Depuis le 5 juin, un vaste plan d'arrachage de vignes est lancé en Gironde. Ce dispositif qui oblige les agriculteurs à laisser leurs terres inexploitées pendant vingt ans, pénalisent les propriétaires de vignes en friches, une "injustice" dénoncée par les syndicats viticoles.
"Pour quelqu'un qui aime ses vignes, les voir dans cet état-là, c'est un crève-cœur." Ce mercredi 12 juin, Vanessa Chazot contemple son exploitation de Pugnac pour la dernière fois. Ses vignes appartiennent au patrimoine familial, transmis de génération en génération depuis 150 ans. Pourtant, d'ici quelques jours, sept hectares sur les 20 qu'elle possède seront arrachés. "C'est catastrophique depuis des années, entre le vin qui ne se vend plus, la météo qui n'arrange rien, on n'a plus choix, souffle-t-elle, dans un sanglot.
Le paysage est détruit, je ne veux pas rester là, je ne veux plus, c'est trop dur.
Vanessa ChazotViticultrice
Pas d'aide sans friche
La mauvaise récolte de cette année, cumulée à un contexte de production difficile, ont eu raison de Vanessa et de son mari. Ils ont décidé de tout arrêter et vendre leur propriété. Sur l'exploitation, 13 hectares seront mis en fermage. Les sept restants devront être arrachés. Mais cet arrachage est coûteux : 2 000 euros par hectare, soit 14 000 euros.
Pour payer ces dépenses, le couple a dû se séparer de son matériel agricole. "Mon mari a vendu ses tracteurs, sa machine à vendanger, tout ce qu'il fallait pour pouvoir honorer ces factures", regrette la vigneronne.
Depuis mars 2023, des aides à l'arrachage, qui s'élèvent à 6 000 € par hectare, sont pourtant proposées aux viticulteurs pour soutenir leurs dépenses. Mais ces dernières sont conditionnées. Les parcelles concernées doivent être converties "en zones naturelles ou boisements conditionnés" pendant 20 ans. Impensable pour le couple d'agriculteurs. "Aujourd'hui, on a besoin de terre, les Français ont besoin de manger, ont besoin d'agriculture, pourquoi on continue à nous tuer comme ça ?"
Moi, je suis prête à faire d'autres activités, du maraîchage par exemple, mais on ne nous autorise à rien, on nous laisse mourir, c'est comme ça.
Vanessa ChazotVigneronne
Pour accompagner l'arrachage, une aide à la reconversion était également proposée par le dispositif de l'État. Prise d'assaut par les viticulteurs qui ne pouvaient se résigner à suspendre leur activité pendant vingt ans, elle n'est aujourd'hui plus disponible. Au total, le dispositif prévoit l'arrachage de plus de 8 000 hectares de vignes en Gironde pour lutter contre la surproduction et éviter les propagations de maladies.
Amende "dénuée de raison"
Pire, dans d'autres exploitations, l'exclusion du dispositif s'assort d'une amende. C'est le cas des vignes qui n'ont pas été récoltées depuis plus de deux ans. Les propriétaires ne bénéficient donc pas de ce dispositif, mais risquent surtout une amende pour non-entretien de leur parcelle.
Cette amende va encore plus cibler les gens qui sont déjà dans une situation catastrophique.
Vincent L'Amouller,Porte-parole de la Confédération paysanne Gironde
Une situation qualifiée d'injuste par Vincent L'Amouller, porte-parole de la Confédération paysanne Gironde. "On a des viticulteurs en cours de cessation de paiements, qui vivent de plein fouet l'effondrement de la production et on va les victimiser de nouveau avec une amende forfaitaire administrative dénuée de raison économique", tance-t-il.
Pour lui, les viticulteurs concernés sont souvent ceux qui ont dû mettre un coup d'arrêt à leur production, faute de rentabilité et de capacités financières. "Les viticulteurs sont victimes de cette situation et on va en plus demander à certains de payer des amendes pour des friches non entretenues, c'est un non-sens de solidarité pour le monde viticole et une double peine, car c'est abject que le vigneron porte seul la responsabilité de cette situation", accuse Vincent L'Amouller.
La viticulture a bénéficié d'aides mais pas assez par rapport aux difficultés. Nous sommes dans des difficultés économiques et politiques, on n'a pas d'espoir d'obtenir des aides supplémentaires.
Stéphane GabardPrésident du syndicat viticole Bordeaux-Bordeaux supérieur
Le mildiou
En effet, la raison de cette amende se veut sanitaire. Elle condamnerait le risque porté par ces vignes en friche de propager des maladies, dont le mildiou qui ravage régulièrement les vignobles bordelais. "Je comprends que c'est injuste", tempère Stéphane Gabard, président du syndicat viticole Bordeaux - Bordeaux supérieur. "Mais aujourd'hui, on sait très bien que quand on a des parcelles non cultivées, donc non traitées, ça dissémine les maladies tout autour et les voisins vont subir des pertes de récolte. Il faut qu'on arrive à se débarrasser de ces vignes."
De leur côté, les syndicats viticoles du Bordelais maintiennent la justification de cette contravention. "L'amende n'est pas là pour saigner encore plus, elle est là pour inciter les gens à trouver un moyen pour les arracher et libérer cette contrainte sanitaire", argue-t-il.
Au moins 2000 hectares du vignoble bordelais seraient aujourd'hui inexploités. Les viticulteurs avaient jusqu'au 31 mai pour arracher toutes leurs vignes. En raison de mauvaises conditions météorologiques de ces dernières semaines, un délai d'un mois leur a été accordé.