Depuis la fermeture des écoles, collèges et lycées le 16 mars, les enseignants ont été sommés d’assurer la continuité pédagogique. Comment se sont-ils adaptés et surtout quelles leçons tirent-ils de cet enseignement à distance ? Voici le témoignage d'enseignants de Gironde.
Pauline Jarrige est professeure d’histoire géographie au lycée Montesquieu à Bordeaux : "Au début, c’était un peu la panique ! La mise en place de cet enseignement à distance a été chaotique. Car nous n’étions pas prêts.
Il a fallu que je m’organise et que je partage mon ordinateur avec les membres de ma famille (j’ai deux enfants et mon mari est aussi en télétravail).
Dès la deuxième semaine de confinement, je me suis aperçue que mes élèves de première et terminale avaient beaucoup trop de travail à faire. Nous avons donc réduit nos objectifs.
Globalement, cela fonctionne mieux aujourd’hui mais rien ne remplace la présence d’un professeur en classe. La communication de documents, d’informations, de consignes, de conseils, ne palliera jamais entièrement la mise en situation fournie par un cours. Le contact humain est indispensable : les échanges, le ton de la voix, la posture, c’est aussi de la pédagogie.
Autre remarque : seuls les élèves les plus motivés et les plus autonomes vont progresser. Pour les autres, c’est plus compliqué. D’autre part, les inégalités dans l’accès au numérique sont réelles. Certains élèves n’ont qu’un téléphone portable ! "
Autre retour d’expérience : celui de Nathalie Hello, professeure de philosophie au lycée Pape Clément de Pessac en Gironde : "J’ai essayé de garder un lien avec tous mes élèves, même ceux qui ne sont pas connectés. Je leur ai envoyé des fiches avec des éléments ludiques pour éviter d’avoir des cours trop monotones. J’ai donc dû remanier mes cours de philosophie pour les rendre plus accessibles. Au final, je pense que la continuité pédagogique est un leurre. Durant ces premières semaines de confinement, je suis resté en contact avec mes élèves, mais ce n’est pas de la pédagogie. Car la transmission du savoir, c’est d’abord de la relation. En tant qu’enseignant, je dirais qu’on a plutôt essayé d’aménager la discontinuité pédagogique".
La fatigue des profs
Les syndicats tirent la sonnette d’alarme : " Les profs sont épuisés, ils ont dépensé beaucoup d’énergie avec leur matériel qui n’est pas forcément adapté. Dès la première semaine, nous nous sommes aperçus que l’éducation nationale n’était pas techniquement prête. Les ENT (environnements numériques de travail) et les classes virtuelles du Cned (centre national d’enseignement à distance) n’ont pas supporté un usage massif. Inaccessibles pendant plusieurs jours, ils ont fait dépenser beaucoup d’énergie aux élèves et aux enseignants ".
"Je dirais même que le lien humain au sein du groupe s’est renforcé."
Nathalie Zema, professeure confinée de l’école primaire Anatole France à Bordeaux, est beaucoup plus enthousiaste : « J’ai réussi à maintenir un lien très étroit avec mes élèves de CM1 /CM2 en organisant des classes virtuelles (deux fois par semaine). Je me suis équipée d’une webcam et j’ai donné mon numéro de téléphone portable aux enfants qui peuvent m’appeler à tout moment. Je communique aussi par l’intermédiaire du réseau social Klassroom, c’est très pratique. Je dirais même que le lien humain au sein du groupe s’est renforcé. On échange de façon différente, notamment à la fin du cours. Cela nous fait du bien et nous remonte le moral en cette période si particulière ! Sur un plan pédagogique, mes élèves ont gagné en autonomie et en organisation. Ils ont fourni beaucoup de documents écrits. Je salue leur capacité de travail. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient capables de travailler à distance. Je me retrouve avec un groupe classe prêt à aller en 6 ème, c’est rassurant ! » conclue- t-elle.
Malgré des points de vue divergents parmi les enseignants, la rectrice de l’académie de Bordeaux se dit satisfaite de la mobilisation des équipes pédagogiques durant cette période de confinement : « Nous avons constaté une montée en puissance des classes virtuelles du CNED (4 à 5000 par jour). Plus de 50 % des professeurs et 30 % des élèves sont connectés. A cela s’ajoutent les plateformes numériques mises en place dans les établissements scolaires", précise Anne Bisagni-Faure.
Des états généraux de l’éducation et du numérique seront organisés au mois d’octobre 2020, probablement dans l’académie de Bordeaux. Objectif : tirer des leçons de l’expérience d’éducation dématérialisée inédite que nous vivons aujourd’hui. Nul doute que les débats seront animés.