Bègles, en Gironde, veut être ville test pour la consommation, la vente et la production de cannabis. Le maire estime qu'une légalisation très encadrée est la seule façon de faire reculer la consommation. Et d'éviter les dérives. Il veut lever le tabou et relancer le débat.
"Dépénaliser le cannabis ? C'est une super idée, dans d'autres pays cela fait longtemps qu'on a fait cette avancée" s'enthousiasme une béglaise interrogée à propos de la dernière initiative de son maire, Clément Rossignol-Puech.
Briser le tabou
"Je propose à Emmanuel Macron de faire de ma commune de Bègles en Gironde le premier territoire d'expérimentation pour la culture, la vente et la consommation encadrée du cannabis récréatif", a-t-il tweeté le 25 janvier dernier.
"Le débat n'est pas porté dans la société française, il y a un tabou alors que des solutions existent pour faire diminuer la consommation et le trafic" explique Clément Rossignol-Puech. "Ces solutions passent par la dépénalisation".
L'élu girondin s'appuie sur le dernier rapport du Conseil Economique Social et Environnemental publié le 24 janvier 2023 qui se prononce très clairement pour une "légalisation encadrée des usages dits récréatifs du cannabis".
"Nous sommes un certain nombre d'élus locaux qui voyons les ravages de ces drogues parmi les jeunes et les moins jeunes, dans les quartiers. On gère les problématiques de trafic au quotidien. Nous souhaitons que cela cesse" dit le maire qui espère, avec son initiative très polémique, relancer le débat.
Les limites du système actuel
En tant que spécialiste des addictions et directeur du CEID, le Comité d'étude et d'information sur la drogue et les addictions, et président de la Fédération Addictions, le psychiatre Jean-Michel Delile se dit favorable à une dépénalisation à la condition qu'elle soit très encadrée.
"Le cannabis pose un vrai problème de santé publique, on a près d'un million d'usagers quotidien en France, c'est considérable" souligne-t-il. "Ses effets sont très délétères et très dangereux chez les jeunes. Mais on a aussi un impact négatif sur le plan des accidents de la route, du travail, de la sécurité".
Il estime qu'il "est important de rouvrir le débat parce que l'on se rend bien compte des limites du système actuel".
Trouver un équilibre
Pas question de légaliser pour autant sans mettre en place une régulation très stricte. Car "plus un produit est accessible, plus il risque d'être consommé" prévient Jean-Michel Delile.
Il insiste sur l'importance de maintenir une interdiction pour les mineurs et les jeunes adultes.
C'est chez les 16 - 21 ans, que les usages du cannabis sont les plus dommageables
Jean-Michel Delile - psychiatre spécialiste des addictionsà France 3 Aquitaine
"C'est chez les 16 - 21 ans, que les usages du cannabis sont les plus dommageables sur le plan cognitif, intellectuel, psychologique et même sur le plan psychiatrique. Il est inconcevable de leur donner un libre accès".
Le président de la Fédération Addictions donne l'exemple de l'Amérique du Nord où, dans certains États, la légalisation du cannabis est en vigueur depuis une dizaine d'années. "Les États de l'Est américain et du Québec, au Canada, montrent qu'avec un contrôle, on peut avoir des effets bénéfiques en terme économique, faire sortir les gens de l'ombre du marché noir, des mafias, du trafic tout en limitant les effets négatifs en terme de santé publique".
Une meilleure prévention
Clément Rossignol-Puech affirme que, justement, dans ces pays et aussi plus près de nous, en Hollande, en Espagne ou en Italie, la dépénalisation a permis de faire baisser la consommation.
"Il y a de vraies politiques de prévention dans ces pays, car c'est légal. Ici, c'est un tabou, on n'en parle pas". Des "campagnes d'affichage, de publicité dans les médias pour expliquer les dangers de la consommation du cannabis seraient ainsi possibles", argumente le maire de Bègles. "La légalisation permettrait aussi de proposer des produits encadrés en terme de taux de concentration de THC. Donc la consommation diminuerait et les produits seraient moins toxiques".
Jean-Michel Delile approuve. "Même si tout ne rentrera pas dans l'ordre avec une telle mesure, cela permettrait sans doute d'avoir un accès aux soins facilité, plus transparent. Aujourd'hui, les consommateurs addicts sont stigmatisés et doivent se cacher du fait de l'interdiction au plan pénal".
À la disposition des ministres
"En tous cas, la solution du tout répressif ne fonctionne pas" résume Clément Rossignol Puech. "La France a la législation la plus répressive d'Europe et le plus grand nombre de consommateurs. On voit bien qu'il y a un problème".
Il espère qu'Emmanuel Macron et son gouvernement prendront en compte sa proposition. "J'attends une réponse, j'aimerais pouvoir échanger avec les ministres, je suis à leur disposition".
Article rédigé à partir des réactions et images recueillies par Antoine Allart et Pauline Juvigny. Voir leur reportage :