La fin des imams détachés : pour Tareq Oubrou, "on a besoin d'un Islam de France !"

La France n'accueillera plus d'imams envoyés par d'autres pays à partir du 1ᵉʳ janvier 2024. C'est l'une des mesures phares prises par Emmanuel Macron pour lutter contre le séparatisme religieux. Tareq Oubrou, le grand imam de la mosquée de Bordeaux, explique comment elle va être appliquée.

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À la veille de la mise en application de cette nouvelle mesure, Tareq Oubrou, le grand imam de la mosquée de Bordeaux, explique ce qu'elle va clarifier dans les mosquées de France. Les imams concernés sont, dit-il, les "imams qui sont des agents publics, des fonctionnaires d'États étrangers", notamment venus de Turquie, d'Algérie ou du Maroc. "Il ne s'agit pas de prédicateurs ou d'imams qui viennent de manière saisonnière. Tous les imams étrangers ne sont pas concernés par cette disposition".

En France, on en compte un peu plus de 300 imams : "À peu près 150 Turcs, 150 Algériens et une trentaine d'imams marocains, même si le Maroc n'en envoie plus depuis 2021". Ce sont "généralement des imams qui ne maîtrisent pas vraiment le Français, ne connaissent pas les règles et le droit français". Le grand imam, dans un sourire, cherche le mot adéquat. Ils ne sont pas spécialement "nocifs", mais sont, de ce fait, "déconnectés par rapport à leur communauté dont la majeure partie est constituée essentiellement de jeunes qui ne parlent pas le turc, l'arabe, le marocain, l'algérien".

Une "bonne lecture de l'Islam"

Il explique en quoi cette mesure était nécessaire. "On a besoin d'un Islam de France ! Pas d'un Islam maghrébin de France, un Islam turc ou subsaharien. Un Franco-Marocain vote ici, mais également au Maroc... c'est le côté politique. Nous, il faut qu'on se démarque par rapport à ça. C'est pourquoi l'État veut encadrer l'Islam de France en tant que religion".

Nous, on gère le culte et la religion. Il ne faut pas que la religion soit un ingrédient d'instrumentalisation de conflits. 

Tareq Oubrou

Grand Imam de la Mosquée de Bordeaux

Pour Tareq Oubrou, former les imams déjà en place est "une partie de la solution" contre le séparatisme. "Beaucoup d'imams parlent un bon français, ont un bon niveau, mais ils peuvent véhiculer un Islam qui n'est pas forcément intégriste, mais qui peut inspirer le séparatisme". Et Tareq Oubrou de donner des exemples : "au niveau des pratiques, des relations hommes femmes, dans les mariages, l'alimentation, les habits. Il y a des pratiques qui empoisonnent la vie de beaucoup de musulmans et de musulmanes". Il faut pour lui "une bonne lecture de l'Islam qui permet aux musulmans d'êtres normalement installés en France en étant assimilés dans les valeurs de la République, intégrés dans la culture française".

Lutter contre le "séparatisme"

Ne plus accueillir d'imams détachés était l'une des promesses d'Emmanuel Macron pour lutter contre le "séparatisme" lors de son discours des Mureaux (Yvelines). Début 2020, Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté de mettre fin à l'accueil des quelque 300 imams envoyés par divers pays (Algérie, Turquie, Maroc...), et d'augmenter en parallèle le nombre d'imams formés en France.

Après le 1ᵉʳ avril 2024, les imams détachés encore présents sur le territoire ne pourront s'y maintenir sous ce statut. Pour ceux qui sont déjà sur place, il faudra qu'ils changent de statut. À partir du 1ᵉʳ avril, un "cadre spécifique" sera mis en place pour permettre aux associations gestionnaires de lieux de culte de recruter elles-mêmes des imams, qu'elles salarieront directement.

Le but n'est pas d'empêcher des imams étrangers de prêcher en France, mais de s'assurer qu'aucun n'est payé par un État étranger dont il serait fonctionnaire ou agent public. En revanche, la venue d'"imams du ramadan", qui se rendent en France pendant cette période, n'est pas remise en cause.

Des imams formés en France

Parallèlement, l'accent est mis sur la nécessité qu'une part croissante des imams officiant sur le territoire soient, au moins partiellement, formés en France. Cela suppose de développer les formations et l'État se veut attentif à ce qu'une offre "respectueuse des lois et principes de la République" s'étoffe rapidement.

Au-delà des formations cultuelles, il s'agit aussi de soutenir l'accès des imams à des formations universitaires, comme celles lancées en 2023 par l'institut français d'islamologie par exemple. 

"Il y a un retard historique de la formation des imams par rapport à la religion catholique, le protestantisme, le judaïsme", admet Tareq Oubrou. "Il manque une formation adaptée. Un travail de théorisation de la doctrine des croyances et des pratiques dans un contexte laïc. C'est un travail qui demande du temps !"

"C'est un travail énorme et très sensible... Il ne s'agit pas d'un projet politique ou civilisationnel. Il s'agit d'une religion spirituelle avec une éthique qui doit s'exprimer dans le cadre du droit positif français en vigueur en intégrant les codes culturels français... Déjà parler de l'Islam français, c'est déjà le penser autrement" ! 

Malgré l'ampleur de la tâche, le grand imam semble enthousiaste face à cette évolution vers une adéquation du partage du culte avec des valeurs égalitaires et laïques. "Il faut faire le tri ! Il y a 14 siècles d'interprétation de la religion, c'est énorme ! Il faut le simplifier pour permettre à nos coreligionnaires musulmans de vivre dans une perspective d'altérité".

Mais il sait aussi que si la démarche est positive, elle viendra également se heurter à l'impact des nouvelles technologies. "Aujourd'hui, l'Islam est plus véhiculé dans les réseaux sociaux que les mosquées, avec le développement d'imams autoproclamés, des influenceurs, des jeunes qui décident un mode vestimentaire, un tourisme hallal. Ils inventent des règles auxquelles les anciens n'avaient même pas pensé... C'est parfois un bricolage religieux."

L'Islam de France a besoin sans aucun doute de cette clarification, de se défaire du mélange des genres qui mêlait politique et religion du fait de l'ingérence étrangère. Pour que tous les musulmans de France puissent à l'avenir pratiquer leur culte dans le respect de la loi de 1905. 

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