"On a nos limites et on y arrive plus", quand les médecins libéraux disent stop et se mettent en grève

Des journées à rallonge, trop de paperasse, des dossiers à remplir, l’impression de ne plus exercer correctement son métier, les médecins de ville en ont assez. Ils appellent à la fermeture de leurs cabinets les 1er et 2 décembre. Le mouvement est inédit et il risque d’être très suivi.

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Le mal est profond et le ras-le-bol général. Stéphanie Aymard est installée depuis cinq ans à Eysines près de Bordeaux. Elle partage le cabinet avec deux autres médecins. Jeudi et vendredi la porte restera fermée aux patients. Comme ses confrères, elle entend protester contre la dégradation des conditions de travail auxquelles elle doit faire face.

Consultation multipliée par deux 

"On voit des gens tous les jours, les patientèles sont bondées, des fois, on est obligé de refuser des personnes parce que nous ne pouvons pas faire face à la demande, on n’est pas assez nombreux".

La doctoresse a rejoint Médecins Pour Demain. C’est ce mouvement non-syndical et apolitique qui est à l’origine de cet appel à la grève inédit. Il rassemble plus de 14.000 membres sur Facebook, le symptôme d’une colère sourde.

À force d’enchaîner les journées à rallonge, le collectif revendique : le doublement du tarif de la consultation – de 25 à 50 euros – Pour Stéphanie Aymard, une revalorisation permettrait, entre autres, de pouvoir investir dans des moyens matériels, mais aussi pour embaucher du personnel.

On veut faire de la bonne médecine, on ne veut pas faire de la médecine d’abattage

Stéphanie Aymard médecin à Eysines (33)

à rédaction web de France 3 Aquitaine

"On est trois médecins généralistes dans mon cabinet et malgré le fait que nous soyons trois, nous sommes dans l’incapacité d’embaucher un secrétariat sur place qui permettrait de gérer la charge administrative très lourde", poursuit-elle.

Selon son expérience, les contraintes administratives représentent 25 % de son activité. C’est autant de temps en moins consacré aux patients. Le médecin estime que les forfaits versés par la sécurité sociale et le plafonnement des honoraires ne permettent pas à l’heure actuelle de développer le cabinet. "C’est un métier que l’on aime et on veut pourvoir le faire correctement, des fois, c'est compliqué.
Prendre un patient en charge pour un cancer, ce n’est pas la même chose que prendre un patient pour une angine. Le temps de consultation ne sera pas le même. On va prendre plus de temps avec le patient qui a un cancer peut-être 30 minutes 45 minutes et on sera rémunéré de la même manière. On veut faire de la bonne médecine, on ne veut pas faire de la médecine d’abattage."

Inciter à l'installation

Un tarif jugé aussi plus attrayant pour inciter les jeunes médecins à s’installer. Stéphanie veut y croire : "Cela nous permettrait de relancer l’attractivité à l’installation de jeunes médecins. Aujourd’hui les médecins remplaçants, vous en avez 30 % qui a cinq ans ne sont pas installés et 40 % qui ne s’installeront jamais, car encore une fois, s’installer en médecine libérale, c’est compliqué."
Si toutes les organisations ne sont pas d’accord sur l’étendue de la hausse, toutes affichent la même lassitude. Pour la première fois depuis 2015 et la loi Touraine, tous les syndicats médicaux, soutiennent le mouvement pour faire pression sur l’exécutif.

On nous dit : les médecins n’en font pas assez, ne travaillent pas assez, ils ne vont pas à la campagne.

Arnaud Gaunelle, médecin à Lormont (33)

à France 3 Aquitaine

Les médecins libéraux ont le sentiment d’être déconsidérés et méprisés. "Aujourd’hui, le problème, c’est le manque de bras. On n’est pas assez nombreux pour faire tout ce qu’il y a à faire."

