Du 26 au 31 octobre se tenait la cinquième édition du Trek Rose Trip au Maroc. Mais rapidement, la manifestation sportive 100% féminine se transforme en calvaire. La plupart des participantes ont contracté une bactérie qui génère diarrhées et vomissements extrêmes. L'organisateur se défend d'une mauvaise prise en charge.
Un trek solidaire qui tourne au cauchemar. Pour la cinquième édition du Trek Rose Trip Maroc, 800 femmes, de France, Belgique ou encore Canada, se sont élancées le 26 octobre au milieu des dunes marocaines. Le concept : des trios de coureuses doivent s'orienter dans le désert au bénéfice de plusieurs associations. Mais au moins 200 d'entre elles ont vu leur trek tourner court au bout de quelques jours.
Pour Séverine, partie avec ses deux collègues et amies Géraldine et Violaine, l'enfer commence lors de la troisième nuit, samedi. "Vers 1h et demie du matin, je me suis réveillée en n'étant pas bien du tout, je transpirais, j'avais des tremblements, raconte cette habitante de la Brède, à côté de Bordeaux. J'avais aussi très mal au ventre, donc je suis allée directement aux toilettes, mais je n'étais pas la seule. On se croisait un peu comme des zombies avec les autres filles."
Les médecins débordés
S'ensuit un calvaire de plusieurs jours pour cette trekkeuse et les autres participantes affectées. "Le lendemain, je ne pouvais pas reprendre le trek, je suis restée dans ma tente. Mais avec le soleil, il faisait dans les 40 degrés, j'ai été obligée de sortir, sans avoir assez de force pour aller au poste de secours." La Girondine s'installe alors sur le bord de sa tente, à l'ombre, avec son oreiller et son duvet, et reste là une demi-journée, sans qu'un médecin n'intervienne. "Des filles sont passées voir si j’avais besoin d’aide. Elles m’ont dit de ne pas aller au poste de secours, parce qu'il y avait tellement de coureuses malades là-bas qu'ils ne pourraient rien faire."
La Croix-Rouge, chargée d'assurer la veille sanitaire de l'événement, est en effet débordée par le nombre de cas et l'ampleur de l'épidémie qui s'annonce. Avec seulement 10 médecins pour 800 personnes, Géraldine salue tout de même leur "travail exceptionnel" au milieu de cette épidémie, tandis qu'elle fustige le manque de réaction de la part des organisateurs. "Au départ, ils nous ont juste dit que c'était une gastro, de faire attention à bien se laver les mains, mais c'est tout. Ils auraient pu arrêter le trek, ils ne l'ont pas fait."
Sur le moment, on pense qu'on va y passer. On ne réfléchit à rien, on ne pense qu'à survivre
Séverine, malade pendant le Trek Rose Trip Marocà France 3 Aquitaine
Séverine, comme plusieurs centaines d'autres participantes, souffre "d'énormément de diarrhées et de maux de ventre atroces". "Certaines ont aussi vomi, moi non, mais je me suis évanouie une fois. Je sentais que j'étais complètement déshydratée, extrêmement fatiguée, mon corps ne répondait plus." Encore choquée de ce qu'elle a vécu, la Girondine se rappelle "voir les filles tomber les unes après les autres, un peu comme dans un film, où on se demande ce qu'est cette mystérieuse épidémie".
"J'ai pensé perdre mon amie"
Et le film d'horreur s'aggrave encore lorsque ses coéquipières et amies tombent elles aussi malades. "Géraldine était par terre, elle a fait une crise, elle avait du mal à respirer. À ce moment-là, quand vous voyez votre copine comme ça, sous une couverture de survie, en train de lutter pour respirer, vous oubliez que vous êtes vous-mêmes malade. Ça fait vraiment un choc."
Ce sont des images que je n'oublierai jamais... J'ai pensé perdre mon amie.
Séverine, malade pendant le Trek Rose Trip Marocà France 3 Aquitaine
Géraldine subit plus durement la maladie et doit même se faire hospitaliser. Séverine, elle, peut rentrer en France en avion. Toujours très fatiguée, elle se rend immédiatement chez son médecin pour prévoir des analyses. Après quelques jours, le verdict tombe : elle est infectée par la bactérie Shigella, un clone d'Escherichia coli. Ce germe entraîne la shigellose, une maladie aux symptômes similaires à une gastro-entérite, mais en plus aigus.
Selon l'Institut Pasteur, il s'agit "par excellence [d'] une maladie de l’insuffisance d’hygiène. Les shigelles sont transmises par voie féco-orale" et sont "extrêmement infectieuses". En clair, les participantes ont pu attraper cette maladie en ingérant des aliments ou des eaux contaminées sur le bivouac, où en touchant des surfaces où la bactérie avait été déposée, en raison de la proximité des installations sanitaires avec le reste du campement, et du grand nombre de participantes.
Rassembler les témoignages
Sur un groupe Facebook créé pour rassembler les témoignages des coureuses affectées, les messages affluent. Certaines ont été contaminées par une bactérie autre que Shingella, mais toutes souhaitent assigner en justice Désertours, l'organisateur de l'événement. Séverine, très en colère contre l'organisation, fait partie de celles qui souhaitent porter plainte, dénonçant un manque de considération, d'information et de réaction sur place.
On veut porter plainte aussi pour que cela ne se reproduise pas, parce que ça aurait pu être pire, il y aurait pu avoir des morts.
Séverine, malade pendant le Trek Rose Trip Marocà France 3 Aquitaine
"Et puis, on a réussi à rentrer en France avec trois avions, sans que le pays soit au courant qu’une épidémie arrivait. Je trouve ça scandaleux ! assène la Girondine. On aurait pu donner une maladie dangereuse à tout le monde, car on ne savait pas encore ce qu'on avait, c’est ça aussi qu’il faut punir ! Ça aurait pu être dévastateur."
Dans un communiqué envoyé le 3 novembre aux participantes, que nous avons pu consulter, Désertours présente ses excuses aux coureuses, mais se défend d'un défaut de prise en charge. Celle-ci, "bien que très difficile dans le désert, a permis de limiter les patientes hospitalisées. Mutuaide [l'assureur de l'événement, NDLR] a confirmé que le triage, selon les critères sanitaires en vigueur, et le plan d'évacuation ont permis d'isoler les cas les plus graves et de les hospitaliser en urgence".
Pas de contamination bactérienne pour Désertours
L'organisation conteste aussi la contamination bactérienne, due aux installations, à l'origine de l'épidémie. "Les symptômes de gastro-entérites aiguës sont fréquents au Maroc, mais ont été d'une virulence et d'une ampleur exceptionnelles, dont l'origine virale a été confirmée selon Mutuaide", écrit l'équipe dans son communiqué. Ce qui va à l'encontre des résultats d'analyses effectuées par de nombreuses participantes à leur retour du trek.
Pour toutes celles qui veulent porter plainte, le combat vient à peine de commencer. Et ternit l'image d'un événement solidaire, qu'elles préparaient et attendaient pour certaines depuis des années. "C'est moche, mais je ne garde aucun bon souvenir de ces six jours, regrette amèrement Séverine. Tous les moments passés à marcher dans le désert, à voir des paysages magnifiques, tout est effacé par ce qu'on a vécu après. Je pense que je ne suis pas près de refaire un trek, en tout cas pas celui-là." Une aventure que les participantes vont malheureusement avoir du mal à oublier.