Chaque année, la période des fêtes de fin d’année correspond au pic d’activité des transporteurs routiers, accru par l’e-commerce. Délais raccourcis, concurrence déloyale, pressions et tension au volant, ces “pères Noël de l’ombre” n’ont pas vraiment le cœur à la fête.
On l'a tous fait : quelques clics et le colis est livré sur le pas-de-porte. Une méthode bien pratique quand il s'agit de faire ses achats au dernier moment avant Noël, tout en évitant la cohue des magasins. Mais se pose-t-on réellement la question des contraintes pour les livreurs ?
Des colis par centaines de millions
La période des fêtes de fin d'année, à laquelle s'ajoute désormais le Black Friday, correspond à la plus grosse période d’activité pour de nombreux transporteurs. Avec la croissance exponentielle de l’e-commerce, les livraisons ont explosé ces deux dernières années. La Poste prévoit encore de livrer 106 millions de colis en décembre, Mondial Relay près de 5 millions par semaine. “Et il y a l’avant Noël et l’après Noël, avec tous les retours qui s’accumulent dès le lendemain”, sourit Olivier Hiceb, délégué en Aquitaine de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui rassemble près de 350 adhérents en Nouvelle-Aquitaine et environ 5 000 employés.
“Si les huîtres ou le vin ne sont pas livrés, c’est Noël qui tombe à l’eau"
Dans le monde du transport routier, l’adaptation fait loi. En moins d’une semaine, les carnets de commandes sont pleins pour le mois.
Habituellement, on essaie de se baser sur l’année précédente. L’année dernière, le rush a commencé mi-novembre. Cette année, ça a démarré mercredi dernier.
Romain Andrade,responsable d’exploitation chez MTS
Et le consommateur n’aime pas attendre, qu’il soit professionnel ou particulier. “Si les huîtres, le homard ou le vin ne sont pas livrés le jour J, c’est Noël qui tombe à l’eau. L’enjeu est extrêmement fort. Sans nous, il n'y a pas de Noël”, indique le délégué de la FNTR. Cet enjeu est le même du côté des livreurs de colis, ces camionnettes blanches, des véhicules utilitaires légers (VUL), qui sillonnent les villes pour compléter “le dernier kilomètre”.
"On évite de prendre des congés à ce moment-là"
Premier levier de ces entreprises, les emplois du temps. “On concentre toutes nos forces de transports sur les temps d’activité. On évite de prendre des congés dans ces périodes-là”, illustre Olivier Hiceb. Au sein de MTS, un transporteur girondin qui livre particuliers et supermarchés, un chauffeur “de réserve” est planifié quotidiennement “pour pallier les absences”. “On ne peut pas se permettre de ne pas livrer une journée parce qu’un chauffeur est malade”, constate Romain Andrade, responsable d'exploitation. D'autres ont recours à des intérimaires. “C’est primordial pour amortir des périodes comme ça, sans pour autant avoir du sureffectif le reste de l’année”, indique Olivier Hiceb.
Respecter les temps de conduite, même dans le rush
Si les congés sont repoussés à plus tard, le repos, lui, est obligatoire. Les chauffeurs ne peuvent pas rouler plus de 9 heures par jour et 56 heures par semaine. Au sein du transporteur girondin, deux personnes sont planifiées pour la même commande, afin respecter ces temps de repos. “La marchandise est généralement prête l’après-midi. Il y a celui qui va charger dans le camion, un second qui va faire la route de nuit pour que les clients soient livrés à J+1”, explique Romain Andrade. Un délai que l’entreprise doit tenir quelle que soit la destination. “On couvre tout le Sud-Ouest, mais on va jusqu’à Paris et sa périphérie”, détaille le responsable d’exploitation.
Face à certains pics, les entreprises délèguent parfois une partie de leurs commandes à d’autres transporteurs, au travers de contrats annuels ou ponctuels. Une pratique surtout relevée du côté des véhicules légers, livreurs de colis. “Nous travaillons avec un seul sous-traitant qu’on connait bien. Même si c’est une autre entreprise, c’est l’image de la nôtre qu’il représente quand on fait appel à eux", souligne Romain Andrade. Très utilisée dans le secteur, la sous-traitance est aussi directement utilisée par les gros faiseurs en messageries. "90% des fourgons blancs sont des TPE ou PME qui ont à charge de livrer dans les lockers ou chez les particuliers", précise Caroline Augé, représentante en Nouvelle-Aquitaine de l'Organisation des Transporteurs Routiers Européens (OTRE).
