Pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, Bordeaux veut "renaturer" la ville

Le dérèglement climatique s'observe de plus en plus. En ville, les îlots de chaleur rendent les étés parfois difficiles à supporter. Afin de s'adapter, la ville de Bordeaux s'attache à végétaliser l'espace urbain, "la seule solution". Une démarche qui se veut adaptée et qualitative, et plus efficace que de brandir un nombre d'arbres plantés.

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En ce début d'été, la chaleur envahit les rues de Bordeaux. En pleine ville, le béton et la pierre sont partout, faisant bien souvent grimper le mercure. Les îlots de fraicheur que représentent les parcs et jardins apparaissent comme seuls espaces de respiration qu'offre la ville en période de canicule. Et d'année en année, les conséquences du dérèglement climatiques s'observent de plus en plus. "L'an dernier, il y a des classes qui n'ont pas pu faire cours tellement il faisait chaud, alerte Didier Jeanjean, adjoint à la ville en charge de la nature en ville. Le réchauffement climatique est déjà là. Donc nous devons prendre des mesures d'ampleur. On ne peut pas se satisfaire de mesures cosmétiques."

Depuis 2020 et l'arrivée de la nouvelle équipe municipale écologiste, le programme "Bordeaux grandeur nature" vise à inverser la tendance d'un centre urbain qui devient suffoquant en "renaturant la ville". "La seule solution pour combattre les îlots de chaleur", selon l'élu. Un projet qui se veut "innovant et qualitatif" plutôt que quantitatif, comme le serait une course à l'échalote des arbres plantés.

"Bordeaux part de plusieurs décennies d'inertie"

Depuis 2014, l'Observatoire des villes vertes publie tous les 3 ans son palmarès des villes les plus végétalisées parmi les 50 plus grandes villes de France. Bien que le classement de 2023 ne soit pas encore dévoilé, parmi les trois précédents, Bordeaux ne fait même pas partie du top 10. Si Le Parisien en fait la championne des villes "vertes" pour ses pistes cyclables, Bordeaux accuse un retard historique sur la nature en ville.

"Depuis le 18ᵉ siècle, Bordeaux, c'est la ville de pierre. Ensuite, la ville s'est adaptée à la voiture, rappelle Didier Jeanjean. Depuis le réaménagement avec le tram, qui est une excellente chose, on s'aperçoit quand même que le grand oublié, c'est la nature. Tout cela a été vraiment apaisé au niveau de la circulation, ce sont des travaux vraiment très vertueux du point de vue de la mobilité, mais par contre, il n'y a pas un arbre, il n'y a pas un espace de pleine terre."

"Bordeaux part de plusieurs décennies d'inertie. C'était le paradis de la minéralisation",  confirme Bruno Meilhan-Bordes, de la Sepanso Gironde, association de protection de la nature et de l'environnement. Outre le fait de faire vivre la biodiversité en ville, avec les années et la succession des vagues de chaleur, cette minéralisation a des conséquences devenues réellement problématiques. Des îlots de chaleur, qu'ont identifié les services municipaux, réchauffent la ville. "Avec la même météo en campagne, à Bordeaux, il fera 10 degrés de plus parce que la ville réchauffe", pointe Didier Jeanjean.

La nature est la seule bouée de sauvetage contre le réchauffement climatique.

Bruno Meilhan-Bordes, membre de la Sepanso Gironde

à rédaction web France 3 Aquitaine

Des îlots cartographiés

À partir des données satellites, l'entreprise Pixstart élabore des analyses géostratégiques. Dans un billet publié en 2020, elle identifiait les îlots de chaleur dans la ville de Bordeaux. Des écarts de températures étaient recensés entre les quartiers les plus végétalisés et les plus minéraux. Ainsi, en prenant la date du 29 juillet 2020, 29,2°C étaient mesurés en moyenne dans les Chartrons, un quartier historique peu végétalisé (surtout à l'époque) et dans le même temps, à Caudéran, le thermomètre affichait 27,1°C de moyenne. Soit 2,1°C d'écart de température.

Pour Didier Jeanjean, "le seul moyen de lutter contre ces îlots de chaleur urbain, c'est de renaturer". Pour ce faire, depuis 2020 et l'arrivée à la tête de Bordeaux de la nouvelle équipe municipale, le programme "Bordeaux grandeur nature" est lancé. "Depuis quelques années, il y a un basculement général, observe Anne Marchand, présidente d'Hortis, association regroupant les responsables d’espace nature en ville, qui établit également le classement de l'Observatoire des villes vertes. L'État s'engage, car dans les scénarios les plus optimistes, nous serons à + 4°C d'ici à 2050. Mais ce sont les collectivités qui font le plus de choses et mettent en place des stratégies."

