances sont réelles mais l'enjeu économique est de taille. Les nuits des vignerons sont courtes en ce moment. Cette vague de froid menace le travail de toute une année.
"Cette technique est utilisée depuis plusieurs années dans le vignoble, et nous n'y avons recours qu'à cette période de l'année" explique Philibert Perrin, le président du Syndicat des Pessac Léognan, sur l'antenne de nos confrères de France Bleu Gironde ce jeudi matin. "La vigne est en effet actuellement en pleine pousse, les bourgeons sont sortis, et un coup de gel à ce stade pourrait mettre en péril le travail de toute une année"
Certains viticulteurs ont prévenus leurs voisins avant d'allumer les feux. Certaines communes s'en sont fait le relai sur les réseaux sociaux comme Soussans dans le Médoc.
A Léognan, le maire est généralement prévenu avant les opérations de brûlage, mais il ne peut, en aucun cas, les interdire. Laurent Barban et ses équipes ont entamé des discussions avec les châteaux, pour les inciter à mieux informer les riverains.
Les personnes les plus virulentes n'ont souvent pas été informées au préalable.
Solutions alternatives
Un dialogue est engagé également pour modifier les pratiques, utiliser des moyens plus modernes que le feu : des éoliennes à faible bruit, des pulvérisations de produits de synthèse censés activer la sève et donc protéger la plante, la dispersion de goutelette.... Des dispositifs existent. mais ils ont un coût. Et les résultats sont limités.
Non loin de Léognan, dans l'appellation des Graves, le château L'Hospital, entre Portets et Podensac en Gironde, est en biodynamie. Ici, pas de brûlage. "Nous pulvérisons une solution biologique à base de valériane. C'est une plante qui permet d'activer la sève de la vigne et protéger les bourgeons" explique le gérant du domaine Julien Zuanet. Mais avec des températures comme celles enregistrées ces deux derniers jours, les remèdes biologiques ont montré leur limite. Sur les 40 hectares de l'exploitation, les dégâts sont considérables.
La nuit dernière et celle d'avant, le mercure est descendu entre -3 et -6 degrés. Aucune technique de lutte contre le gel n'a pu être totalement efficace. Les dégâts sont très importants aussi en agriculture conventionnelle. Mais il reste un espoir, aussi mince soit-il. Le gel est intervenu très tôt dans la saison, les vignerons veulent croire à une reprise de croissance avec le retour des températures positives.