Installée aux Aubiers, quartier populaire au Nord de Bordeaux depuis vingt ans, Mana accompagne des femmes migrantes qui ont subi un traumatisme. L'association leur offre un espace pour elles, les aide à obtenir leurs droits et à préparer leur projet de vie en France. Parmi elles, Gift, une jeune Nigériane, contrainte à se prostituer qui attend aujourd'hui un titre de séjour. A l'occasion de la journée internationale des migrants ce 18 décembre, voici son témoignage émouvant.
Gift rêvait d'une vie douce. Elle a quitté le Nigéria en 2012. Elle avait 20 ans. Issue d'une famille éduquée, elle faisait ses études dans une école privée. Mais la mort de son père, commissaire de police quand elle avait douze ans a modifié la trajectoire de sa vie. Elle est l'aînée de deux frères et voulait subvenir aux besoins des siens. Dans son pays, on lui promet un logement et un travail en France. A son arrivée, elle réalise qu'elle a été piégée et tombe entre les mains de proxénètes. Elle se retrouve à la rue, seule, obligée de se prostituer pour rembourser 50 mille euros de dettes.
" j'étais prisonnière, enfermée, ce qu'ils voulaient, c'était l'argent donc ils ne me laissaient jamais libre de vivre ma propre vie", raconte-t-elle
Dix ans d'errance sans jamais à rembourser sa dette pour ne pas mettre en danger sa famille. Elle raconte, en pleurs, "je travaillais jour et nuit. Je m'en foutais qu'ils ne me donnent pas d'argent parce que je ne suis pas cupide. Je voyais que, quand je travaillais, je me faisais beaucoup d'argent mais il n'était pas pour moi, il était pour mon patron".
Une deuxième chance
Grâce à l’aide d’associations, Gift obtient sa demande d’asile pour traite humaine et bénéficie d’un titre de séjour. Mais lors d’une descente de police, elle se fait arrêter. Gift se retrouve alors sur les bancs du tribunal et refuse de dénoncer ses « bourreaux". Elle craint pour la vie de ses proches restés au Nigéria. Condamnée à trois ans d'emprisonnement dont un ferme, elle sort de prison en juin 2019, mais reste sous contrôle judiciaire et porte un bracelet électronique.
"J'ai encore de l'espoir parce que je n'ai jamais abandonné depuis le premier jour. Même si aujourd'hui je n'ai plus rien. Ni logement, ni papier ni rien" confie-t-elle
Combative, elle refuse de baisser les bras, de renoncer à ses rêves.
En France, si tu n'as pas de papier. Tu n'as aucun droit...C'est difficile pour moi. Je veux juste que la France me donne une seconde chance. Donnez-moi le titre de séjour à nouveau pour que je récupère mes rêves. Je suis fatiguée d'aller d'un endroit à l'autre...
Quand elle a poussé la porte de l'association bordelaise Mana, c'était un peu sa dernière chance.
« MANA m’a aidé à me relever, à comprendre qui j’étais. Ils m’ont donné les clés pour m’intégrer, m’ont permis de découvrir la culture et la langue française. Les rencontres avec les autres femmes accompagnées par MANA m’ont aidé à accepter mon histoire ». Elle espère obtenir à nouveau le droit d'asile pour traite humaine. Son projet ? Elle voudrait prendre soin de seniors ou d'enfants. Elle dont le prénom signifie cadeau demande juste une vie normale…
Regardez le témoignage de Gift recueilli par Hélène Chauwin et Myriam Mannhart.
L'association MANA à Bordeaux
MANA, installée aux Aubiers au nord de Bordeaux est l'une des associations du groupe SOS. Elle s'engage pour l’accès à la santé des personnes migrantes pour un accueil inconditionnel, un accès aux droits et un accompagnement des migrants dans leur projet de vie en France. Une approche centrée sur la personne accueillie qui "permet aux migrants d’acquérir les codes et les savoirs nécessaires à leur bonne installation et leur vie dans la durée de la trajectoire migratoire". L'association donne les clés pour comprendre les démarches, les institutions françaises, la culture d'un pays qui leur est étranger.