"L'objectif n'est pas la surenchère du nombre d'arbres"

"Les espaces verts ne sont pas des embellissements, mais de vraies infrastructures vertes avec un rôle écologique et d'éco-climatisation", poursuit-elle. Loin de l'ancienne logique qui consistait à faire uniquement de l'esthétisme, même si "l'un n'empêche pas l'autre", précise Anne Marchand, la nature en ville se doit d'avoir une vraie fonction. "Il faut sortir de la logique horticole, les pensées, c'est joli, mais on ne peut plus se le permettre", insiste Didier Jeanjean.

À présent, le programme "Bordeaux grandeur nature" se met en place progressivement avec différents outils. Il se construit notamment avec une toute nouvelle trame verte, tracée par le bureau d'urbanisme de Bordeaux A'urba, afin d'assurer des liens entre les espaces de nature en ville. "En faisant ce travail-là, on lutte également contre l'effondrement de la biodiversité en ville", appuie l'élu en charge de la nature en ville à Bordeaux.

Mais remettre de la nature en ville, ce n'est pas seulement planter des arbres. "La nature en ville, c'est d'abord retrouver des espaces de pleine terre. Ils sont fondamentaux et prioritaires à tout le reste, explique Didier Jeanjean. Il le faut,  pour que l'eau soit gérée in situ et éviter le ruissellement. Cette eau va abreuver les végétaux, mais surtout va contribuer au rafraichissement de l'air par l'évapotranspiration." Des jardins de pluie vont être installés, permettant de mieux gérer l'eau, des mini-forêts également, pour que le sol puisse se régénérer en quelques années, certaines voies doivent être enlevées pour qu'elles soient dédiées à la nature… les outils sont multiples.

Le réchauffement climatique est déjà là. Donc, nous devons prendre des mesures d'ampleur. On ne peut pas se satisfaire de mesures cosmétiques.

Didier Jeanjean, adjoint à la mairie de Bordeaux en charge de la nature en ville

à rédaction web France 3 Aquitaine

Éviter la surenchère au nombre d'arbres

Pour autant, Didier Jeanjean l'assure, ce qui est fait doit l'être de manière qualitative. Loin d'une course à l'échalote sur le nombre d'arbres plantés, qui serait plus de l'ordre du greenwashing. "Je comprends que les gens ont besoin que l'on quantifie un petit peu l'effort qui est fait. Pour moi, le nombre d'arbres, ce n'est pas un drapeau ou un totem. L'objectif n'est pas la surenchère du nombre d'arbres. Chaque milieu urbain est spécifique et on lui adapte un outil urbain de végétalisation spécifique. On a pu beaucoup planter cette année, peut-être qu'on ne pourra pas autant l'an prochain, mais ce n'est pas grave, tant qu'on répond à l'objectif", soutient-il. 

Une logique saluée à la Sepanso. "Quand on voit que les espaces renaturés le sont à bon escient, on apprécie. Depuis 2020, il y a une vraie volonté de la part de la mairie. Même dans les petites rues, ils arrivent à trouver des espaces pour végétaliser", salue Bruno Meilhan-Bordes.

Parmi les volontés du programme "Bordeaux grandeur nature", les arbres fruitiers réapparaissent en ville, avec une dimension sociale sous-jacente, comme l'annonce Pierre Jeanjean : "Ramener l'arbre fruitier en ville, c'est aussi ramener le vivant dans la ville et voir ce que la nature peut ramener comme bénéfice. Ce que ces arbres vont donner, on va le donner à des associations sociales qui font la cuisine pour des gens défavorisés ou qui n'ont pas les moyens de s'acheter suffisamment.

La mairie demande du temps pour "faire des choses et inspirer" d'autres villes

Depuis quelques mois, un grand programme de renaturation des cours d'école est également mis en place. Celui-ci va prendre en tout dix ans. "Les choses prennent du temps, nous n'avions pas les moyens de faire tout d'un coup", justifie Didier Jeanjean. Un temps trop long selon certaines critiques. "On aimerait tous que cela aille plus rapidement. Mais c'est compliqué de faire avancer ces projets et parfois la Métropole n'aide pas vraiment", accorde Bruno Meilhan-Bordes de l'association Sepanso.

Selon  Didier Jeanjean, le programme de renaturation de Bordeaux s'inscrit dans une démarche plus large, qui inclut également le bâti et les mobilités. La mobilité douce, "un levier majeur pour lutter contre ce dérèglement climatique" est encouragé en priorisant le piéton et le cycliste avant l'automobiliste. Un plan global que la ville met en place progressivement d'après l'élu, au gré de différentes expérimentations.

"Nous sommes très ambitieux, car va devoir faire face à un énorme réchauffement. On veut lutter contre le fatalisme et montrer que l'on peut faire des choses, et en inspirer d'autres", vise l'élu à la ville de Bordeaux. Avec un espoir au bout de six ans de mandat : "On veut que l'on puisse se dire : "tiens, à Bordeaux, ils l'ont fait !"" À mi-mandat, le classement de l'Observatoire des villes vertes qui devrait sortir fin 2023, pourra donner un premier aperçu du travail effectué.

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