Le 5 juin 2004, Noël Mamère, maire de Bègles, près de Bordeaux, célébrait le premier mariage homosexuel, neuf ans avant que la loi Taubira n'officialise le mariage pour tous. Vingt ans après, les mariages entre couples de même sexe représentent 5 à 10 % des unions officialisées dans la commune.
Le 5 juin 2004, devant la mairie de Bègles. "Beaucoup de violence" et de "militants sont venus cracher leur haine", lors de l'union de deux hommes, Stéphane et Bertrand. Tous deux ont été mariés par le maire Noël Mamère, dans l'illégalité et la polémique, avant même l'autorisation du mariage pour tous, promulgué par la loi Taubira en 2013.
Vingt ans après, en plein mois des Fiertés, les grilles de la mairie restent ouvertes, comme un symbole, pour célébrer une nouvelle union, légale cette fois. "Pablo et Stéphane vont se marier le même jour, ils l'ont souhaité. Ça se fait dans la banalité positive, le droit est rentré", sourit l'élu girondin Clément Rossignol-Puech.
"Tout un symbole"
Ce mercredi 5 juin, la mairie de Bègles scelle donc une énième union dans ses murs. Dans la commune, "les mariages de personnes de même sexe représentent 5 à 10 % des célébrations", dont une majorité de mariages de femmes, précise le maire actuel de Bègles. À la sortie de l'hôtel de ville, les deux mariés du jour saluent l'importance de cette date forte. Stéphane et Pablo ont posé leur valise dans la commune il y a maintenant quatre ans. "Pour nous, c'est un engagement citoyen et tout un symbole, vingt ans après, lâche Stéphane, ému.
Aujourd'hui, on le fait pour nous, mais aussi pour toutes les personnes qui ont souffert.
StéphaneJeune marié
"Un parcours du combattant"
Noël Mamère, alors élu en 2004, se souvient à l'époque d'un véritable "parcours du combattant" pour accomplir ce premier mariage, un acte "de désobéissance civile". "Une initiative collective qui a été prise après une attaque homophobe contre un jeune homme qui s'appelait Sébastien Nouchet, en janvier 2004", contextualise l'édile retraité.
"Le jour du mariage, on a fait entrer les mariés par une porte dérobée, il y avait beaucoup de cris rejetant les homosexuels dans les poubelles de l'histoire, se remémore Noël Mamère.
J'ai quand même entendu, ce qui fait froid dans le dos, "les pédés en camps de concentration.
Noël MamèreAncien maire de Bègles
"C'était à la fois dur et on était porté par une émotion collective et le sentiment de participer à un moment unique en France qui allait déclencher l'égalité des droits", se souvient Clément Rossignol Puech, maire de Bègles.
"Moi, je ne comprenais pas la haine qu'il y a eue à l'époque. La désobéissance civile de Noël Mamère, ça m'a parlé doublement à l'époque en tant que jeune et homosexuel", pointe Stéphane. "J'avais souffert avant et ç'a été une bulle d'oxygène et d'espoir," abonde Pablo.
Les jours suivants, Noël Mamère se voit obliger de dormir dans son bureau tant les menaces sont fortes. Christian Merlette, alors directeur de cabinet, se souvient de "deux mois d'exaltation forte malgré les vents contraires". "On risquait de se faire casser la gueule. On pouvait être menacé de peine de prison. Noël Mamère a été un moment importuné par les services de l'État, mais on est allés jusqu'au bout."
Le maire suspendu de ses fonctions pour un mois
Malgré l'interdiction du parquet de Bordeaux, quelques jours avant l'union, de célébrer le mariage, les élus ont maintenu l'évènement devant une foule de photographes venus immortaliser la cérémonie. "L'objectif était de réussir le mariage et modestement, on ne savait pas qu'on allait rentrer dans l'histoire", confie Christian Merlette.
Une heure après le mariage, le maire de Bègles était suspendu de ses fonctions pendant un mois par le ministre de l'Intérieur. Le mariage sera finalement annulé un an plus tard après plusieurs recours juridiques, le Code civil n'autorisant pas encore l'union de personne du même sexe. Un acte qu'il considérait alors "comme du mépris et une faiblesse".
Aujourd'hui à la retraite, Noël Mamère considère ce jour comme "l'un de ses meilleurs souvenirs d'homme politique". Ce mariage "a ouvert des portes et a contribué à banaliser l'idée selon laquelle deux hommes et deux femmes peuvent bénéficier des mêmes avantages que les autres et ouvrait la porte à la possibilité de construire une famille", insiste-t-il.
Des actes homophobes en hausse
En 2013, la loi Taubira examinée divise la France. Mi-janvier de cette même année, La Manif Pour Tous, qui mène un combat contre le mariage entre deux personnes de même sexe, mobilise des milliers de personnes dans les rues. Le 29 mai 2013, le premier mariage homosexuel est célébré à Montpellier. À Bordeaux, il se fera un mois plus tard, le 29 juin.
"Cela ne devrait pas exister" : des tags homophobes sur la façade d'un bar du Pays basque#Paysbasque #PyrénéesAtlantiques #homophobie #LGBTQIA+ @Prefostaelkarte https://t.co/fVoH598dux pic.twitter.com/blVnKDJk76
— France 3 Aquitaine (@F3Aquitaine) June 3, 2024
Paradoxalement aujourd'hui, si les mariages de personnes du même sexe sont autorisés et largement banalisés, les violences à l'encontre des personnes LGBT+ ne cessent d'augmenter. "Il y a une petite minorité très agissante qui fait plus de violence et là, on doit être intraitable", s'inquiète Clément Rossignol-Puech. Un constat partagé par Noël Mamère qui observe avec aigreur "des actes homophobes qui n'ont pas cessé". "C'est un combat de tous les jours", insiste-t-il.