Les incendies de l'été dernier ont ravagé une partie de notre forêt qu'il faudra reboiser. Mais avec quels arbres ? Le réchauffement climatique impose de faire des choix durables. Des scientifiques bordelais de l'INRAE planchent sur cet enjeu écologique et économique pour les Landes de Gascogne.
"C'est un paysage désastreux. Il n'y a pas de mots. C'est une catastrophe écologique, la forêt a été détruite en totalité sur cette parcelle". Des milliers d'hectares de pins maritimes ont été détruits par les flammes des méga-feux de l'été 2022, qui ont progressé d'autant plus vite dans la forêt était déjà impactée par la sécheresse. La question du reboisement se pose.
Tout à recommencer
Mal au cœur à chaque fois qu'il voit les dégâts. En août 2022, Bernard Rablade a vu sa parcelle de pins disparaître dans les flammes : 2700 hectares partis en fumée en moins de 48 heures. "Tout a disparu, les arbres, les animaux, la biodiversité, le travail de plusieurs décennies. Tout a été détruit", raconte ce sylviculteur encore très ému. "Cette fois, je vais replanter des arbres que je ne verrai pas adultes dans 40 ans. C'est comme ça la sylviculture, on est prévenus".
"Tout est à recommencer. On a nettoyé, coupé les arbres calcinés, les plus jeunes encore sur pied seront broyés sur place, car ils ne sont pas commercialisables", poursuit-il
Nous replanterons des pins maritimes. On va replanter pour laisser davantage de corridors, qui permettront aux sapeurs-pompiers de progresser plus rapidement lors des phases d'intervention.
Bernard Rablade, sylviculteur girondinFrance 3 Aquitaine
Planter pour l'avenir
Au lendemain des incendies de l'été dernier, Bernard Rablade sait que des sylviculteurs ont été critiqués pour avoir planté des pins parfois au ras des routes et des chemins pour faire de la rentabilité, et ne pas avoir diversifié aussi les essences d'arbres. Également président de la DFCI de Belin-Beliet, il est soucieux de planter pour l'avenir. Je replanterai aussi des feuillus, comme les chênes verts, parce qu'ils servent d'habitat aux oiseaux qui se nourrissent des insectes parasites du bois.
Mais on ne plantera pas d'eucalyptus comme certains ont proposé après les incendies, car cet arbre brûle très vite et il n'est pas adapté du tout au sol sableux."
La sylviculture va repartir, c'est sûr, on sait faire. Mais on va attendre deux ans, laisser passer deux hivers pour que la biodiversité renaisse dans le sol, et éviter aussi les insectes ou les champignons qui ont, par endroit, déjà proliféré sur les souches.
Bernard Rabalde, sylviculteur girondinFrance 3 Aquitaine
Sur le choix du pin maritime, le sylviculteur explique que la profession a fait des essais non concluants avec d'autres essences comme le pin taeda ou le pin de souche corse. Mais pour les critères de la filière bois et de la commercialisation, le pin maritime reste le roi de la forêt des Landes de Gascogne. En termes de résistance au climat et à son réchauffement, c'est aussi l'arbre que préconisent les scientifiques de l'INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux.
VIDEO. Voir le reportage de France 3 Aquitaine sur la science au chevet de la forêt, impactée par les incendies et la sécheresse :
Résistant à la sécheresse
Les scientifiques annoncent des épisodes de sécheresse plus longs et plus intenses dans les prochaines décennies. Avec un risque de départs de feux de forêt plus élevé.
Déjà certains arbres, comme le frêne et certaines variétés de chênes, sont au bord du seuil de rupture dans le sud-ouest. Le pin maritime de souche landaise, planté par l'homme et qui peuple les Landes de Gascogne, est assez résistant jusqu'ici. Adapté au sol sableux, humide en hiver et sec en été. Le sera-t-il encore en 2080 ?
Sylvain Delzon est écophysiologiste à l'INRAE et s'intéresse à la résistance des arbres à la sécheresse. Pour la filière bois, il a comparé plusieurs variétés de pins maritimes. Deux ont déjà été identifiées comme plus résistantes : une souche portugaise et une souche catalane.
En laboratoire, on a identifié un pin maritime originaire de Barcelone comme étant une souche très résistante à la sécheresse. Maintenant, il faut la tester en plein champ et en condition réelle.
Sylvain Delzon, écophysiologiste INREA BordeauxFrance 3 Aquitaine
En janvier, 400 petits plants de pins de sept provenances différentes (corse, espagnole, portugaises notamment) ont été plantés sur une parcelle forestière expérimentale située à Floirac, sur un site appartenant à l'Université de Bordeaux. Pour l'instant, les plants mesurent une dizaine de centimètres.
L'an prochain, quand les plants feront un mètre, on va les couvrir avec un système d'exclusion de pluie, qui viendra sortir 60 % des précipitations et qui simulera une sécheresse de 2080.
Sylvain Delzon, écophysiologiste INRAEFrance 3 Aquitaine
Forêt expérimentale
Ce site naturel de l'Université de Bordeaux, l'Observatoire de Floirac, abrite également une forêt de feuillus : frênes, chênes de différentes variétés, lauriers. Cette forêt est utilisée pour mener une étude sur le réchauffement climatique.
Pour étudier le comportement des arbres, des capteurs ont été installés sur le tronc de certains spécimens. Les scientifiques prennent le pouls de l'arbre en quelque sorte. "Ils captent en continu le flux de la sève et permettent aussi de mesurer la transpiration de l'arbre. Lors d'une sécheresse, on observe un rétrécissement du tronc, et par manque d'eau, ses feuilles se dessèchent et tombent. Le frêne a beaucoup souffert à l'été 2022, qui a connu une des plus grosses sécheresses depuis 1949", explique Sylvain Delzon.
Ces données scientifiques sont rendues publiques et sont accessibles sur internet. Elles intéressent les collectivités territoriales. La municipalité de Bordeaux, par exemple, souhaite planter des forêts urbaines pour rafraîchir la ville lors de périodes de canicules en été.
"Cette étude qui va durer 5 à 6 ans permettra d'identifier les espèces dépérissantes et qui ne sont plus recommandées à la plantation. Notamment le chêne pédonculé, originaire des régions tempérées d'Europe, qui est dépérissant sur ce site et que l'on déconseille pour les forêts. Et puis cette étude permettra d'identifier les nouvelles essences qui sont elles au contraire plus résistantes à la sécheresse et mieux adaptées au climat futur comme le chêne vert".
Ne pas replanter et laisser faire la nature à Hostens
Le Département de la Gironde s'est basé sur le travail scientifique de l'INRAE pour le domaine d'Hostens. Ce domaine naturel de 600 hectares est géré par la collectivité, il y a cinq lacs et une zone boisée. Les 3/4 ont brûlé l'été dernier. Le lignite enfoui dans le sous-sol se consumait encore près d'un an après les incendies. "La partie de la forêt que nous avons en gestion est un espace naturel sensible pour lequel nous avons décidé de le transformer en réserves biologiques, car ce n'est pas une forêt de production de la filière bois : l'une où l'on va laisser faire la nature, et voir si ça repart ou pas. Et puis l'autre où l'on ne va pas replanter non plus, mais remettre en exergue la biodiversité et les zones humides", détaille Pascale Got, élue en charge de l'environnement et des espaces sensibles.