Prescriptions d'antidouleurs : "on assiste à une explosion de la consommation d'oxycodone "

La consommation de cet antalgique très puissant, prescrit pour les douleurs sévères a augmenté de 25 % en cinq ans en Nouvelle-Aquitaine. Un chiffre qui alerte les pharmacologues, alors que ce même opiacé est à l'origine d'un véritable scandale sanitaire outre-Atlantique.

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Il est à l’origine de l’un des plus grands scandales sanitaires de ces dernières années aux Etats-Unis. Commercialisé en France sous le nom d'OxyContin ou d'OxyNorm, l'oxycodone, un opiacé censé soulager les douleurs intenses, serait à l’origine de plus de 300 000 morts par overdose depuis les débuts de sa commercialisation sur le marché américain en 1996. En France, sa consommation est en hausse, particulièrement sur la façade ouest du pays.

Avec d’autres experts, le Professeur Francesco Salvo, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux, a saisi l'Agence nationale de sécurité du médicament ainsi que l'agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine. Il nous explique pourquoi ce n’est pas un médicament comme les autres.

Qu’est-ce que l’Oxycodone ?

Professeur Francesco Salvo :  C’est un médicament opioïde, un antidouleur qui a été commercialisé dans les années 90 aux États-Unis et en Europe. C’était une des premières alternatives à la morphine. Il a une puissance plus ou moins comparable, mais il a aussi des effets secondaires pharmacologiques différents de la morphine. Des effets particulièrement addictogènes

Ce médicament est prescrit pour les douleurs sévères et pour des douleurs oncologiques. Il est aussi utilisé pour les douleurs post-chirurgicales. Il doit être utilisé uniquement comme alternative à la morphine et pas comme première intention. Il faut le réserver au cas où la morphine ne suffirait pas. Il doit vraiment être prescrit avec beaucoup de précautions à des gens dont on sait qu’ils risquent de tomber davantage dans l’addiction. 

C’est un opioïde, donc c’est une drogue.

Professeur Francesco Salvo, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux

Rédaction web, France 3 Aquitaine

Comment avez-vous été amené à vous inquiéter de son utilisation en Nouvelle-Aquitaine ?

Nous avons été alertés par des collègues qui nous disaient que les prescriptions étaient de plus en plus fréquentes. Des chirurgiens nous ont fait savoir que dans leurs établissements, les pharmaciens proposaient davantage d’oxycodone que de morphine pour leurs patients opérés, avec toujours les mêmes motivations :  moins de constipation, moins de problèmes rénaux.

Des confrères, pharmaciens, nous ont aussi informés qu’il s'agissait du seul opioïde à leur disposition. Or, ce médicament ne doit surtout pas être un plan A. Nous avons donc décidé d’aller plus loin et de réaliser un état des lieux de la consommation, et on s’est rendu compte qu'en Nouvelle-Aquitaine, il y a eu une explosion de la consommation en cinq ans, de plus 25 %.

En 2017, on était autour de 700 utilisateurs en Nouvelle-Aquitaine pour 100 000 habitants et maintenant, on est presque à 950 pour 100 000 habitants. C’est particulièrement fort chez nous, car ailleurs la progression est plus raisonnable, de l'ordre de 1 à 2% par an. Il y a des disparités régionales et un effet ouest important : la Nouvelle-Aquitaine est la deuxième région par consommation, après la Bretagne. Et cela nous inquiète particulièrement. C’est pourquoi nous avons alerté les autorités sanitaires locales et nationales. On commence à avoir des données pharmacologiques qui nous montrent que ce médicament est bien plus addictogène que la morphine.

Comment expliquer cette augmentation ?

Cela peut être multifactoriel. Avec peut-être, d’un côté, la sensation que cela donne moins d’effets indésirables, mais c’est complètement faux. Il se peut aussi que les centrales d’achat arrivent à avoir des prix un peu plus concurrentiels. Nous n’avons pas encore de vraie motivation. Beaucoup d’antidouleurs ont été retirés ces dernières années, et les praticiens manquent aussi d'alternatives thérapeutiques. On observe également une augmentation de la consommation à la suite d’une opération chirurgicale. Une fois que les patients sont sortis de l’hôpital, ils peuvent aller en ville pour faire une prolongation de prescription. Ces hypothèses doivent être vérifiées et analysées.

Comment agir ? Que faire ?

La première chose à faire est une analyse quantitative beaucoup plus poussée. Comprendre par exemple combien de temps dure cette prescription chez les patients. Nous ne savons pas encore depuis quand ils prennent ce produit ni pour combien de temps il leur est prescrit. Il faut comprendre l’étendue du problème en Nouvelle-Aquitaine. On a une méconnaissance sur l’origine des troubles.

La deuxième chose à faire, c’est une analyse qualitative, comprendre pourquoi il y a cette augmentation de la prescription. Pourquoi les médecins prescrivent ce médicament, et puis enfin, il faut mener des actions de formation d’éducation à l’utilisation. Ces données nous font penser que ce médicament est perçu comme une alternative plus sûre à la morphine, mais ce n’est pas vrai, et au vu des expériences aux États-Unis, ces médicaments peuvent être en pratique compliqués à gérer. Il faut agir et agir vite pour ne pas être confronté à un problème de santé publique.

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