Manque de reconnaissance

Arnaud Gaunelle est médecin et délégué régional du syndicat MG France. Il trouve le montant "excessif" mais il estime aussi qu’une hausse est nécessaire au regard de l’inflation. Son prix n’ayant pas été revalorisé depuis 2017. Les syndicats savent qu’ils ont peu de chance d’être entendus alors qu'ont lieu les négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie. Doubler le tarif de la consultation coûterait 7 milliards d’euros à la sécurité sociale.

"Ça prend dix ans pour former un médecin et nous n’avons pas encore les effets du numerus clausus qui a été rehaussé. On a encore 10 ans très difficiles avec beaucoup de besoins et si on ne peut pas nous permettre de nous organiser, de trouver de solution, on ne pourra pas répondre à la demande.", prévient-il.

Lui non plus ne ménage pas ses efforts: 45 heures par semaine au minimum et une trentaine de patients en moyenne par jour "dans les petites semaines". Le médecin déplore un manque de considération et s’inquiète de l’évolution de l’exercice de la médecine libérale.

"On court, on court et on arrive sur la période d’hiver avec les virus et ça va être plus tendu. On jongle, on fait ce que l’on peut, mais on est en difficulté et derrière on nous dit : les médecins n’en font pas assez, ne travaillent pas assez, ils ne vont pas à la campagne ".
La pandémie de Covid a pour beaucoup aggravé la situation et mis à mal un secteur déjà en tension: "On nous a donné encore plus de tâches supplémentaires à faire pendant le covid."  

La profession a le sentiment que son travail n'est pas reconnu. Elle s'estime méprisée. "On nous explique qu’il faut que l’on soit plus présent encore sur des temps de garde, de soir, de week-end end, mais on est au maximum de ce que l’on peut faire !"

Antoine Gaunelle veut lui aussi pouvoir embaucher des assistants médicaux des secrétaires.
Et pour cela, il réclame une meilleure organisation et des moyens financiers, humains et matériels pour avoir davantage de temps à consacrer au métier qu’il exerce. Il regrette l'époque où entre professionnels, ils pouvaient diriger leurs patients vers des spécialistes, sans passer obligatoirement par la case hôpital.
"Avant, on décrochait le téléphone, on pouvait avoir un rendez-vous facilement. Aujourd’hui, il n’y a plus de secrétariat, tout passe par Doctolib. Quand il y a une urgence, on passe un quart d’heure, une demi-heure pour avoir quelqu'un au bout du fil pour pouvoir ensuite faire une prise en charge plus rapide et au bout d’une demi-heure, si on n’ y arrive pas, on envoie aux urgences."

Liberté d'installation



Mais au-delà de l’aspect financier, la profession veut également défendre sa liberté d’installation qu’elle estime menacée, notamment au Parlement où s’accumulent les propositions de loi sur les déserts médicaux. La quatrième année d’internat de médecine générale, dans un désert médical, a sûrement aggravé l'incompréhension.  
Le docteur Gaunelle, qui travaille à Lormont sur la rive droite de Bordeaux, a du mal à se projeter. Les départs à la retraite l’inquiètent. Trois ou quatre médecins sont susceptibles, dans un avenir proche, d’arrêter leur activité. Le praticien qui refuse déjà de nouveaux patients ne sait pas comment il pourrait avec d’autres confrères absorber une telle activité.
Il aimerait lui aussi être déchargé des contraintes administratives. Et de prendre l’exemple du dossier partagé du patient qu’il faut remplir sur Internet. Un acte très peu valorisé. 
"Ça se fait soit disant en un clic, mais ça nous prendrait au moins 15-20 minutes par patient, ce sont des heures supplémentaires que l’on n'a pas !"

L’impression que si rien ne change la médecine de ville risque de mourir. C’est le sentiment partagé par de nombreux praticiens. Pour le Syndicat des médecins libéraux (SML), "Ces deux jours de fermeture doivent constituer un électrochoc". La fièvre pourrait bien gagner de nombreux cabinets.

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