Depuis le 10 octobre les associations de maraude dénoncent les manquements de l’Etat, en cessant toute activité. Elles font valoir l' "épuisement généralisé" des bénévoles et réclament notamment l’ouverture de 1 000 places d’hébergement sur Bordeaux.
Quand nous contactons Estelle Morizot, présidente et fondatrice de la Maraude du cœur de Bordeaux, celle-ci vient à peine de raccrocher avec nos confrères. Car l’annonce de l’arrêt des maraudes est une bombe symptomatique de la difficulté de notre société à prendre en compte la montée des précarités.
Cela faisait plusieurs mois que les associations solidaires de maraudes bordelaises réfléchissaient à un moyen d’action. Depuis le 10 octobre elles ont passé le cap, celui de l’inaction concertée. Dans un communiqué, elles expliquent répondre aux expulsions, aux fermetures des hébergements d'urgence, et à l'épuisement généralisé des bénévoles
Grève du zèle pour un " ras le bol général "
La Maraude du cœur de Bordeaux, les Diamants des cités, les Gratuits Gironde solidarité et Imagine demain figurent parmi les grévistes.
"Moi qui ai passé sept ans à la rue, vous imaginez bien comme ça me crève le cœur de pas faire la maraude dimanche. Mais l’objectif c’est de montrer qu’il y a un truc qui ne va pas", avance Estelle Morizot.
Déjà qu’avant le Covid ça n’était pas simple, mais depuis, ça ne s’est jamais arrêté. Depuis trois ans, il n’y a plus d’accalmie
Estelle Morizot, Présidente de la Maraude du cœur de BordeauxFrance 3 Aquitaine
La paupérisation induite par la pandémie et l’absence de considération de cet état de fait par les autorités ont laissé les associations exsangues.
"On est tous complètement bénévoles et on a des bénéficiaires qui pensent qu’on nous paye pour faire le travail, relate Estelle Morizot, mais on est épuisés on en a marre. Les bénévoles sont épuisés, les présidents d’asso aussi ". Elle-même a du arrêter son activité professionnelle qui pâtissait de son engagement.
Maraudes et distribution de colis
Les activités de la Maraude du cœur de Bordeaux s’organisent autour de 3 axes majeurs : les maraudes du dimanche soir, les colis alimentaires distribués le mardi et mercredi pour plus de 35 familles et enfin les parrainages de personnes sans-abris en voie de réinsertion. "Le dimanche à 19h à Hôtel de ville on a eu 63 personnes. La moitié est en logement mais ce sont des gens qui vivent avec des minima sociaux. Parmi elles, on a des gens très âgés, comme Jean-Pierre qui a plus de 80 ans", souligne Estelle Morizot.
Les maraudes, ce sont des citoyens qui se réveillent et se disent 'tiens si j’allais aider les autres'. Mais on n'est pas assez nombreux et on est en activité 6, voire 7 jours sur 7.
Estelle Morizot, Présidente de la Maraude du coeur de BordeauxFrance 3 Aquitaine
Si la présidente associative fait valoir l'importance des actions de son association, elle évoque également les coulisses de celle-ci. Car derrière chaque activité, on retrouve une organisation laborieuse.
Tout d'abord parce que "c’est très compliqué d’avoir des bénévoles en semaine", mais également parce qu'il faut être toujours disponible pour organiser les collectes, chercher des donateurs, les appels ou réunions au 115, ou encore les déclarations en préfecture.
Au cahier des doléances: des actions très concrètes
Dans leur communiqué, les associations détaillent leurs doléances. Elles réclament notamment l'ouverture de 1000 places supplémentaires d'hébergement sur Bordeaux Métropole, adaptées aux profils des personnes à la rue. Les associations ciblent les familles au complet et souhaitent éviter que les pères ne soient écartés dans un autre refuge que celui de leur femme et de leurs enfants. Elles considèrent également les personnes alcooliques ou toxicomanes avec des chiens, ou encore les très jeunes majeurs.