"Le fondement de ce que l'on propose, c'est de les tutorer dans leurs droits" explique Najia Zaryah présidente de Mana. Souvent, il y a l'angoisse de l'attente et l'angoisse de pourquoi ça ne se fait pas vite et pourquoi il faut se soumettre à toutes ces procédures. Souvent elles me disent "je suis inscrite à pôle emploi". Oui mais ça ne suffit pas. Comment on fait reconnaitre sa langue, son diplôme ..." illustre-t-elle.
Les quatre salariées de l'association offrent un espace chaleureux pour que ces femmes migrantes, souvent des mères qui s'oublient, puissent se retrouver, se reconstruire et où elles se préparent à la suite de leur vie. Mana organise des ateliers de sport le lundi, d'art thérapie le jeudi. Ils créent un "espace de rétablissement, un espace de bien-être, où il faut réapprendre juste une heure par semaine à prendre un cours de sport. C'est du temps pour soi. Parce qu'il y a des réticences. "Mais je n'ai pas le temps. Je dois courir à la préfecture ou à la CPAM. Il y a un papier qui me manque". Il y a un effacement de l'identité de la femme et dans ses besoins témoigne Najia Zaryah.
L'association bordelaise trouve également des missions de bénévolat. Ces migrantes ne peuvent pas prétendre à un contrat payé puisqu'elles n'ont pas de papier mais ces missions, en lien avec leur projet, valorisent leur CV.
L'an dernier, Mana a accompagné 192 femmes de 17 nationalités, essentiellement des femmes du Nord de Bordeaux "en bout de course".
L'association bordelaise vient de fusionner avec le groupe international SOS, première entreprise sociale d'Europe qui gère trois CADA, centres d'accueil pour demandeurs d'asile.
Le groupe s’engage auprès des personnes en exil "avec la ferme conviction qu‘elles sont une chance pour la France, sa culture et son histoire" et dispose de sept structures, dans la région, pour accompagner les personnes en demande d’asile, dont une dédiée aux migrants mineurs, arrivés seuls sur le territoire français.
Trois centres d’accueil pour demandeurs d’asile
Le Groupe SOS gère trois CADA en Nouvelle Aquitaine, créés entre 2016 et 2018 :
- CADA Bordeaux : 151 places à Bordeaux ·
- CADA Grand Dax : 85 places à Dax ·
- CADA des Grands Lacs : 111 places à Biscarosse
Les équipes de ces établissements permettent un accès aux soins, à des conditions d’accueil et d’hébergement dignes. Les demandeurs d’asile bénéficient d’un accompagnement dans leurs démarches administratives et juridiques, ainsi qu'une aide à la scolarisation des enfants pour les familles.
Par ailleurs, il existe une forme de parrainage appelé ici "pair-aidance". Cette initiative est basée sur l’entraide entre personnes ayant vécues la même situation et qui apportent leur soutien aux personnes logées dans le CADA. Ce dispositif, en plus de créer du lien social et une intégration dans la ville, permet aux bénéficiaires allophones (dont le Français n'est pas la langue maternelle) de comprendre leur parcours administratif.
Une journée dédiée aux migrants
280 millions de personnes étaient des migrants internationaux en 2020, soit 3,6 % de la population mondiale. Derrière ces chiffres, des mouvements de populations, des guerres, des drames mais aussi des visages et des histoires personnelles douloureuses.
En cette journée mondiale des migrants, le Groupe SOS souhaite partager des témoignages, montrer, par exemple dans le cas de Gift, le visage et la force d’une jeune femme hors norme, que la France doit être fière d’accueillir sur son territoire.
Cette journée est aussi l’occasion de rappeler "que ces enfants, ces femmes et ces hommes qui arrivent sur notre territoire, ont des droits qui doivent être respectés, et que le bon fonctionnement des dispositifs d’accueil sont essentiels pour réguler au mieux la crise migratoire".
Association Mana - 86 cours d'Albret - 33000 Bordeaux.