L'universitaire bordelais Bernard Begaud tire la sonnette d'alarme sur la pénurie de médicaments existante et qui pourrait s'aggraver. Il fait partie du tout nouveau conseil scientifique mis en place autour d'Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine.
La pénurie guette, elle est même déjà là pour certains médicaments pourtant essentiels qui soignent le diabète, les maladies cardio-vasculaires entre autres. Et le professeur Bernard Begaud, pharmacologue et universitaire de renom, prévient depuis déjà longtemps.
"Il y a des médicaments que les gens doivent absolument prendre et ne jamais interrompre les traitements. Avant le Covid, on a eu un trou d'air, c'est dramatique, un trou d'air en Chine pendant 6 mois."
La Chine n'a pu fournir un remède durant cette période sans que les raisons soient réellement éclaircies, d'après Bernard Begaud.
Il s'agissait d'un médicament employé dans le cas des troubles bi-polaires. Un traitement très long et compliqué à mettre au point avec le patient. " Les psychiatres ont dû jongler, c'est une maladie qui peut être très grave pour les patients et les autres."
Un exemple des risques qui menacent et pour cause : l'Europe est devenue totalement dépendante de certains pays pour la fourniture de ses médicaments.
On a laissé partir la production de médicaments essentiels, ce qui veut dire qu'aujourd'hui, nous, en Europe, dépendons au moins à 80 % de l'étranger, essentiellement de la Chine et de l'Inde.
Si jamais il y avait quelque chose qui se produisait dans un de ces pays, une épidémie ou une catastrophe, si pour des raisons politiques, un pays voulait nous mettre à genoux, ce serait absolument dramatique.
À entendre cet éminent spécialiste des médicaments et de la santé des populations, universitaire à Bordeaux, la France s'est fragilisée et ne prend pas la mesure.
On n'a plus de quoi soigner le plus essentiel. Ça touche aussi la chirurgie : sans anesthésique, sans curare, on ne peut plus pratiquer d'anesthésie, générale ou locale. On est à genoux.
Lundi 9 novembre, en appui de ce constat, l'association UFC-Que Choisir réclame des mesures à l'Etat en publiant une étude sur le sujet, contestée par la fédération du secteur.
Mises en lumière depuis le début de la pandémie, les pénuries et tensions d'approvisionnement de médicaments ont subi une forte croissance depuis une décennie, alerte UFC-Que Choisir, passant de 405 pénuries en 2016 à presque trois fois plus en 2019.
En 2020, 2 400 ruptures devraient être constatées, "six fois plus qu'il y a quatre ans", note l'étude, citant l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Constituer des stocks
Pour faire face à ces menaces qui ont émergé fortement depuis la crise sanitaire, la Nouvelle-Aquitaine a proposé un conseil scientifique afin de se projeter sur l'avenir. Sous l'égide de son président, cette équipe composée de spécialistes dans plusieurs domaines va aider Alain Rousset a envisager des actions."Ce conseil scientifique touche toutes les menaces potentielles présentes, inconnues ou à venir qui peuvent impacter la région, son bien-être, son économie etc. Entre autres, les autres risques sanitaires qui ne manqueront pas d'arriver.
Dans le domaine infectieux, on redoute beaucoup des séries d'attaques virales pour plein de raisons : l'écosystème, les voyages, rien n'est fait pour les prévenir. Tout le monde attend que l'on reparte comme avant..."
Le Professeur Begaud, pharmacologue, suggère une piste dans son domaine.
La Nouvelle-Aquitaine ne va pas résoudre seule la pénurie mais elle peut le faire en partie. Par exemple, au niveau du stockage de produits essentiels. Les régions ont déjà ces derniers mois stocké des masques et des gants.
On peut le faire aussi pour des stocks de médicaments. Pour moi, la chose la plus importante à faire, c'est ça.
La technologie : remède local
Bernard Begaud fait remarquer que constituer un stock ne coûte rien. "Une fois qu'il est constitué, on l'entretient" propose-t-il."En Allemagne, les länders ont stocké pour six mois. Nous, on n'a rien fait." L'Allemagne, prévoyante, qui a même dépanné la France en prêtant sur ses stocks de corticoïdes quand la France a été en manque, souligne l'universitaire bordelais.
La solution toute simple pourrait peut-être s'articuler autour d'une relocalisation des sites de fabrication ? Pas si simple, explique le Professeur Begaud.
"C'est compliqué de faire revenir des industries. On pourrait y arriver pour certains médicaments, grâce à des sauts technologiques.
Peut-être que certaines innovations pourraient permettre par des process de fabricaton des réductions des coûts drastiques et grâce à ça, relocaliser."
L'autre solution préconisée par le pharmacologue, "c'est d'augmenter le prix des médicaments essentiels. " histoire de motiver les laboratoires qui investissent sur de la recherche et des traitements coûteux.