Autre requête : l'ouverture automatique d'abris complémentaires en cas de températures inférieures à 10° et supérieures à 30 °. A l'heure actuelle, ceux-ci sont ouverts dans le cas de déclenchement de plans grand froid ou de canicules.
Les associations souhaitent également la reconnaissance et le soutien des victimes de la rue en cas d'agressions, de vols ou de viols; le financement direct par les services d'Etat des denrées alimentaires, fournies par les associations aux personnes laissées dans la rue ainsi que la mise à disposition et le financement de locaux associatifs.
La dénonciation de l'absence des pouvoirs publics
Pour Estelle Morizot, l'Etat comme la mairie sont défaillants. "Cet été, au plus dur de la canicule, la seule chose qu’ont fait la mairie et le CCAS, c’est d’offrir des bouteilles d’eau. J’en ai récupéré 120, c'est déjà un début"
Blasée, elle assure qu' "aucune association de maraude n'a reçu des aides cette année", qu’elle soit matérielle, pécuniaire ou logistique. Par ailleurs l'association aurait dépensé 23 000 euros l'année dernière, grâce aux dons.
Un constat "partagé" par la mairie de Bordeaux
Le 10 octobre, plusieurs maires de France, dont Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, ont signé une tribune, appelant l'Etat à lutter contre le sans-abrisme.
Mais pour la militante associative, cet engagement ne pallie pas l'aide concrète réclamée.
C’est agaçant parce que c’est vraiment nous donner des miettes pour qu’on ferme nos gueules
Estelle Morizot, Présidente des Maraudes du Coeur de Bordeaux
"La mairie de Bordeaux a donné cette année 450 000 euros aux associations, via le Centre communal d'action social CCAS rétorque Harmonie Lecerf, adjointe à la ville en charge de la solidarité. Nous avons augmenté de 90 000 euros l'enveloppe dédiée à l'aide alimentaire. Ce ne sont pas 90 000 euros de bouteilles d'eau".
Pour autant l'élue assure partager le constat des associations, et se dit "très préoccupée" par cette grève qui "n'est pas à prendre à la légère".
"Le manque d'hébergements d'urgence est indéniable sur le territoire bordelais. A Bordeaux, 60% des personnes sans-abri ne sollicitent pas, ou plus, le 115, parce que quand elles le font, elles ne se voient pas proposer de solution", poursuit l'élue, qui s'inquiète par ailleurs du projet de loi de finances qui prévoit de supprimer 14 000 places d'hébergement disponibles sur le territoire national.
Rien que sur Bordeaux, pendant la nuit de la solidarité, 659 personnes sans-abri ont été recensées sur Bordeaux. Et il ne s'agit que d'un chiffre plancher.
Harmonie Lecerf, adjointe au maire de Bordeaux, en charge de la solidaritéFrance 3 Aquitaine
Et si l'hébergement d'urgence relève de la compétence de l'Etat, l'élue municipale reconnaît que la préfecture de la Gironde ne peut être tenue responsable du déficit de place. Elle rappelle que la mairie a elle-même mis à l'abri 129 personnes. "La mairie de Bordeaux conçoit bien que la préfecture ne soit pas en mesure de résorber le sans-abrisme. Donc nous prenons notre part, de manière importante, au delà de nos compétences" , rappelle-t-elle.
Une réunion en préfecture le 26 octobre
De son côté la préfecture de Gironde a elle-même réagit à cette grève inédite et se défend de toute inaction. Elle assure être "pleinement mobilisée pour augmenter les capacités de mise à l'abri des personnes en grande précarité" et dépenser 51 millions d'euros chaque année pour la solidarité envers les plus démunis.
Pour cet hiver, ce sont au minimum 142 places supplémentaires qui seront ouvertes. Au-delà de la simple mise à l’abri, un accompagnement social est assuré.
Préfecture de la GirondeCommuniqué
Par ailleurs, la préfète Fabienne Buccio a convié 19 associations à une grande réunion sur le sujet le 26 octobre.