Témoignages. “On n’était pas prêt pour ça” : 2024, la terrible année des maires du littoral du Pas-de-Calais

Depuis le début de la crise migratoire, la Manche a souvent été qualifiée de cimetière. Des dizaines de corps échouent sur les plages de Calais et Boulogne-sur-Mer depuis déjà près de 25 ans. 2024, avec 77 morts, constitue une année record. Les maires du littoral du Pas-de-Calais reviennent sur cette année meurtrière.

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77, c'est le nombre de personnes décédées dans la Manche en 2024. Cela en fait l'année la plus meurtrière en près de 25 ans de crise migratoire. Préoccupés par cette problématique, les maires du littoral du Pas-de-Calais espèrent de concert connaître une année 2025 moins funeste.

"Un triste record"

Ce lundi 30 décembre 2024, une nouvelle victime, aux abords de Blériot-Plage, près de Sangatte (Pas-de-Calais), a continué de gonfler le triste bilan humain du nombre de migrants décédés en 2024. "Cela constitue un triste record malgré ce qui a été mis en place par l’état", déplore Guy Allemand, maire de la commune touchée.

Pas même les renforcements d’effectifs du ministère de l'Intérieur, ni même les caméras de surveillance ou les rondes nocturnes dans les villes du littoral, ne seront venus à bout du risque encouru par des dizaines de milliers de migrants cette année. "On reste dans la désolation et l’incompréhension", témoigne l'élu local, après avoir vu un corps repêché sur sa plage.

"Je reçois des coups de téléphone des sapeurs-pompiers tous les jours, parfois même la nuit. Neuf fois sur dix, c'est lié aux migrants. À chaque fois, je prie pour que ce ne soit pas un décès", assure Olivier Barbarin, maire du Portel (Pas-de-Calais). Le mardi 3 septembre 2023, une embarcation de fortune s'échoue au large de sa commune. Près de 12 personnes perdent la vie. La moitié des victimes étaient mineures. "On n'était pas prêt pour ça en tant que maire", lance l'élu, à la tête de sa commune depuis 2020.

À chaque fois, je prie pour que ce ne soit pas un décès.

Olivier Barbarin, maire du Portel

Chaque jour, des femmes et des hommes risquent leurs vies en traversant la mer. La plupart du temps, ils s'agglutinent sur de petits radeaux. Pour se faire une idée, depuis le 24 décembre 2024, une trentaine d'embarcations se sont dirigées vers l'Angleterre. "Quand les pompiers m'appellent et m'invitent à me rendre sur le littoral de ma commune, j'ai toujours peur d'être confronté à un corps sans vie.", raconte Olivier Barbarin.

“Personne n’est prêt à assister à une telle tragédie"

Ballet d'hélicoptères, de voitures de police ou encore de camions de pompiers, voilà le quotidien de la commune du Portel, près de Boulogne-sur-Mer. "Que surgissent des décès ou des migrants secourus, la plupart du temps en état d'hypothermie, les interventions sont nombreuses, il faut rassurer la population", explique l'élu. Si depuis 2020, la commune dénombre une vingtaine de décès de migrants sur ses terres, le maire insiste sur le fait que 2024 est l'année la plus meurtrière qu'il ait connue.

La mer normalement, c'est fait pour la baignade et la pêche mais pas pour mourir.

Olivier Barbarin, maire du Portel

“Personne n’est prêt à assister à une telle tragédie à quelques centaines de kilomètres de ses côtes. La mer normalement, c'est fait pour la baignade et la pêche, mais pas pour mourir", avoue amèrement Olivier Barbarin. En fonction des aléas climatiques et des conditions de navigation, l'élu recueille des migrants échoués sur sa commune. "Un petit pain au chocolat ou encore des vêtements chauds, mes administrés et moi-même faisons preuve de bienveillance. Notre rôle est d’aider ceux qui sont dans le besoin, décrit le maire. Les années passant, ces drames font que les concitoyens font plus preuve de solidarité."

Au Portel, des salles municipales sont aussi régulièrement ouvertes afin d'accueillir les migrants. "On échange comme on peut avec eux, grâce aux traducteurs de nos téléphones", poursuit Olivier Barbarin. L'élu continue en saluant le courage dont font preuve les exilés. "Aucun d'entre eux ne veut rester en France, la plupart souhaitent rejoindre leurs familles au Royaume-Uni, leur eldorado. Ils savent que là-bas, ils feront aussi face à la précarité mais ne recule devant rien pour échapper à la misère de leurs pays."

"Ce phénomène de noyade dans la Manche risque d'aller crescendo, même en 2025, certifie Oliver Barbarin. Cela devient un sacerdoce. On est là pour apporter de l’humanisme mais je ne peux rien faire à mon échelle."

Ce genre de situation me remue.

Stéphane Pinto, maire d'Ambleteuse

Exaspération, inquiétude, les élus s'inquiètent de la situation. Pour eux, plus la crise migratoire est importante, plus ils se sentent obligés de jouer un rôle de médiateur. Stéphane Pinto, maire d'Ambleteuse (Pas-de-Calais), a aussi vu huit morts aux abords de son littoral. Pour lui, "c'est beaucoup trop. Ce genre de situation me remue. Ça rappelle les grandes guerres. Les gens morts sur nos plages fuyaient la guerre, la dictature ou le mal-être dans leur pays", analyse l'élu.

Pour faire face à cette situation, les maires du littoral échangent entre eux. "Nous avons un groupe Whattsapp sur lequel nous échangeons au sujet des solutions que nous souhaitons défendre au niveau national", explique Stéphane Pinto.

"Il faut essayer que des drames humains ne se reproduisent plus"

C'est unis que ces élus locaux ont rencontré Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, le 29 novembre dernier. La plupart d'entre eux souhaitent une discussion "ferme entre la France le Royaume-Uni." Après cette directive, le ministre s'est rendu à Londres les 8 et 9 décembre dernier afin d'échanger au sujet de la crise migratoire avec son homologue britannique.

"Il faut essayer que des drames humains ne se reproduisent plus, martèle Natacha Bouchart, maire de Calais (Pas-de-Calais). Une perte reste toujours violente, quel que soit le record de décès. 25 ans après l'arrivée des premiers migrants, on continue à mourir à Calais et c'est dramatique."

L'élue déplore de "compter les morts continuellement.""On a beau interpeller et voire menacer mais cela ne suffit pas. J’ai tout essayé et pourtant je me suis retrouvée avec une jungle."

Humainement c’est très dur, il faut être pragmatique et prendre du recul.

Natacha Bouchart, maire de Calais

Débordements dans le campement, insalubrité, l'élue à la tête de Calais est confrontée à la crise migratoire depuis plus de 16 ans. "Humainement c’est très dur, il faut être pragmatique et prendre du recul. Je veux faire preuve d’humilité et de fermeté", affiche-t-elle.

Depuis octobre 2016, la jungle a été démantelée complètement. Dans le même temps, le phénomène des passeurs clandestins n'a toujours cessé de se développer. "Un problème pour lequel on n'a pas encore trouvé de solution. Il faut absolument lutter contre eux."

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