"A chaque absence des destinataires, ils ne sont pas payés"
Pour ces TPE, il n'y a pas que les commandes qui sont à flux tendu, la trésorerie aussi. “Ils ne sont payés qu’une fois la livraison effectuée. Donc à chaque retard ou absence des destinataires, ce qui est souvent le cas pour les particuliers, ils ne sont pas payés”, explique Caroline Augé. Une perte d’argent, mais aussi de temps.
Avec les tournées cadencées à la minute, ils ne pourront pas revenir avant le lendemain. C’est une étape de plus dans leur planning.
Caroline Augéreprésentante Nouvelle-Aquitaine du réseau OTRE
“C’est pour ça qu’il y a un vrai engouement pour les lockers”, ces bornes composées d’une dizaine de casiers où les particuliers munis d’un code peuvent récupérer leurs colis, 24h/24.
Tensions au volant
Mais c’est sur la route que les tensions sont les plus fortes. “Sur la rocade de Bordeaux, les altercations sont quotidiennes”, approuve Olivier Hiceb. Même constat pour Romain Andrade, habitué aux sueurs froides. “Quand un automobiliste fait tout pour ne pas laisser passer un camion en mouvement, il oublie souvent que pour s’arrêter, c’est 44 tonnes qu’il faut immobiliser”, rappelle le responsable d’exploitation de MTS, dont l’entrepôt principal est installé à Bassens. “Ce qui est fou, c’est que tout ce qu’on a à la maison, c’est un jour un camion qui l’a transporté. Sans les transports routiers, on n’a rien !”
Cette sensation d'un manque de reconnaissance est récurrente dans la profession. Invisible dans une livraison, le transport ne se décline pas moins de trois fois en moyenne : de l’industriel à l’entrepôt général, de l’entrepôt aux plateformes de logistiques locales et des plateformes logistiques aux destinataires. “Et encore, il faut aussi compter les intermédiaires qui gèrent les chargements ainsi que le tri des colis en fonction de leur destination”, ajoute Caroline Augé.
Sur Internet, on voit les clients remercier Amazon pour la vitesse de leurs livraisons. Mais ce n’est pas Amazon, ce sont les transporteurs qui ont la charge de tenir les délais.
Olivier Hicebreprésentant en Aquitaine de la FNTR
Pour Caroline Augé, il faut également rester vigilant sur les livraisons gratuites. “Qui va accepter de rouler, de payer des hommes, du gazole gratuitement ? Si les plateformes ont cette mention, c’est parce que, soit la livraison est comprise dans le prix, soit qu’elles rognent sur la marge (en moyenne 1,5%,du prix) du transporteur et se tournent, de fait, vers les moins chers”.
Contrôles routiers et concurrence
Pour limiter les dérives, et notamment les missions sans documents officiels, un contrôle, qui ciblait principalement les routiers, s'est déroulé le du 27 novembre au 1ᵉʳ décembre, en plein Black Friday, sur tout le territoire français. L'opération aurait été à l'initiative des routiers eux-mêmes, qui demandent une concurrence plus juste. En Aquitaine, sur les 220 véhicules contrôlés, dont 60 étrangers, "42 infractions ont été relevées dont 28 délits et contraventions de cinquième classe, représentant plus de 35 000€ en amendes forfaitaires et consignations", précise la préfecture de Gironde, dans un communiqué diffusé le 7 décembre.
On assiste à une forme d’uberisation du transport.
Caroline Augéreprésentante en Nouvelle-Aquitaine du réseau OTRE
Face aux demandes des clients d’un service toujours moins cher, certaines plateformes n’hésitent pas à chercher des transporteurs moins chers, généralement à l'étranger. “On passe notre temps à expliquer les valeurs de nos transporteurs. Si on est pénalisé pour des trucs idiots comme une mauvaise conduite sur la rocade ou des chargements par règlementaires, c’est contre-productif”, martèle Olivier Hiceb.
Les transporteurs français craignent une mauvaise image, mais surtout une concurrence déloyale. “On voit la pratique se répandre depuis 2019, surtout avec des transporteurs de l’est, 50% moins cher”, regrette Romain Andrade, de MTS. “Sauf qu’avec des coûts aussi bas, les délais ne sont pas respectés, le chargement peut bouger et les véhicules ne sont pas écologiques”.
Des contrôles des plaques sont ainsi réalisés aux frontières pour enregistrer les entrées et sorties des véhicules du territoire. “Autant il est évidemment possible de livrer d’un pays étranger en France, autant il est interdit que ce dernier réalise des livraisons entre deux points du territoire plus de trois fois”, indique Caroline Augé. Lors du contrôle réalisé lors du Black Friday, la préfecture de Gironde a cependant relevé des cas de cabotages irréguliers, le nom de cette pratique illégale.