Au mois de novembre, sept familles, en situation irrégulière, ont été expulsées de l'hôtel où elles logeaient. À la rue, sans solution, ces cas de figures se multiplient à Bordeaux et dans d'autres grandes métropoles du pays. En plus de mettre à disposition des lieux pour pallier les manques de place, la mairie de Bordeaux a fait un recours contre l'État.
Ils se sont retrouvés à la rue, en plein mois de novembre. Nadia (le prénom a été modifié), hébergée depuis des années dans un hôtel bordelais par le Centre d'accueil d'information et d'orientation, a dû quitter son logement du jour au lendemain. Son petit garçon n'entre plus dans les critères d'hébergement prévus par le département. “Il faut être une famille monoparentale et avoir un enfant de moins de trois ans. Le mien en a désormais cinq”, explique Nadia.
Comme elle, ils sont sept familles à avoir quitté leur appart’hotel, au beau milieu du mois de novembre. “Une assistante sociale est venue et nous a dit qu’il fallait quitter l’appartement le lendemain. Donc là, je suis avec toutes mes affaires dehors”, constate amèrement la jeune femme. Pour ces familles, la trêve hivernale, qui protège uniquement les locataires, ne s’applique pas.
400 euros par mois
Sans solution d’hébergement, cette mère confie son épuisement. “Il fait froid, je ne peux pas rester dehors avec mon enfant. Je voudrais rester à Bordeaux pour qu’il continue l’école, mais ce n’est pas possible pour moi de trouver un logement qui m’accepterait”, indique Nadia.
En situation irrégulière depuis son arrivée en France, il y a sept ans, elle n’arrive pas à joindre les deux bouts avec ses missions ponctuelles de femme de ménage. “Je suis payée en chèque Cesu environ 400 euros par mois. Je n’ai pas assez pour payer l’école, le loyer et la nourriture, et je ne peux pas travailler légalement parce que je n’ai pas de papiers”, explique celle qui était juriste en Russie.
Ça fait sept ans que je me bats seule pour obtenir des papiers, un travail et un logement.
Nadia, 30 ansRessortissante russe
Pourtant, son dossier comme celui des autres familles est déposé depuis longtemps en préfecture. La jeune Russe a même multiplié les actions pour prouver son intégration. “Je fais du bénévolat dans des associations, mon fils est scolarisé, parle français. J'ai fait plein de choses pour rester ici avec mon fils, mais la préfecture bloque”, liste Nadia.
Si la jeune femme a, en 2018, fui le régime de Poutine, elle envisage même aujourd’hui d’y retourner. “Je vais peut-être mourir si j’y retourne, mais je préfère la menace permanente de mourir, que de vivre dans la rue avec mon fils en France”, soupire Nadia, accablée.
Un enfant sur cinq sans abri
Comme elle, des centaines de familles sont mal-logées ou sans abri. Ce cri d’alerte s’affiche notamment sur les barrières des écoles, comme sur celles de l’école des Menuts, à Bordeaux. “Ici, un enfant sur cinq est mal logé”, peut-on lire sur une banderole.
L’établissement affiche également son soutien à l’école du Pas Saint Georges, qui a été occupée pour accueillir des familles sans abri. “En soutien à cette initiative, le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) a pris le relais par le financement de nuitées d’hôtel pour la période des vacances scolaires et prolonge son aide en attendant que les services de l’Etat proposent une orientation vers un dispositif de mise à l’abri ou d’hébergement temporaire”, indiquait de son côté la mairie de Bordeaux.
Aujourd’hui, des enfants passent la soirée et la nuit à la rue et étudient la journée dans les écoles de la ville. Cette réalité est insupportable.
Pierre Hurmic,Maire de Bordeaux
Des écoliers, mais aussi des collégiens et lycéens : ces chiffres édifiants sont pourtant en croissance permanente. “On constate effectivement une aggravation de la situation du sans-abri à Bordeaux, y compris pour les familles avec des enfants mineurs scolarisés dans les établissements de la ville”, acquiesce Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits, des solidarités et des seniors.
La mairie contrainte de prendre le relai de l'Etat
En 2023, la mairie de Bordeaux a ainsi procédé à 4 215 domiciliations, soit 22 % de plus qu’en 2022. Une augmentation qui n’est pourtant qu’un reflet partiel de la situation selon la mairie de Bordeaux, qui lutte depuis quatre ans contre le phénomène. “Systématiquement, quand on nous signale des personnes à la rue, on fait remonter à l'État, au département pour demander leur mise à l’abri, affirme Harmonie Lecerf Meunier. En parallèle, on va regarder si on connaît les familles, ce qui a été mis en place, pourquoi elles se retrouvent sans-abri.”
On déplore qu'il n'y ait pas assez d'hébergement d'urgence pour la totalité des personnes qui se retrouvent privées d'un toit.
Harmonie Lecerf MeunierAdjointe au maire de Bordeaux chargée de l'accès aux droits, des solidarités et des seniors
Cette mission, que la mairie de Bordeaux a choisie de s’attribuer, a vocation à combler les manques de l’État. “Comme il n’y a pas assez de places, ils sont obligés de faire un tri selon l’urgence de la vulnérabilité des personnes”, précise l’élue bordelaise.
Face à la situation, la mairie a annoncé l’année dernière faire un recours contre l’État. “C’est une volonté du gouvernement et de celles et ceux qui votent les projets de loi de financement et choisissent le nombre de places d’hébergement d’urgence, détaille Harmonie Lecerf Meunier. Il faut une décision juridique qui indique qu’il est nécessaire de mettre les personnes à l’abri afin que les crédits redescendent sur les préfectures.”
En parallèle des hébergements proposés par les services de l’État, la mairie de Bordeaux héberge 158 personnes au sein du “patrimoine municipal”. Depuis septembre, deux presbytères, appartenant à la ville, ont également été mis à disposition, “à titre gracieux” de la Halte 33 et d’autres associations partenaires. Une quarantaine de personnes y sont logées. “On propose ces lieux à titre gracieux, on finance la nuit de la solidarité, on a doublé notre enveloppe pour payer des mises à l’abri. Ce sont des efforts pris sur les finances de la ville alors que ce devrait être du ressort de l’État”, rappelle l’adjointe au maire.
Pour endiguer ce problème de mal-logement, l’adjointe formule le même vœu que Nadia : régulariser les personnes sans titre de séjour afin qu’elles puissent obtenir un travail. “Si toutes ces personnes sont en grande difficulté, c'est parce qu’ils n’ont pas de papier et ne peuvent pas reprendre une vie normale et stable en France, détaille Harmonie Lecerf Meunier. Ce serait à la fois une gestion en moins pour les collectivités, et un vrai nouveau départ pour ces familles.”
Pour Nadia, il ne lui reste plus qu’à attendre son audience devant le tribunal administratif de Bordeaux, dont la date n'est pas encore fixée. Sa décision sonnera la fin d’un carcan, dans lequel, elle est enfermée, avec son fils, depuis sept ans.