Des échanges entre élèves de première année à Sciences Po Bordeaux ont été révélés, comprenant de nombreux messages à caractère pénalement répréhensibles. Le directeur de l’établissement a porté plainte contre les auteurs et souhaite désormais faire revenir le calme.
" Permettez-moi en tout premier lieu de vous remercier pour votre sens des responsabilités et pour votre mobilisation immédiate contre ces propos". Ces mots sont ceux de Dominique Darbon, directeur Science Po Bordeaux, dans un mail adressé aux élèves de son établissement. Dans ce même message, il annonce avoir demandé "l’ouverture d’une enquête administrative au rectorat " et saisi le Procureur de la République le 4 décembre.
À l'origine de cette affaire de messages racistes, homophobes, transphobes, discriminatoires et sexistes, un groupe d'élèves de 1ʳᵉ année, monté sur le réseau social Instagram au mois de juin. Parmi les centaines de participants à ces milliers de messages, certains tiennent des propos inadmissibles.
"Certains messages étaient juste scandaleux"
Arnaud Hebert, fait partie de ce groupe. Alors qu'il doit rejoindre sa promo de 1ʳᵉ année à la rentrée, il est invité par une autre élève de sa connaissance à rejoindre le groupe de parole, monté afin que les élèves se découvrent.
"Au départ, les messages étaient très bienveillants. À partir du moment où on se connaissait un peu mieux, certaines personnes ont cru bon de faire de l’humour sur certains sujets beaucoup trop problématiques, en tout cas qui ne sont plus acceptables en 2023, ça, c'est sûr.", raconte celui qui est aujourd'hui choqué de ce qu'il a pu lire.
Même s'il affirme n'en avoir certainement vu qu’1/10ᵉ, tant le flux de messages était intense - plus de 500 messages par heure - il relate le malaise qui le saisit encore. "C’était douloureux à lire très clairement, Certains messages étaient juste scandaleux", ajoute-t-il, en évoquant notamment des messages négrophobes et islamophobes. Parmi les messages échangés, des sorties antisémites, telles que "les juifs ne prendront qu'une seule douche dans leur vie".
Culpabilisation des victimes
"L’un des critères à Sciences Po, c'est l’ouverture d’esprit" rappelle Louisa Ramdani, élève en 1ʳᵉ année qui a, elle aussi, participé au groupe de discussion." On s’attendait à tomber sur un cadre extrêmement sécurisant, dans lequel on était face à des gens suffisamment éclairés sur les discriminations pour ne pas avoir affaire à ce genre de situation. Là, ce n’est pas le cas.", regrette-t-elle avec un ton totalement désabusé, avant d'évoquer le climat dans lequel la rentrée se fait pour les 364 élèves de la nouvelle promotion : "il y avait un sentiment de suspicion permanente".
Arnaud note également l'impunité totale des auteurs des messages : "ces personnes avaient des discours de culpabilisation envers les victimes", se souvient-il "On avait l’impression que c'étaient les victimes qui étaient le problème, qui ne comprenaient pas cet humour, qui n’acceptaient pas la diversité des opinions."
On a suffisamment de connaissance en sciences sociales pour savoir que L’humour qui contribue aux oppressions n’est pas tolérable.
Louisa RamdaniElève en 1ère année de sciences-Po Bordeaux, membre de L'UNEF
"Ça l'est encore moins sur un groupe de personnes qui sont, tel que l’a dit notre directeur, amenées à être les décideurs du monde de demain", poursuit Louisa Ramdani.
Un groupe de travail inter-associatif et syndical
L'affaire est rapidement arrivée aux oreilles des syndicats. "Quand nous avons réalisé l’ampleur de ce qui se passait, l’ensemble des président(e)s d’asso a décidé la mise en place d’un groupe de travail inter associatif et syndical pour traiter le problème" explique Bastien Ballet, élu UNEF au conseil d’administration.
"La première chose que nous avons faite, c’est que nous avons lancé un appel à témoignage pour recueillir l’ensemble des données sur ces faits" explique Louisa Ramdani, qui précise que cette collecte de témoignages se fait de façon anonyme. "Nous avons ensuite constitué un document qui compilait tous ces témoignages, toutes les preuves aussi, que nous avons envoyé à la direction".
Le directeur, Dominique Darbon, invite également les élèves victimes à se faire connaître auprès de la cellule de veille et d’écoute. "Sciences Po Bordeaux doit être un espace sûr pour chaque membre de sa communauté", rappelle-t-il.